Quels entrepreneurs voulons-nous (être) ? 

Tin­tin a inves­ti dans une petite char­rette pour faire pous­ser des tomates dans le jar­din par­ta­gé du quar­tier. Laurent lui est un jeune entre­pre­neur qui fait pous­ser des jeunes entre­pre­neurs dans sa pépi­nière. Qui apporte le plus à la socié­té d’après vous ? Atten­tion, il y a un piège. 

Dans l’inconscient géné­ral, sur­tout quand on sort de « grandes écoles », entre­prendre a une conno­ta­tion très posi­tive, quitte à être par­fois pré­sen­té comme une fin en soi. On a tout de suite l’image du jeune dévoué qui apporte sa pierre à la socié­té, qui s’use à être créa­tif, qui va créer des emplois et relan­cer la crois­sance ! A l’heure où on décrie les grands groupes et les grands indus­triels, les start-up appa­raissent comme une alter­na­tive sou­hai­table, un capi­ta­lisme à visage humain qui prend des risques face à un capi­ta­lisme de rente assis non­cha­lam­ment sur ses acquis. Pour­tant, il n’y a aucune rai­son valable à ce que les deux mondes soient dif­fé­rents. Les jeunes entre­pe­neurs cool d’aujourd’hui peuvent deve­nir les grandes rapaces ou les révo­lu­tion­naires actifs de demain. Tout dépend de ce qu’on met dans le mot. 

Entre­prendre, mais ani­més par quoi ? 

Fai­sons un petit tour dans la galaxie de ceux qui entre­prennent. On peut trou­ver là-dedans plein de monde : des fai­seurs de futurs qui écoutent atten­ti­ve­ment battre le cœur du monde et amènent des solu­tions concrètes aux pro­blèmes des popu­la­tions les plus en dif­fi­cul­té ; des jeunes cadres dyna­miques qui crèent « de nou­veaux concepts » et des « méthodes 2.0 » qui ne servent par­fois pas à grand-chose sauf à satu­rer les bandes pas­santes ; des Robins des bois qui se font de l’argent dans le chaos des mar­chés éco­no­miques et réin­ves­tissent tout en pro­jets huma­ni­taires ; des humains peu dési­rables à côtoyer qui per­çoivent der­rière chaque seconde un billet à gagner ; des tech­no-opti­mistes qui nous aident par de l’innovation à répondre aux enjeux éco­lo­giques ; des tech­no-fous qui ne jurent que par cette même inno­va­tion ; des anar­cho-capi­ta­listes qui rêvent de voir dis­pa­raitre l’état et les impôts ; des amis qui gèrent une pla­te­forme-coopé­ra­tive de mutua­li­sa­tion d’outils ; des ingé­nieurs recon­ver­tis en répa­ra­teurs de vélos dans un café-ate­lier-salle-de- théâtre ; ou encore des auto-entre­pre­neurs qui en pen­sant se défaire de l’aliénation du sala­riat se retrouvent par­fois dans des formes plus sinueuses de subor­di­na­tion… 

Là-dedans, je vous laisse juger par vos soins qui contri­bue à construire une socié­té plus équi­table, plus rési­liente, plus démo­cra­tique, et qui au contraire l’alourdit, ren­force les inéga­li­tés, et crèe d’énièmes besoins quand les besoins fon­da­men­taux de nos socié­tés ne sont pas assu­rés. En réa­li­té, entre­prendre peut aller dans les deux sens, mais avec un biais struc­tu­rel cepen­dant : dans une éco­no­mie capi­ta­liste, l’entrepreneur doit pou­voir géné­rer des pro­fits plus ou moins rapi­de­ment pour cou­vrir ses frais, satis­faire ses inves­tis­seurs, rem­bour­ser des prêts et résis­ter à la concur­rence. Or la sélec­tion dar­wi­nienne par les béné­fices – ou le capi­tal de départ – tend à favo­ri­ser les poids lourds de la balance : les grands com­mu­ni­cants plu­tôt que les com­mu­ni­cants spon­ta­nés, ceux qui viennent d’en haut plu­tôt que du bas, les abon­dants plu­tôt que les sobres, les génies de la valeur ajou­tée à défaut des génies, les âmes de guer­riers à défaut des grandes âmes. Et même si cer­taines arrivent tout de même à se fau­fi­ler entre les mailles du filet, elles res­tent des sin­gu­la­riés sta­tis­tiques dans un jeu de dés par­fai­te­ment dés­équi­li­bré. 

Pas juste une ques­tion de ver­tu 

On ne peut pas uni­que­ment comp­ter sur les bonnes volon­tés indi­vi­duelles pour faire pen­cher la balance de l’autre côté, ne rien chan­ger au sys­tème et espé­rer que pous­se­ront d’un coup par­mi les orties de jeunes roses fraîches, cham­pêtres et conta­gieuses. Si le capi­ta­lisme freine l’élan entre­pre­na­rial en le contrai­gnant à ses incar­na­tions les plus ren­tables – sou­vent les plus conser­va­tives – alors il faut frei­ner le capi­ta­lisme, entendre par exemple : être davan­tage dans des logiques de sub­ven­tion de pro­jets que de cré­dits à inté­rêts ; sor­tir le pou­voir de créa­tion moné­taire des mains des banques pri­vées en le confiant à des struc­tures non lucra­tives, publiques ou pas ; favo­ri­ser les pro­jets qui répondent à de réels besoins iden­ti­fiés par l’état ou les col­lec­ti­vi­tés… Tout cela implique une plus grande col­lec­ti­vi­sa­tion des pro­fits de sorte à ce qu’ils reviennent dans des caisses d’investissement et de salaires plu­tôt qu’être aspi­rés dans les poches des action­naires ! En tous cas, ce n’est qu’au prix d’une grande bifur­ca­tion de notre sys­tème moné­taire et éco­no­mique que l’entreprenairat pour­ra deve­nir ver­tueux, popu­laire, et véri­ta­ble­ment « dis­rup­tif ». Autre­ment, c’est un pri­vi­lège qui cir­cule dans les mêmes zones et pro­duit les mêmes effets. 

Ayman 

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