L’Insatiable n°163 est disponible

Le numé­ro de février 2017 de L’In­sa­tiable est dès à pré­sent dis­po­nible ! Si vous n’a­vez pu l’ob­te­nir sur le cam­pus, il est tou­jours en libre ser­vice dans la plu­part des bâti­ments de l’In­sa : MdE, Humas, BMC, RU, PC et dif­fé­rents départements.

Au pro­gramme de ce numé­ro, vous pour­rez décou­vrir les lau­réats du concours de nou­velles que nous avons orga­ni­sé en ce début d’an­née. La Une de Nico­las traite quant à elle de notre confiance en le numé­rique de nos jours et à l’a­ve­nir. On ne vous en dit pas plus !

Si vous n’êtes pas sur place, vous pou­vez retrou­ver la ver­sion numé­rique sur la page dédiée. Pen­sez éga­le­ment à vous abon­ner pour rece­voir direc­te­ment chez vous chaque numé­ro papier pen­dant une année complète !

Concours de nouvelles 2017 : « Une guerre en France »

Une grande guerre se pré­pa­rait en France. Dans chaque région de valeu­reuses com­bat­tantes s’entraînaient des jours entiers, enchai­nant des exer­cices phy­siques et intel­lec­tuels tou­jours plus dif­fi­ciles. Toutes riva­li­saient de ver­tus et démon­traient une moti­va­tion de fer, bien que la peur de la défaite tra­ver­sât de temps en temps leurs esprits combatifs.

Il n’y aurait qu’un seul vain­queur à l’issue de cette guerre, il fal­lait que ce soit elles.

Bien­tôt il fau­drait mon­ter au front, et ces petites guer­rières fré­mis­saient d’appréhension et d’impatience. La peur de l’échec refai­sait sur­face, puis la pen­sée de repar­tir vic­to­rieuse, de pou­voir ren­trer chez soi en héros les ras­su­rait. Elles s’efforçaient d’y croire. Cha­cune se racon­tait les rêves qu’elle pour­rait réa­li­ser une fois vain­queur, ou ten­tait de voir les aspects posi­tifs de cette expé­rience par­ti­cu­lière, quel que soit son dénoue­ment. La ten­sion mon­tait, les uni­formes incon­for­tables les déman­geaient, leurs pieds s’engourdissaient d’attendre et on se tenait raide et droite. Ces guer­rières d’habitude si dis­ci­pli­nées com­men­cèrent à s’agiter. On se sou­hai­ta bonne chance plu­tôt que bon cou­rage. Après tout, la vic­toire rele­vait plus de la chance que du cou­rage face à autant de clones aus­si bien armés.

Le nom vic­to­rieux reten­tis­sait dans leurs oreilles quand on les appe­la au front. On se sen­tait déjà cou­ron­née de gloire, s’imaginant accla­mée par une foule en admi­ra­tion, on se sen­tait impor­tante et on avan­çait plus que jamais vers son idéal, déter­mi­née à rem­por­ter cette bataille. C’était une bataille face au monde, aux pièges impré­vus, aux ques­tion­ne­ments, mais aus­si face à soi-même. Les petites conqué­rantes vou­laient se prou­ver leur valeur, pour leur ego et leur amour-propre. Fal­lait-il comp­ter sur un effet de sur­prise ? La bataille com­men­ça, un soleil aveu­glant tapant sur la plaine.

Des jour­na­listes cou­ra­geux vinrent s’informer sur la situa­tion des com­bat­tantes pour leurs familles et pour tous les Fran­çais qui atten­daient les nou­velles devant leur télé­vi­sion. Alors, pour ne pas faire perdre espoir à ses proches, on fît figure haute et on sou­rit, cer­tain de gagner. Depuis leurs écrans, les Fran­çais étaient sus­pen­dus aux paroles des com­bat­tantes retrans­mises par les jour­na­listes, ils étaient impres­sion­nés et fiers.

Les per­sonnes de pou­voir s’assuraient de gar­der le moral des spec­ta­teurs haut et pra­ti­quaient une lobo­to­mie effi­cace. La télé­vi­sion leur mon­trait les moments dif­fi­ciles, ajou­tant un sus­pens ciné­ma­to­gra­phique pour en faire res­sor­tir la beau­té des succès.

Sur le front la bataille fut sans mer­ci. Par­tout en France tom­bèrent des mal­heu­reuses, dans des pleurs et des râles étouf­fés. Ce n’était que les pre­mières, et rapi­de­ment de nom­breuses cama­rades au visage bar­bouillé les sui­virent dans cette voie tra­gique. Parce que l’esprit ne l’emporte pas sur les armes, beau­coup de bel­li­gé­rantes avi­sées, mais moins bien équi­pées phy­si­que­ment s’écroulèrent au com­bat. Pas un moment pour souf­fler, beau­coup de décep­tions, de larmes, mais aus­si des fois quelques rires com­plices dans les tran­chées. On jugeait un peu, la belle Alsace, métisse, se démar­quait. Dyna­mique elle gagnait du ter­rain dans de grandes enjambées.

Fina­le­ment, après beau­coup de luttes achar­nées et d’attentes, les 30 der­nières guer­rières se tinrent enfin seules, les pieds meur­tris, sur le front tapis­sé de rouge. Un silence angois­sant et une exci­ta­tion peu dis­si­mu­lée s’installèrent sur la plaine. Lisa, qui depuis son fau­teuil avait sui­vi de près tous les épi­sodes de cette grande guerre, fixait la télé­vi­sion d’un regard fié­vreux, les muscles ten­dus et la mâchoire cris­pée. Un homme en cos­tume tenant un papier pro­non­ça un nom.

Alors, le monarque 2016 se leva à contre­cœur et don­na sa cou­ronne à la conqué­rante élue, lui cédant aus­si son trône. Tan­dis que les spec­ta­teurs, sur place ou devant leur télé­vi­sion, applau­dis­saient leur nou­veau sou­ve­rain, la détrô­née pen­sa en elle-même en des­cen­dant les marches, des pen­sées pas très cor­rectes : “Moi, je suis contre la démo­cra­tie”. Par­fois, on enten­dait aus­si grom­me­ler par­mi les vain­cues : “Moi, je suis contre la démocratie”.

D’anciens monarques pré­sents au cou­ron­ne­ment jubi­laient d’accueillir dans leurs rangs de majes­tés flé­tries le monarque 2016 déchu qui avait per­du sa petite impor­tance si impor­tante pour lui. Ils admi­raient et jalou­saient la belle élue qui bien­tôt fini­rait comme eux, et fina­le­ment la plai­gnaient de devoir alors par­tir elle aus­si en quête de récon­fort, de cette recon­nais­sance sociale per­due. Ces pauvres majes­tés fri­pées et hypo­crites, hon­teuses des marques du temps sur leur peau, menaient un com­bat vain face à la vie.

Pen­dant que ces mau­vaises joueuses rumi­naient leurs pen­sées pas très cor­rectes, et que ces spec­ta­teurs exul­taient de joie devant l’élue qui allait chan­ger le monde, pen­dant que tous ces nom­brils répri­maient et ces mou­tons exté­rio­ri­saient leur défer­le­ment inté­rieur d’émotions, le reste du monde qui n’était rien à leurs yeux, conti­nuait quant à lui une bataille idéo­lo­gique sans fin. Les Amé­ri­cains pleu­raient leurs élé­phan­tesques âne­ries et les guerres dans le monde n’avaient ces­sé de faire cou­ler le sang, peut-être quelques secondes de répit quand même pour se moquer des nom­brils et des mou­tons, et le sang cou­lait, celui de la lutte pour un monde meilleur.

Lisa, joyeuse et rési­gnée dans son fau­teuil — au fond elle conti­nuait de croire que ce titre aurait dû être décer­né à l’Alsacienne, accla­mait le vain­queur en chœur avec la foule de spec­ta­teurs : “MISS FRANCE, MISS FRANCE !!”

Sophie Guillaume

Concours de nouvelles 2017 : « Un jour en France »

6h30, réveil, dur le réveil.

Les yeux dans le vague, la bouche pâteuse et sèche, M.Brun fonc­tionne au radar jusqu’à la salle de bain. Flotte sur la gueule, brosse à dents, rasoir, len­tille sur ses yeux gon­flés, ça brûle un moment, mais c’est meilleur que des binocles pour la com”. Petit dej” café-clope-crois­sants his­toire de tenir le coup jusqu’à midi. Rou­tine mati­nale de zom­bie, M.Brun est un zom­bie comme les autres, à ceci près qu’il est can­di­dat aux Élec­tions. Les­quelles ? Sans impor­tance, il est Can­di­dat. Avec un grand C.

7h30, Brie­fing par l’assistante, bien fou­tue l’assistante.

Miss Rouge, brune, l’air strict et belle comme l’aurore der­rière des lunettes énormes cer­clées d’écailles, la com” elle, elle s’en fout. M.Brun l’a embau­ché pour avoir une assis­tante mignonne, pour avoir quelqu’un devant qui et avec qui para­der. M.Brun est un idiot. D’abord parce qu’il reste lourd avec elle en conti­nu, avec ses blagues beaufs et son regard bovin, mais sur­tout parce qu’il ne s’est jamais ren­du compte que s’il est encore sur les rails poli­tiques après dix ans de bourdes et d’incartades en tout genre c’est grâce à elle, infi­ni­ment plus intel­li­gente que lui. Ce qui, sans qu’il ne com­prenne pour­quoi, a ten­dance à l’énerver dès qu’il lui parle. Il pense que c’est parce qu’elle refuse de cou­cher avec lui, elle ne peut donc qu’être aigrie et mal bai­sée dans son esprit de mâle domi­nant, grand et fort.
Brie­fing donc, jour­née rem­plie, ren­contre avec la popu­lace jusqu’à midi, et visite d’un char­cu­tier de la région ven­dant des pro­duits bien fran­çais. M.Brun aime les pro­duits bien français.

Entre midi et deux, trans­port et pré­pa­ra­tion de son pre­mier mee­ting de l’année, et, à 14h30 la grand-messe, LE Mee­ting déter­mi­nant devant la foule en délire qui scande son nom à lui, M.Brun, le futur can­di­dat superstar.
9h00 Bain de foule et charcuterie.

Peu de monde est pré­sent à son bain, ses incroyables hordes de par­ti­sans sont pro­ba­ble­ment trop occu­pées à tra­vailler, cela vaut mieux. La plèbe reste pauvre et sale aux yeux de M.Brun et il pense très fort à se laver les mains après avoir tou­ché les leurs.

Le char­cu­tier est gros, gras et avec un bon nez rouge et gru­me­leux qui rend bien sur les pho­tos. Il a été choi­si pour ça et pour sa totale appar­te­nance au par­ti. Il ne fau­drait pas qu’un pro­lo lamb­da pose des ques­tions non pré­vues au plan­ning et que notre cher can­di­dat ne sache quoi répondre. Ceci dit, la visite se passe bien, la char­cu­te­rie et les bou­teilles de rouge sor­ties pour l’occasion par le patron et payées sur le bud­get de cam­pagne ne sont pas mau­vaises, les images mar­ke­ting sont bonnes. Un can­di­dat reste un pro­duit à vendre comme un autre après tout. M.Brun se sent presque comme une âme popu­laire après quelques verres de rou­quin, dans son cos­tume à trois pièces et deux SMIC. Il va même ten­ter d’improviser plu­tôt que de res­ter sage­ment dans les dia­logues pré­fa­bri­qués. Il se penche vers son nou­vel ami pro­lo et lâche, confidentiel :

“Vous savez, moi, je suis contre la démo­cra­tie. Mais c’est un peu comme une vieille amie que l’on aime bien quand même voyez-vous ? Elle est un peu molle et défraî­chie, on lui pré­fé­rait une belle et ferme dic­ta­ture blonde et bien four­nie, mais ça ferait peur au peuple, alors on la garde et on lui fait de l’œil et du pied de temps en temps, pour être élu !”

Regard noir de Miss Rouge, à quelques secondes près ça aurait été “pour la bai­ser”, le drame.

Bai­ser la démo­cra­tie, la moi­tié des can­di­dats le veulent c’est un fait, encore faut-il évi­ter de le dire publiquement…

14h30 La grand-messe, salle comble, foule en délire.

La lumière de la salle est éteinte et le silence règne quand le can­di­dat arrive sur scène, élec­trique, il tremble un peu, mais il est prêt. Quelques notes de musique épiques com­mencent à sor­tir des haut-par­leurs. M.Brun prend une grande ins­pi­ra­tion, les lumières s’allument enfin. Il com­mence son dis­cours d’une traite, pas­sion­né et encore ébloui par les pro­jec­teurs, mais s’arrête vite, la salle est vide.

Sur plus de 5000 places assises, à peine 100 sont occupées.

Les larmes com­mencent à mon­ter aux yeux de M.Brun, il se rap­pel sou­dain de lui enfant, mar­ty­ri­sé par les autres gosses parce qu’il avait le mal­heur d’être le plus petit, un peu idiot et nul en des­sin. Il se sou­vient de lui à la fête des écoles, jouant le rôle de sa vie dans une pièce de théâtre et guet­tant l’arrivée d’un père ou le regard d’une mère qui ne sont jamais venus. Il se sou­vient de lui seul pour fêter son bac si dif­fi­ci­le­ment obte­nu, alors que toute sa classe buvait joyeu­se­ment ensemble.

Au fond M.Brun n’est qu’un gosse mal-aimé, son cœur se cra­quèle dou­ce­ment, a mal, et recom­mence un peu à battre comme pour prou­ver qu’il reste une part vivante et humaine en lui. Une larme vacille au bord de l’œil… Non ! Il l’essuie rageu­se­ment, il reste un homme dur et fort ! Demain sera un autre jour. Demain vien­dra un autre mee­ting, il convain­cra et vain­cra encore et encore cette popu­lace qu’il exècre pour la contraindre à voter pour lui. Demain matin sera un Matin Brun.

Auré­lien Fouquet

Concours de nouvelles 2017 : « Un luxueur caprice »

Ce soir-là, la mer était par­ti­cu­liè­re­ment agi­tée. Les flots déchaî­nés souillaient le fond de la barge d’un amas de sédi­ments et de varech, lais­sant les mate­lots tran­sis de froid. Le voyage avait pour­tant débu­té dans les meilleures condi­tions qu’ils puissent espé­rer, en dépit de la pré­ca­ri­té de la situa­tion. Le royaume étant au bord de la faillite, rava­gé par la cor­rup­tion et gan­gre­né par les pillages et des­truc­tions, même les richesses du trône n’auraient pas dû per­mettre d’imaginer serei­ne­ment une telle expé­di­tion. Pour­tant, ils étaient là, seuls au milieu de l’océan, lut­tant contre les flots déchaînés.

En tant que repré­sen­tant du roi, Pon­tius, capi­taine des armées de Sa Majes­té, avait pris la tête de l’équipage. Tiraillé entre sa volon­té de ser­vir la Cou­ronne — comme le lui avait appris son code d’honneur — et celle de renier les déci­sions de son monarque, il obser­vait avec indif­fé­rence les quelques mate­lots qu’il avait pu convaincre de se ral­lier à sa cause. De pauvres bougres, inca­pables de mon­trer signe au-delà des ordres de la moindre étin­celle de réflexion. Le choix était bien évi­dem­ment aus­si stra­té­gique que subi : les condi­tions poli­tiques actuelles ne per­met­tant sous aucune condi­tion de recru­ter un équi­page plus qua­li­fié, il avait fal­lu ratis­ser les pires enseignes de la ville afin de trou­ver les qui­dams sus­cep­tibles de satis­faire aux besoins de la mission.

Cela fai­sait à pré­sent sept lunes que l’embarcation avait pris le large en quête du Saint Graal, afin d’apaiser la fureur capri­cieuse de leur sou­ve­rain. Une encaus­tique d’un nou­veau genre aux ver­tus mira­cu­leuses, qui lui avait été pro­mise par un mara­bout venu d’une contrée aus­si loin­taine qu’inconnue. Sa Majes­té, inca­pable de satis­faire le prix qu’en deman­dait le sor­cier en rai­son de la situa­tion catas­tro­phique du tré­sor du royaume, l’avait som­mé de lui céder le pro­duit au prix qu’il enten­drait. L’étrange thau­ma­turge ne l’avait cepen­dant pas enten­du de la sorte et avait dis­pa­ru, empor­tant l’objet avec lui. Fou de rage, le roi avait aus­si­tôt som­mé Pon­tius de le lui rap­por­ter, en employant tous les moyens néces­saires pour y par­ve­nir. Le capi­taine des armées, figure emblé­ma­tique du royaume, devait donc entre­prendre de tra­ver­ser l’océan en quête d’une des­ti­na­tion incon­nue, afin de se pro­cu­rer un misé­rable onguent, s’absentant pen­dant des mois alors que le pays allait au plus mal.

Évi­dem­ment, la cour du roi avait ten­té de rai­son­ner le sou­ve­rain, de l’influencer sans le heur­ter, afin de le faire reve­nir sur sa déci­sion. Pon­tius lui avait même pro­po­sé de deman­der l’avis du Conseil, arguant que cela lui assu­re­rait leur sou­tien dans la démarche si jamais les évé­ne­ments pre­naient une tour­nure dom­ma­geable. Vaines ten­ta­tives aus­si­tôt balayées par la folie impul­sive du monarque, qui s’était conten­té de s’écrier : “Moi, je suis contre la démo­cra­tie !”. Que répondre à cela ? Il n’avait pu qu’obéir…

“Terre, terre !”

Tiré de ses pen­sées, Pon­tius se pré­ci­pi­ta à la proue de l’embarcation. L’euphorie le sai­sit en aper­ce­vant bel et bien les côtes à tra­vers le brouillard. Ils avaient réus­si ! Sou­dain pris d’un doute, sour­cils fron­cés, il scru­ta plus atten­ti­ve­ment le rivage. Après quelques ins­tants, son visage se décom­po­sa alors que ses jambes se déro­baient sous lui. Il connais­sait ces terres…

“Mon capi­taine, nous avons rebrous­sé chemin !”

Com­ment était-ce pos­sible ? La tem­pête les avait-elle à ce point fait dévier de leur tra­jec­toire, aus­si incer­taine fût-elle ? Inter­ro­geant du regard son équi­page à l’œil aba­sour­di, il leur ordon­na d’échouer le bateau. Son ins­tinct lui dic­tait que ce retour sur leur terre natale n’était pas le fruit du hasard. Il savait que cette expé­di­tion était vouée à l’échec et il avait cer­tai­ne­ment là le signe qu’il leur fal­lait main­te­nant arrê­ter cette entre­prise insen­sée. Il allait annon­cer son échec à son sou­ve­rain et le rai­son­ner sur l’importance qu’il accor­dait au projet.

Quelques jours plus tard, Pon­tius arri­vait au palais, après avoir remer­cié froi­de­ment les mate­lots, qui n’avaient eu d’autre mot d’adieu que celui de deman­der leurs parts res­pec­tives pour le voyage. Amer, il péné­tra dans la salle du trône, étran­ge­ment vide. Alors que les gardes de la salle le regar­daient avec insis­tance, il se diri­gea vers le plus proche et lui deman­da où se trou­vait le roi. Celui-ci secoua ner­veu­se­ment la tête en lui indi­quant la porte de la gale­rie, der­rière le trône. Sitôt la porte fran­chie, il sen­tit des mains se refer­mer fer­me­ment sur ses bras et le déles­ter de ses armes. Devant lui, le roi le gra­ti­fia d’un sou­rire contrit :

“Pon­tius, quelle sur­prise de vous trou­ver sain et sauf ! Je souf­frais d’attendre votre retour et n’espérais plus vous revoir. Votre inca­pa­ci­té à rem­plir votre mis­sion n’a heu­reu­se­ment été qu’une for­ma­li­té, car j’ai à la fois obte­nu l’objet de mes dési­rs et trou­vé une per­sonne enfin com­pé­tente pour vous rem­pla­cer. Fort heu­reu­se­ment, elle m’a éga­le­ment fait part de vos doutes concer­nant ma légi­ti­mi­té à régner sur ce royaume et m’a fait savoir que vous vous plai­siez à remettre en cause mes déci­sions. J’avais une meilleure opi­nion de vous pour­tant, c’est pro­ba­ble­ment la seule erreur poli­tique que j’ai com­mise. Elle est cepen­dant à pré­sent corrigée.”

Sur ces mots, les mains qui agrip­paient Pon­tius le tirèrent vio­lem­ment en arrière. Le roi tour­na les talons et s’engouffra dans le cou­loir sans ajou­ter un mot, tan­dis que le capi­taine était empor­té en sens inverse. La der­nière vision qu’il eut fut une sil­houette effi­lée et fami­lière dans le sillage du roi. L’inconnu qu’il tra­quait, ce per­son­nage équi­voque qui se livrait à un com­merce on ne peut plus inter­lope. L’explication qui se for­mait dans son esprit lui tira un ric­tus qui se mua en un fou-rire ner­veux. Puisqu’il en était ainsi.

Ville Tal­vi