Non mais à l’eau

« On enseigne dès leur plus jeune âge aux enfants que l’eau est un bien très pré­cieux et, en même temps, que la pro­pre­té consiste à faire caca dans l’eau. Ne s’agit-il pas là d’un cas exem­plaire de dis­so­nance cog­ni­tive ? » Info­ca­pi n°7, Juillet 2020

L’eau douce ne repré­sente que 2.5% de l’eau sur la terre, elle y est inéga­le­ment répar­tie et 70% n’est pas acces­sible car sous forme de gla­ciers. Vec­teur de mala­dies dans cer­taines régions, source d’inondations dans d’autres, elle entre­tient un rap­port par­fois conflic­tuel avec nos socié­tés.  Éga­le­ment res­source pré­cieuse, elle est indis­pen­sable à la vie et notam­ment à nos cultures agri­coles : dans le monde, 80% de notre appro­vi­sion­ne­ment en eau est des­ti­né à leur irri­ga­tion.  A cela s’ajoute le stress hydrique, dit éco­no­mique pour les zones qui n’ont pas les infra­struc­tures d’extraction, dis­tri­bu­tion ou assai­nis­se­ment. La pré­ser­va­tion de l’eau et son accès figurent ain­si par­mi les objec­tifs de déve­lop­pe­ment durable des Nations Unies.

Dis­so­nance cognitive

On constate qu’en 2021 dans nos foyers en France, on consomme envi­ron 150 litres d’eau potable par jour, et bien que pré­cieuse, elle sert au fonc­tion­ne­ment de nos chasses d’eau, 2ème consom­ma­teur d’eau (20%) après la douche (40%). Mais faire caca dans l’eau n’est que la par­tie émer­gée du pro­blème. Notre ali­men­ta­tion et nos socié­tés sont impré­gnés de molé­cules de syn­thèse qui dérèglent et dégradent nos éco­sys­tèmes, aus­si bien diges­tifs qu’extérieurs. Les pol­luants peuvent être visibles comme le conti­nent de déchets flot­tant, mais éga­le­ment invi­sibles : phar­ma­ceu­tiques, pes­ti­cides, pilules, cos­mé­tiques, micro­plas­tiques… et ces pol­luants ne sont pas émer­gents, c’est bien notre inté­rêt pour eux qui émerge ! Avec une ges­tion cen­tra­li­sée de l’eau et des coûts déri­soires en France, nous avons été des­sai­sis de nos res­pon­sa­bi­li­tés de pré­ser­va­tion de nos pré­cieuses res­sources. Gas­pillage, pol­lu­tion… (Re)connaissons-nous encore le tra­vail invi­sible néces­saire à l’extraction, la pota­bi­li­sa­tion, la dis­tri­bu­tion et le trai­te­ment de l’eau dont nos acti­vi­tés dépendent tant ? Parce que l’eau nous par­vient en abon­dance et que la ges­tion des déchets ne nous incombe pas, nous négli­geons ce don de la nature, par igno­rance et confort.

Créa­tion du déchet

Au Moyen-âge, notre rap­port à l’eau était dif­fé­rent. Les villes se for­geaient et se déve­lop­paient selon la mor­pho­lo­gie des cours d’eau dont dépen­daient leurs acti­vi­tés. Les eaux domes­tiques pou­vaient être réem­ployées, et la valo­ri­sa­tion des excré­tas et des urines était pra­tique cou­rante. Mais au début du 19e siècle, le cou­rant hygié­niste com­bi­né aux épi­dé­mies de cho­lé­ra engendre un nou­veau rap­port à l’eau : l’eau qui sort des villes est usée, sale et vec­teur de mala­die. Aus­si, en paral­lèle du gou­dron­nage des voi­ries, se déve­loppent des réseaux d’égouts pour éva­cuer (et enter­rer hors de notre vue) les eaux domes­tiques empor­tant les excré­ments humains et les eaux plu­viales ne pou­vant plus s’infiltrer dans le sol imper­méa­bi­li­sé. Une ges­tion cen­tra­li­sée de l’évacuation et du trai­te­ment des eaux usées conduit au déve­lop­pe­ment de réseaux tou­jours plus grands et de sta­tions d’épuration. Ain­si se rompent les cycles tro­phiques et com­mence le para­digme du déchet. Néan­moins, de nos jours, les régions sou­mises à un fort stress hydrique pra­tiquent encore une réuti­li­sa­tion infor­melle de leurs eaux usées. En ce déchet, ils per­çoivent un poten­tiel nutri­tif et une mul­ti­tude d’usages : fer­ti-irri­ga­tion des eaux et valo­ri­sa­tion (éner­gé­tique, nutri­tive, maté­rielle) des biosolides.

Rebou­cler les cycles

La meilleure ges­tion des déchets consiste à ne pas en pro­duire : dans le cas de l’eau (potable), ne pas la conta­mi­ner par nos excré­ments. De mul­tiples régions défa­vo­ri­sées pra­tiquent la sépa­ra­tion à la source qui devient d’ailleurs en vogue en France, à l’instar des latrines sèches. Celles-ci récu­pèrent voire séparent urines et excré­tas dans des bacs ou des com­posts, et ne requièrent pas de chasse d’eau ni de rac­cords aux réseaux d’égouts. Après trai­te­ment, les matières fécales et urines sont employées en agri­cul­ture pour valo­ri­ser la matière orga­nique, le phos­phore, l’azote et le potas­sium qu’ils contiennent. Bien enten­du, ces pra­tiques alter­na­tives néces­sitent une ges­tion rigou­reuse des risques sani­taires et se heurtent en France à l’acceptabilité sociale et à l’héritage urbain, aus­si des études scien­ti­fiques et par­ti­ci­pa­tives sont en cours pour les éva­luer et les péren­ni­ser. Bref, espé­rons tendre vers une ges­tion plus locale et éco­lo­gique de nos eaux, pour rebou­cler les cycles de l’eau et alimentaire.

Sofi

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