Concours de nouvelles 2017 : « Une guerre en France »

Une grande guerre se pré­pa­rait en France. Dans chaque région de valeu­reuses com­bat­tantes s’entraînaient des jours entiers, enchai­nant des exer­cices phy­siques et intel­lec­tuels tou­jours plus dif­fi­ciles. Toutes riva­li­saient de ver­tus et démon­traient une moti­va­tion de fer, bien que la peur de la défaite tra­ver­sât de temps en temps leurs esprits combatifs.

Il n’y aurait qu’un seul vain­queur à l’issue de cette guerre, il fal­lait que ce soit elles.

Bien­tôt il fau­drait mon­ter au front, et ces petites guer­rières fré­mis­saient d’appréhension et d’impatience. La peur de l’échec refai­sait sur­face, puis la pen­sée de repar­tir vic­to­rieuse, de pou­voir ren­trer chez soi en héros les ras­su­rait. Elles s’efforçaient d’y croire. Cha­cune se racon­tait les rêves qu’elle pour­rait réa­li­ser une fois vain­queur, ou ten­tait de voir les aspects posi­tifs de cette expé­rience par­ti­cu­lière, quel que soit son dénoue­ment. La ten­sion mon­tait, les uni­formes incon­for­tables les déman­geaient, leurs pieds s’engourdissaient d’attendre et on se tenait raide et droite. Ces guer­rières d’habitude si dis­ci­pli­nées com­men­cèrent à s’agiter. On se sou­hai­ta bonne chance plu­tôt que bon cou­rage. Après tout, la vic­toire rele­vait plus de la chance que du cou­rage face à autant de clones aus­si bien armés.

Le nom vic­to­rieux reten­tis­sait dans leurs oreilles quand on les appe­la au front. On se sen­tait déjà cou­ron­née de gloire, s’imaginant accla­mée par une foule en admi­ra­tion, on se sen­tait impor­tante et on avan­çait plus que jamais vers son idéal, déter­mi­née à rem­por­ter cette bataille. C’était une bataille face au monde, aux pièges impré­vus, aux ques­tion­ne­ments, mais aus­si face à soi-même. Les petites conqué­rantes vou­laient se prou­ver leur valeur, pour leur ego et leur amour-propre. Fal­lait-il comp­ter sur un effet de sur­prise ? La bataille com­men­ça, un soleil aveu­glant tapant sur la plaine.

Des jour­na­listes cou­ra­geux vinrent s’informer sur la situa­tion des com­bat­tantes pour leurs familles et pour tous les Fran­çais qui atten­daient les nou­velles devant leur télé­vi­sion. Alors, pour ne pas faire perdre espoir à ses proches, on fît figure haute et on sou­rit, cer­tain de gagner. Depuis leurs écrans, les Fran­çais étaient sus­pen­dus aux paroles des com­bat­tantes retrans­mises par les jour­na­listes, ils étaient impres­sion­nés et fiers.

Les per­sonnes de pou­voir s’assuraient de gar­der le moral des spec­ta­teurs haut et pra­ti­quaient une lobo­to­mie effi­cace. La télé­vi­sion leur mon­trait les moments dif­fi­ciles, ajou­tant un sus­pens ciné­ma­to­gra­phique pour en faire res­sor­tir la beau­té des succès.

Sur le front la bataille fut sans mer­ci. Par­tout en France tom­bèrent des mal­heu­reuses, dans des pleurs et des râles étouf­fés. Ce n’était que les pre­mières, et rapi­de­ment de nom­breuses cama­rades au visage bar­bouillé les sui­virent dans cette voie tra­gique. Parce que l’esprit ne l’emporte pas sur les armes, beau­coup de bel­li­gé­rantes avi­sées, mais moins bien équi­pées phy­si­que­ment s’écroulèrent au com­bat. Pas un moment pour souf­fler, beau­coup de décep­tions, de larmes, mais aus­si des fois quelques rires com­plices dans les tran­chées. On jugeait un peu, la belle Alsace, métisse, se démar­quait. Dyna­mique elle gagnait du ter­rain dans de grandes enjambées.

Fina­le­ment, après beau­coup de luttes achar­nées et d’attentes, les 30 der­nières guer­rières se tinrent enfin seules, les pieds meur­tris, sur le front tapis­sé de rouge. Un silence angois­sant et une exci­ta­tion peu dis­si­mu­lée s’installèrent sur la plaine. Lisa, qui depuis son fau­teuil avait sui­vi de près tous les épi­sodes de cette grande guerre, fixait la télé­vi­sion d’un regard fié­vreux, les muscles ten­dus et la mâchoire cris­pée. Un homme en cos­tume tenant un papier pro­non­ça un nom.

Alors, le monarque 2016 se leva à contre­cœur et don­na sa cou­ronne à la conqué­rante élue, lui cédant aus­si son trône. Tan­dis que les spec­ta­teurs, sur place ou devant leur télé­vi­sion, applau­dis­saient leur nou­veau sou­ve­rain, la détrô­née pen­sa en elle-même en des­cen­dant les marches, des pen­sées pas très cor­rectes : “Moi, je suis contre la démo­cra­tie”. Par­fois, on enten­dait aus­si grom­me­ler par­mi les vain­cues : “Moi, je suis contre la démocratie”.

D’anciens monarques pré­sents au cou­ron­ne­ment jubi­laient d’accueillir dans leurs rangs de majes­tés flé­tries le monarque 2016 déchu qui avait per­du sa petite impor­tance si impor­tante pour lui. Ils admi­raient et jalou­saient la belle élue qui bien­tôt fini­rait comme eux, et fina­le­ment la plai­gnaient de devoir alors par­tir elle aus­si en quête de récon­fort, de cette recon­nais­sance sociale per­due. Ces pauvres majes­tés fri­pées et hypo­crites, hon­teuses des marques du temps sur leur peau, menaient un com­bat vain face à la vie.

Pen­dant que ces mau­vaises joueuses rumi­naient leurs pen­sées pas très cor­rectes, et que ces spec­ta­teurs exul­taient de joie devant l’élue qui allait chan­ger le monde, pen­dant que tous ces nom­brils répri­maient et ces mou­tons exté­rio­ri­saient leur défer­le­ment inté­rieur d’émotions, le reste du monde qui n’était rien à leurs yeux, conti­nuait quant à lui une bataille idéo­lo­gique sans fin. Les Amé­ri­cains pleu­raient leurs élé­phan­tesques âne­ries et les guerres dans le monde n’avaient ces­sé de faire cou­ler le sang, peut-être quelques secondes de répit quand même pour se moquer des nom­brils et des mou­tons, et le sang cou­lait, celui de la lutte pour un monde meilleur.

Lisa, joyeuse et rési­gnée dans son fau­teuil — au fond elle conti­nuait de croire que ce titre aurait dû être décer­né à l’Alsacienne, accla­mait le vain­queur en chœur avec la foule de spec­ta­teurs : “MISS FRANCE, MISS FRANCE !!”

Sophie Guillaume

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