« On enseigne dès leur plus jeune âge aux enfants que l’eau est un bien très précieux et, en même temps, que la propreté consiste à faire caca dans l’eau. Ne s’agit-il pas là d’un cas exemplaire de dissonance cognitive ? » Infocapi n°7, Juillet 2020
L’eau douce ne représente que 2.5% de l’eau sur la terre, elle y est inégalement répartie et 70% n’est pas accessible car sous forme de glaciers. Vecteur de maladies dans certaines régions, source d’inondations dans d’autres, elle entretient un rapport parfois conflictuel avec nos sociétés. Également ressource précieuse, elle est indispensable à la vie et notamment à nos cultures agricoles : dans le monde, 80% de notre approvisionnement en eau est destiné à leur irrigation. A cela s’ajoute le stress hydrique, dit économique pour les zones qui n’ont pas les infrastructures d’extraction, distribution ou assainissement. La préservation de l’eau et son accès figurent ainsi parmi les objectifs de développement durable des Nations Unies.
Dissonance cognitive
On constate qu’en 2021 dans nos foyers en France, on consomme environ 150 litres d’eau potable par jour, et bien que précieuse, elle sert au fonctionnement de nos chasses d’eau, 2ème consommateur d’eau (20%) après la douche (40%). Mais faire caca dans l’eau n’est que la partie émergée du problème. Notre alimentation et nos sociétés sont imprégnés de molécules de synthèse qui dérèglent et dégradent nos écosystèmes, aussi bien digestifs qu’extérieurs. Les polluants peuvent être visibles comme le continent de déchets flottant, mais également invisibles : pharmaceutiques, pesticides, pilules, cosmétiques, microplastiques… et ces polluants ne sont pas émergents, c’est bien notre intérêt pour eux qui émerge ! Avec une gestion centralisée de l’eau et des coûts dérisoires en France, nous avons été dessaisis de nos responsabilités de préservation de nos précieuses ressources. Gaspillage, pollution… (Re)connaissons-nous encore le travail invisible nécessaire à l’extraction, la potabilisation, la distribution et le traitement de l’eau dont nos activités dépendent tant ? Parce que l’eau nous parvient en abondance et que la gestion des déchets ne nous incombe pas, nous négligeons ce don de la nature, par ignorance et confort.
Création du déchet
Au Moyen-âge, notre rapport à l’eau était différent. Les villes se forgeaient et se développaient selon la morphologie des cours d’eau dont dépendaient leurs activités. Les eaux domestiques pouvaient être réemployées, et la valorisation des excrétas et des urines était pratique courante. Mais au début du 19e siècle, le courant hygiéniste combiné aux épidémies de choléra engendre un nouveau rapport à l’eau : l’eau qui sort des villes est usée, sale et vecteur de maladie. Aussi, en parallèle du goudronnage des voiries, se développent des réseaux d’égouts pour évacuer (et enterrer hors de notre vue) les eaux domestiques emportant les excréments humains et les eaux pluviales ne pouvant plus s’infiltrer dans le sol imperméabilisé. Une gestion centralisée de l’évacuation et du traitement des eaux usées conduit au développement de réseaux toujours plus grands et de stations d’épuration. Ainsi se rompent les cycles trophiques et commence le paradigme du déchet. Néanmoins, de nos jours, les régions soumises à un fort stress hydrique pratiquent encore une réutilisation informelle de leurs eaux usées. En ce déchet, ils perçoivent un potentiel nutritif et une multitude d’usages : ferti-irrigation des eaux et valorisation (énergétique, nutritive, matérielle) des biosolides.
Reboucler les cycles
La meilleure gestion des déchets consiste à ne pas en produire : dans le cas de l’eau (potable), ne pas la contaminer par nos excréments. De multiples régions défavorisées pratiquent la séparation à la source qui devient d’ailleurs en vogue en France, à l’instar des latrines sèches. Celles-ci récupèrent voire séparent urines et excrétas dans des bacs ou des composts, et ne requièrent pas de chasse d’eau ni de raccords aux réseaux d’égouts. Après traitement, les matières fécales et urines sont employées en agriculture pour valoriser la matière organique, le phosphore, l’azote et le potassium qu’ils contiennent. Bien entendu, ces pratiques alternatives nécessitent une gestion rigoureuse des risques sanitaires et se heurtent en France à l’acceptabilité sociale et à l’héritage urbain, aussi des études scientifiques et participatives sont en cours pour les évaluer et les pérenniser. Bref, espérons tendre vers une gestion plus locale et écologique de nos eaux, pour reboucler les cycles de l’eau et alimentaire.
Il y a tout juste 5 ans, à l’occasion de Noël 2016, paraissait le numéro 162 de L’Insatiable. À la Une était alors inauguré le collectif Ingénieurs Engagés, né en réponse au malaise grandissant des jeunes diplômés confrontés à un marché du travail dans lequel ils ne se reconnaissaient pas. Le manifeste dénonçait une offre de formation souvent calquée sur les besoins des grandes entreprises et puissances financières, ne tenant notamment pas assez compte des enjeux environnementaux ou sociaux actuels.
Force est de constater que ce collectif était bien précurseur d’une réelle préoccupation : 5 ans plus tard, le petit projet initié par quelques élèves et enseignants insaliens a bien grandi. La communauté Facebook « Ingénieurs Engagés » a désormais une portée nationale et compte près de 14 000 membres, échangeant quotidiennement autour de diverses initiatives originales, loin de l’image préconçue de l’ingénieur décrochant fièrement son premier CDI dans une multinationale cotée en bourse. Ici, les maîtres mots sont proximité, sobriété énergétique, recyclage et échange. On y découvre différentes initiatives locales individuelles, comme de l’artisanat de proximité fonctionnant à l’énergie renouvelable et privilégiant la qualité des produits à la quantité produite, mais également des projets de plus grande envergure. C’est ainsi qu’on y découvre Railcoop, une coopérative ferroviaire qui vient d’ouvrir sa première ligne de fret en novembre dernier, et prévoit une première ligne de voyageurs entre Lyon et Bordeaux à partir de décembre 2022. Outre l’ampleur de la tâche abordée, la singularité du projet est bien d’être une coopérative : si le terme fait souvent penser en premier lieu aux regroupements d’agriculteurs ou d’éleveurs permettant de mutualiser les coûts, on parle ici d’un statut différent, la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Prenant le contre-pied des entreprises traditionnelles, les SCIC garantissent un développement sain aux profits limités et une gouvernance partagée.
« Les SCIC ont pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale »
En effet, il n’est pas question ici de titres cotés dont la valeur fluctue de jour en jour, mais de parts sociales auxquelles les particuliers, entreprises ou encore collectivités peuvent souscrire pour obtenir une voix à l’assemblée générale de la coopérative. Ainsi, le poids de décision ne dépend pas du nombre de parts détenues, rendant le processus de décision beaucoup plus participatif.
L’autre principe fondateur de la SCIC est l’affectation des bénéfices : 57,5 % au minimum des bénéfices doivent être réinvestis dans la coopérative, pour son développement ou le développement du secteur, par exemple le financement de lignes de trains moins rentables dans le cas de Railcoop. Les 42,5 % restants peuvent alors par exemple permettre de rémunérer les sociétaires, mais de manière encadrée et limitée. C’est bien ici que réside la force de ce statut : l’obligation pour la coopérative de réinvestir la majeure partie de ses bénéfices dans son développement crée un cercle vertueux permettant de dynamiser et d’étendre son marché, y compris potentiellement sur des secteurs où une société traditionnelle ne se serait pas risquée pour des questions de rentabilité.
« L’économie sociale et solidaire représente l’avenir »
Cette force, beaucoup l’ont comprise, comme en témoigne le nombre croissant de coopératives qui voient le jour. C’est ainsi qu’a vu le jour le collectif des Licoornes, rassemblant 9 coopératives dont le point commun est de proposer des services éthiques, écologiques et engagés et œuvrant pour leur promotion et celle des coopératives en général. Une belle initiative qui ne devrait pas s’arrêter là : Olivia Grégoire, secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, rappelait en novembre dernier que l’Économie Sociale et Solidaire représente 10 % du PIB de la France et est en plein essor, malgré la pandémie. Tout l’enjeu est alors de continuer à démocratiser le secteur pour toucher un plus large public, moins averti, ce qui permettrait de surcroît à plus de sociétaires de prendre part à ces projets et d’en faciliter le développement. Visiblement, le collectif Ingénieur Engagé avait vu juste !
Pensez-vous que le mode de scrutin actuel soit le plus efficace ? Dans cet article, je vais vous montrer que notre manière de voter pour les présidentielles est loin d’être parfaite !
Prenons l’exemple le plus flagrant, celui de l’élection de 2002. Au premier tour Jacques Chirac obtenait 19,9% des voix, Jean-Marie Le Pen 16,9% des voix et Lionel Jospin 16.2%. Au deuxième tour, c’est Jacques Chirac qui l’emporte avec 82% des voix tandis que Jean-Marie Le Pen en obtient seulement 18%. Pour l’instant tout semble logique, mais les sondages de l’époque montrent que si Lionel Jospin était passé au deuxième tour, il aurait battu Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen ! C’est un peu déroutant ! Les analystes de l’époque montrent que si Lionel Jospin n’est pas parvenu au deuxième tour, c’est à cause des différents petits candidats de gauche qui lui ont grapillé les quelques pourcents nécessaires pour passer. Cet exemple montre d’une part que le peuple peut élire un candidat qu’il n’apprécie pas forcément majoritairement, et d’autre part que les petits candidats sont déterminants dans le résultat final de l’élection, même s’ils ne seront jamais élus. Ce n’est pas le pire système et nous avons la chance en France de pouvoir voter librement mais il existe des alternatives remarquables !
Les alternatives
Il serait intéressant de prendre en compte notre avis sur tous les candidats ! Le “vote alternatif” répond à cette contrainte. Ce mode de scrutin propose de classer les candidats. Le principe est de regarder votre 1er choix et d’éliminer le candidat qui a reçu le moins de vote, on le barre donc de tous les bulletins et on regarde maintenant qui est classé en premier, on répète l’opération jusqu’à ce n’y ait plus qu’un candidat. Dans ce mode de scrutin on prend donc en compte notre avis sur tous les candidats. Mais, il reste un problème, à partir du moment où on l’on doit classer ou choisir un candidat, il y a ce qu’on appelle le théorème d’impossibilité. Kenneth Arrow a établi qu’aucun système parfait n’existe car un mode de scrutin ne peut pas vérifier les 5 critères suivants simultanément : la monotonie (ne pas faire diminuer le classement global d’une option en la classant plus haut), la souveraineté, la non-dictature, l’unanimité et l’indépendance des options non pertinentes. Le dernier critère est un bon exemple de ce qu’il s’est passé 2002, en fonction du retrait ou de l’ajout de candidat le résultat de l’élection devient complètement différent. Ce critère n’est donc pas vérifié pour notre mode de scrutin actuel.
Des chiffres ?
Cependant Arrow ne prend en compte que les modes de scrutins dans lesquels on classe les candidats ou quand on en choisit un seul. Pour contourner ce problème on peut attribuer des notes aux différents candidats ! Il existe ainsi le vote pondéré qui permet de donner 0 ou 1 aux candidats que l’on préfère, mais avec cette méthode il n’y a pas de nuance entre les candidats. On pourrait imaginer de leur attribuer des notes sur une certaine échelle, par exemple de 0 à 20. Cependant la valeur de la note varie d’un individu à l’autre, par exemple vous pouvez considérer qu’un 15 est une très bonne note alors que l’équivalent pour une autre personne est 18. Cela pose des problèmes et on peut facilement imaginer que des personnes mettent 20 à leur candidat favori et 0 à tous les autres.
Une fatalité ?
On a donc vu que même en mettant des notes nous n’arrivons toujours pas à un système parfait. C’est dans cette optique-là que des chercheurs français du CNRS : Michel Balinsky et Rida Laraki, ont créé un mode de scrutin qui permet de nuancer son avis sans chiffres ! Le principe est de donner à chacun des candidats un adjectif que l’on appellera mention : excellent, très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant. A partir de ces résultats on va établir la mention majoritaire, pour cela on va additionner les pourcentages des meilleures mentions aux moins bonnes jusqu’à 50%. A partir de ce pourcentage on obtient la mention majoritaire d’un candidat. Pour déterminer le candidat qui a gagné, on compare les mentions majoritaires obtenues, celui qui a la meilleure mention l’emporte. Si les candidats ont la même mention on va choisir celui qui a le plus de pourcentage dans cette mention. Ce système permet de supprimer le problème des notes et le résultat ne dépend pas du nombre de candidats ! Cependant ce mode de scrutin ne respecte pas le critère de Condorcet qui indique que le candidat élu doit, si on l’oppose à tous les autres candidats de manière individuelle, gagner à chaque fois.
Le mode de scrutin actuel favorise le phénomène de vote utile. Un vote utile ou efficace est un vote que l’on ne fait pas pour le programme d’un candidat mais plutôt en réfléchissant aux conséquences du bulletin que l’on mettra dans l’urne. Pour, par exemple, empêcher un candidat d’accéder au second tour ou bien favoriser un autre candidat avec lequel nous ne sommes pas entièrement d’accord mais qui aura des chances de faire un bon score et donc de gagner. Mais pour faire cela il faut avoir connaissance en amont des intentions de vote, et comme les médias actuels ne parlent qu’en sondages, le vote utile est de plus en plus plébiscité. Aujourd’hui du côté gauche et droit de l’échiquier politique, certains candidats se considèrent comme les seuls de leur camp politique pouvant gagner, incitant les gens à utiliser le vote efficace en misant sur eux et non plus pour un candidat qu’ils imaginent n’avoir aucune chance de gagner. Cette pratique incitative génère un sentiment de culpabilité pour les électeurs qui votent par dépit et non plus pour leur conviction.
Finalement, nous avons pu voir qu’il existe des alternatives. Et pourtant, aujourd’hui nous restons sur un mode de scrutin ayant beaucoup de défauts et qui est en place depuis 1965. Les grands partis politiques préfèrent peut-être rester dans un système qui les avantages, la réticence de la population est aussi un facteur car changer le nouveau mode de scrutin implique qu’il doit être compris par tout le monde. Le plus difficile est sans doute de faire un choix car aucun mode de scrutin n’est exempt de défaut.
S’engager, cela implique de donner du temps pour autre chose que soi. L’égoïsme, c’est penser d’abord à soi. Il semble alors d’emblée y avoir une contradiction entre ces deux modes d’existence, mais est-elle pour autant insurmontable ? Peut-on s’engager en étant égoïste ?
Bien sûr, une des façons de dépasser le problème est de dire que chacun peut s’engager pour les causes qui le touchent directement. Après tout, à chacun ses misères : que les riverains s’engagent contre cette usine de traitement qui les indispose ; que les salariés s’engagent contre ce « plan social » qui les met au carreau ; que les étudiants s’engagent contre la précarité étudiante, et si tout le monde fait ça partout, tout ira bien ! Mais on voit vite l’étroitesse d’un tel schéma libéral de l’engagement : un pauvre déjà engagé dans sa propre survie peut difficilement s’engager contre la pauvreté, pourtant, il faut bien que des gens s’en mêlent ! Il faut bien aussi que des gens se mêlent de lutter contre le réchauffement climatique, pourtant, il n’y a presque pas d’utilité personnelle à le faire, puisque c’est un problème à la fois global et mal défini dans le temps. Enfin, que faire des intérêts divergents ? Des militants associatifs qui s’engagent pour faire héberger un SDF dans un logement vacant n’ont pas intérêt à ce que le rentier en face s’engage pour conserver le sien. De cette réflexion rapide, on voit bien que la solution pour lier égoïsme et engagement ne peut résider dans la mise en avant d’un engagement égoïste, parce que si celui-ci peut faire avancer des causes locales et directes, il ne peut rien contre les crises gargantuesques qui menacent le monde qui nous entoure.
Pourtant, on ne peut pas non plus affirmer que les personnes véritablement engagées, c’est-à-dire capables de donner du temps pour des causes qui ne les touchent pas de prime abord, soient exemptes d’égoïsme, au moins au sens noble du terme : rechercher d’abord son propre bonheur. Nous sommes tous et toutes ainsi, non ? Or toute la différence réside dans l’ambivalence du mot « bonheur » : qui peut prétendre que le bonheur serait simplement de profiter et de se taire ? Qu’est-ce qu’on appelle d’ailleurs « profiter » ? Notre bonheur est-il hermétique à l’environnement qui nous entoure ? Hélas, telle est l’idéologie véhiculée par notre époque : pour être heureux, il faut se retourner entièrement sur soi, mener sa routine dans un monde hostile, affronter l’adversité, calculer ses choix, en bref, se construire une bulle qu’on paramètre soigneusement, par soi et pour soi, avec le bon décor, le bon parfum, une bulle qui porte notre nom, et qui parfois même se réjouit sournoisement de la crevaison des autres.
Entre développement personnel et impersonnel
Certes, tout ça a du sens : le « développement personnel » est une clé indispensable au bonheur, car nul ne peut y aspirer sans prendre le temps de s’ordonner de l’intérieur et se rendre capitaine de sa vie, mais après ? Qu’en est-il du développement impersonnel ? Je me permets ce néologisme pour désigner tout ce qui élargit notre compréhension du monde, notre pouvoir d’agir, notre paix intérieure, sans pour autant être porté sur soi. Dans l’abondante littérature des citations sur le bonheur, on peut retrouver celle-ci, signée Diderot « l’homme le plus heureux est celui qui fait le bonheur d’un plus grand nombre d’autres. » Cela trouve écho dans notre évolution même, qui fait de nous une espèce beaucoup plus encline à l’empathie et l’entraide que les autres, non pas comme attitude intéressée et calculée à l’avance, mais comme un réflexe évolutif et éthique inhérent dont on ne se rend compte des bénéfices qu’après l’avoir fait ! Cela trouve écho aussi dans de nombreuses traditions spirituelles qui postulent une unité fondamentale du Monde : la séparation qu’opère donc l’homme vis-à-vis de son environnement en le posant comme totalement extérieur, en mettant en avant son égo, serait source de déséquilibre à long terme, tandis que l’effort de connexion à la nature et à autrui, au contraire, installe une paix durable dans l’être comme composante inextricable d’un tout.
L’engagement comme vecteur de sens
Une autre citation éclairante, signée Gandhi : « le bonheur, c’est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles ». N’est-ce pas une autre définition de l’engagement ? L’effort continu d’aligner ses actes avec ses idées ? Si ce dernier éloigne de quelques joyeusetés corporelles, il prépare une joie durable de l’esprit, dans le processus même de donner un sens à son existence, de l’attacher à des convictions, de comprendre les évolutions désirables du monde et d’y trouver sa place. L’être humain a un besoin fondamental de cohérence installé jusque dans les tréfonds de notre cerveau : notre cortex cingulaire nous alerte quand notre environnement n’a plus de sens décelable, auquel cas la tête cogne fort, entre anxiété permanente, angoisse, et parfois l’addiction comme seule échappatoire.
Bref, si l’engagement ne peut être égoïste, l’égoïsme peut être engagé, en se hissant à des définitions moins égocentrées et en conscientisant ce fait absolument capital : l’épanouissement de soi implique aussi parfois de penser à autre chose que soi. On parle souvent de ceux qui étouffent sous le poids des engagements sacrificiels, mais qui parlera de ces êtres étouffés dans leur propre personne, l’ayant habitée avec une telle véhémence qu’ils se retrouvent incapables de voir au-delà ?
Ambiance et scène politique -La situation actuelle de la scène politique est particulière. Elle est symptomatique du désintérêt de l’engagement politique de la population. En France, depuis la fin de la guerre s’enchainent des gouvernements libéraux convaincus de la nécessité à détruire les bases de solidarité et de politique publique qu’avait construit la gauche historique. Les gouvernements libéraux suivent le marché et donc prennent des décisions en son sens pour subsister. Aujourd’hui, ces bases qui amenaient la population à vivre ensemble, à partager ses problèmes et à les résoudre[1] par elle-même n’existent plus. Ces espaces de vie politique et sociale reviennent au gout du jour depuis les récentes crises politiques. Le mouvement des Gilets Jaune montre très bien la volonté d’une certaine partie de la population, désintéressée ou dégoutée par la politique actuelle, de créer des espaces de partage et d’échange. Ces espaces sont éphémères car très souvent illégaux[2].
Nous souhaitons dans cet article discuter du vote aux présidentielles de France et de l’engagement politique de la population. Ou autrement dit, nous étudierons en quoi le vote, ses résultats et son rejet influencent l’engagement dit « politique » des français.es. Nous commencerons par donner un rapide historique des élections françaises puis nous ferons une étude des résultats et de l’utilité de l’abstention. Pour terminer sur une synthèse personnelle de la situation.
Voter à droite ou à gauche — En étudiant les résultats des élections présidentielles nous notons un partage bilatéral du pouvoir. La gauche et la droite républicaine siègent au gouvernement depuis 1969.[3] Bien que les têtes changent, les deux partis participent à la libéralisation de la France : des aides apparaissent quand la gauche gagnent puis disparaissent quand la droite arrive. Finalement, la gauche impose des régulations que la droite se chargera de supprimer. Les programmes des anciens partis majoritaires proposent un jeu de ping-pong politique et économique provoquant une frustration importante chez la population. En effet, malgré les crises, rien n’avance, rien n’est fait, et à chaque gouvernement les problèmes s’accumulent ou s’enveniment.
C’est en 2017 que l’on observe une bascule totale dans ce jeu. Un candidat indépendant est propulsé au règne du pouvoir, soutenu par les entreprises, les banques, la nouvelle classe moyenne désintéressée par la scène politique ainsi que la scène politique elle-même. Rien d’étonnant à sa victoire car la majorité de la France souhaitait un candidat différent, « hors-système », ne se revendiquant ni de droite ni de gauche. Cependant, ce candidat impose des politiques de droite sans se soucier des réactions de l’opposition et de la population. Il a fini par envenimer la frustration des militant.es de tous les partis.
Depuis 1969, les gouvernements ont eu un impact certain sur l’engagement de la population : on arrive aujourd’hui à un point où plus rien n’a d’utilité dans le jeu politique classique permettant aux extrêmes de ressortir de plus en plus. La politique est dictée et n’est plus discutée. Ce fameux candidat indépendant de 2017 à très bien utilisé le tournant autoritaire de la scène politique française.
Malgré tous les évènements et crises économiques et politiques, le vote fait toujours ressortir la droite comme idéologie majoritaire :les pronostics des élections de 2022 donnent une victoire majoritaire de la droite (voir Figure 1).[4] Comme on peut voir sur la Figure 1, les candidat.es indépendant.es ne se revendiquant ni de gauche ni antisystème sont forcément pour le maintien de le la politique actuelle, on parle de droite indépendante vis-à-vis des partis classiques.
Enfin, le système de vote actuel de notre cinquième république met en avant des élu.es ne réussissant pas à gérer les crises sociales, économiques, culturelles ou encore identitaires[5].
Abstention -Malgré toute la propagande incitant au vote, l’abstention ou le désintérêt du vote reste présent. A chaque élections son résultat est utilisé par l’opposition pour démontrer la non-légitimité de la présidence ou bien du système dans sa globalité : les partis radicaux appellent au boycott. Une énorme partie de la population est désintéressée par la politique, l’abstention a atteint son minimum en 1965 obtenant un résultat équivalent à 18% des inscrit.es[6] et son maximum en 2002 atteignant 40% et surpassant les résultats des candidat.es (gagnant théoriquement les élections présidentielles). On note que cette abstention peut aussi se développer selon les catégories sociaux-professionnelles : « 20 % des inscrits de 25 ans ou plus n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au bac se sont abstenus systématiquement, contre 16 % en moyenne de France métropolitaine, au détriment du vote systématique.»[7]
La forte abstention de 2002 amène la population à voter davantage en 2007. Un barrage énorme a été monté contre l’extrême droite aussi bien à gauche qu’à droite. En faisant une projection pour avril 2022 et en la comparant avec les résultats de vote et d’abstention de la population en 2002, on met en évidence une forte similitude (voir Figure 2 et Figure 3). En effet, le candidat principal (Macron en 2022 et Jaques Chirac en 2002) et son opposition principale (l’extrême droite) montrent un pourcentage de votant.es semblables. La différence entre 2002 et 2022 est que nous faisons face à une plus grande division dans la gauche et la droite classiques. En 2022, le vote à gauche ne dépassera pas les 30% d’après les sondages comme en 2002. Le mensonge exercé aujourd’hui quotidiennement par le gouvernement d’Emmanuel Macron et par lui-même[8] se rapproche de celui exercé par Jaques Chirac en 2002 :
« En particulier depuis le revirement de M. Jacques Chirac en octobre 1995, lorsque, cinq mois après son élection à la présidence, il renia le programme sur lequel il avait été élu […] et adopta une politique ultralibérale.[…]
En France, un jeune sur trois de moins de vingt-cinq ans n’était pas inscrit à la veille de l’élection présidentielle de mai 2002 ; le nombre de militants politiques ne dépasse pas 2 % des électeurs, et seuls 8 % des actifs salariés adhèrent à un syndicat (ces deux derniers chiffres étant l’un des plus faibles du monde occidental). »[9]
Pour macron on peut donner quelques exemples : modification de l’article 2064 du code civil (réduction du paiement des heures de travail supplémentaires), de l’article 83 (réduction des sanctions pour les employeurs qui violent la loi) ou encore pour les municipalités préférant « payer des amendes que de construire des logements sociaux. Fort symboliquement, la peine de prison prévue (jamais appliquée) en cas d’entrave aux missions des représentants du personnel passe à la trappe. Elle est remplacée par une amende de 7 500 euros maximum (art. 85 bis). Toujours le même principe : ceux qui ont de l’argent peuvent s’émanciper de la loi. »[10]
Synthèse – Les élections présidentielles françaises sont mises de côté à cause de leur non-efficacité. Que le résultat du vote tombe à droite ou à gauche, les problèmes persistent ou s’enveniment. La population désabusée par le système actuel – ses inégalités et ses travers – vote de plus en plus « en réaction ». Les « extrêmes » prennent de plus en plus de place sur le devant de la scène – leur temps de parole augmente dans les médias et leurs discours sont largement diffusés. Le mépris des politiques en place vis-à-vis de leur opposition renforce les discours réactionnaires. Il suffit de voir comment le discours républicain de V. Pécresse copie celui de l’extrême droite.
Cette « extremisation » de l’électorat se fait en parallèle d’une hausse de l’abstention. La population ne veut pas aller voter alors que tous les candidat.es reprennent des discours extrêmes et orientés sur des sujets trop controversés. Les militant.es deviennent de plus en plus extrêmes tandis que le reste de la population s’implique de moins en moins. Une grande partie de la population ne vote plus pour ses convictions mais contre celles d’une minorité d’autres, réduisant leur vote à un barrage aux « extrêmes ». La population ne veut plus s’engager car depuis des années cet engagement est lié au « militantisme » – aux « extrêmes » – à des idées trop revendicatrices.
Crab.
[1] On peut prendre comme exemple les maisons du peuple devenues des monuments au fil des années
[3] Site internet : www.sport-histoire.fr/Histoire/Resultats_presidentielle_1965.php
[4] Source corporate : BFMTV – Louis Tanca et Théophile Magoria – « Tous les sondages de l’élection présidentielle 2022 » – Le 22 octobre 2021
[5]La question de l’identité française n’a jamais été aussi présente sur la scène politique : Régis Meyran – « Crise identitaire ? » – Le club de médiapart– 19 décembre 2016
[6] On ne parle d’abstention rapportée au % de votant.es.
[7] Vincent Delage, Insee – « Élections 2017 — Un électeur sur trois a voté aux quatre scrutins » – Insee Analyses Provence-Alpes-Côte d’Azur, No 51, Paru le : 19 octobre 2017
Aaaah s’engager … Les bottes bien cirées, l’odeur de la popote qui mijote dans son chaudron, le doux chant du clairon sonnant l’heure de la soupe … Soupire longuement. Ça ne vous manque pas ? Non ? Bon puisque l’armée romaine n’a pas l’air de vous convaincre, parlons de l’engagement politique !
Depuis quelques années le nombre de membres dans les partis politiques reculent, les chiffres de l’abstention, eux, suivent une tendance à la hausse. Les associations et les partis politiques feraient face à une « crise de l’engagement », à un manque de bénévoles ou de militants. Quelles en sont les raisons me demandez-vous ? Tâchons de réfléchir aux causes et origines de cette perte d’intérêt pour l’univers politique et associatif.
Aux fondements idéologiques de la crise de l’engagement
Vous et moi allons réfléchir (c’est avant tout des rencontres un processus collectif) sur ces profondes causes. Ce qui est certain, c’est que les causes sont multiples, complexes et légèrement insaisissables. Il me semble exister une incompatibilité fondamentale entre la philosophie actuelle de la société et celle gravitant autour de l’engagement. La philosophie libérale pose l’individu, avec ses droits, ses libertés et toutes ses potentialités d’actions comme brique élémentaire de toute la société. Avec le temps, cette idéologie s’est exacerbée, offrant toujours plus de possibilités aux individus, notamment avec l’arrivée puis l’essor de l’informatique et réduisant du même coup leurs attaches à la religion, la famille, les amis, la patrie ou plus globalement à tout corps social transcendant un tant soit peu l’individualité. Ces institutions étaient, dans le passé, créatrices de liens sociaux et de confiance entre les citoyens. Leur disparition progressive est synonyme d’isolement pour certaines parties la population. Mais plus que l’isolement, toute idéologie formate les esprits à penser en adéquation avec celle-ci. Pour l’individualisme, les esprits sont poussés à penser, à agir par et pour eux-mêmes, à ne compter que sur eux-mêmes pour avancer, se développer et réussir. L’extérieur à soi est relégué au second plan ou pire, au rang d’outil utilisable pour arriver à ses fins. L’engagement est un don de soi, un processus lors duquel on agit pour une cause, non plus personnel, mais commune à un groupe, généralement important, d’individus. Enfin, vous verrez un peu plus loin qu’il n’est pas impossible de faire concorder les actions pour le commun et les actions bonnes pour soi.
Le discours politique comme source de désengagement
En plus de cela, les discours en vogue ces dernières années participent à saper la confiance des gens ou à les décourager. Le discours politique promet monts et merveilles aux citoyens et électeurs et les promesses ne sont pas toutes tenues. Pire, la majorité sont brisées ou partiellement tenues (je vous propose d’aller voir le site luipresident.fr pour vous en convaincre). Une entité qui brise quelques promesses (même si elle en tient aussi un bon nombre) suscite méfiance et désintérêt presque automatiquement, en vertu du biais de négativité auquel nous sommes tous soumis. Voilà donc qui pourrait expliquer la défiance actuelle envers les politiques. Ce désengagement pourrait avoir des répercussions importantes sur les générations futures, surtout lorsqu’il est question d’agir pour combattre les crises climatiques, biologiques et sociales dont on nous rebâche l’existence à intervalle presque quotidiens. Conséquence logique d’une telle propagande, pour la plupart des gens, cet état de fait est entièrement admis et ancré dans leurs esprits. Pourtant, aucune action d’ampleur et véritablement collective n’est menée, malgré le fait que la bataille des idées ait été largement remportée. Ce désengagement pour la cause politique et écologique est causé par le découragement face à une tâche qui semble herculéenne couplé à un manque de leviers et d’actions concrètes proposées par les politiques ou par des collectifs indépendants. A cela s’ajoute le conflit avec les intérêts personnels, intérêts comme le confort de vie ou le plaisir individuel. Notre monde moderne propose mille et un divertissements très facilement accessibles pour le plus grand nombre (réseaux sociaux, plateformes de streaming). Mais la distraction, bien qu’indispensable pour une vie saine, lorsqu’elle prend une place trop importante dans nos vies, se transforme en oisiveté et en passivité.
Que retenons-nous ?
Finalement, les causes avancées dans cet article sont : l’incompatibilité entre l’idéologie « libéralo-individualiste » et celle l’engagement, les discours politiques trop vendeurs et pas suffisamment ancrés dans le réel, le découragement face au nombre et à la taille des défis du XXIe siècle et enfin dans une moindre mesure, les distractions et stimulations proposées à outrance par la technique moderne.