C’était un village qui avait tout d’une petite ville tranquille, quand on n’y regardait pas de plus près. Pourtant, il y a quelques années, un terrible drame s’y était déroulé. Le seul incriminé, un jeune adolescent à l’époque, n’avait cessé de clamer son innocence, et faute de preuves, on avait fini par le laisser aller. Partout, dans les dossiers et les fichiers, cette histoire ne fut consignée officiellement qu’en tant qu’«accident». Mais officieusement, dans toutes les mémoires, le jeune homme restait l’unique coupable. Partout où il allait, on le regardait à la dérobée, et des murmures fleurissaient sur son passage. Étant déjà d’une nature anxieuse, Natt, car c’est ainsi qu’il se nommait, ne supporta pas longtemps cette situation, et commença à sortir de moins en moins souvent. Ce fut les doutes de ses propres parents qui le poussèrent à bout, et il finit par ne plus quitter sa chambre, si ce n’est pour de petits repas frugales qu’il prenait seul avant de remonter tout aussi vite dans son refuge.
Plusieurs années passèrent ainsi, l‘adolescent étant devenu un jeune homme qui craignait toujours autant le monde extérieur. A dire vrai, il ne savait pas réellement si ce qu’il s’était produit était encore dans les mémoires, mais il n’osait pas aller vérifier.
Puis un jour en particulier arriva. Le jour de ses vingt ans. N’ayant pas amélioré ses relations avec ses parents depuis, il n’attendait rien de leur part, mais une idée se mit rapidement à lui trotter en tête.
Et si il sortait ?
Cela faisait si longtemps maintenant. Peut-être, pouvait-il espérer que les choses se soient améliorées ?
Il n’était sûr de rien, mais réussit à trouver le courage de se préparer, et finalement franchit le seuil de chez lui pour la première fois depuis bien longtemps. Presque étonné de revoir la rue, il se mit à marcher doucement, ne sachant pas véritablement où il voulait aller.
Cependant, arriva bien vite l’instant où il aperçut une autre personne, sur le trottoir en face. Sentant toute son angoisse revenir au galop, Natt baissa la tête, pressant le pas sans s’en apercevoir. Intimidé, il traversa ainsi plusieurs rues, avant d’enfin oser relever la tête. Il eut alors la surprise de voir qu’il se trouvait devant la vitrine d’un café, qui n’existait pas auparavant. Intrigué et désireux de se sentir un peu plus à l’abri, il poussa donc la porte.
Le jeune homme retint un petit couinement en réalisant qu’il y avait également d’autres personnes présentes à l’intérieur du café, et ses yeux se baissèrent à nouveau. D’un pas rapide pour ne pas leur laisser le temps de le reconnaître, il fila au fond de la salle, allant s’installer dans un petit coin à l’abri des regards.
Malgré cela, son cœur ne voulait pas ralentir, et il déglutissait difficilement. Finalement, cette idée était stupide. Jamais il n’aurait dû ressortir. Natt saisit alors la carte posée sur sa table, et tenta de la lire, mais ses yeux glissaient sur les phrases sans en saisir le moindre mot tant il était préoccupé. Quelqu’un allait forcément le reconnaître, les murmures reprendraient, non, il aurait dû rester dans sa chambre, ne pas ressortir.
Il ne remarquait même pas que ses mains tremblaient, les doigts serrés sur la carte presque au point de la déchirer, jusqu’à ce qu’une voix ne parvienne à ses oreilles.
- Bonjour ? Vous allez bien ?
Surpris, il releva alors les yeux, et vit un jeune serveur qui l’observait, l’air un peu inquiet. N’ayant pas l’habitude d’un regard si peu hostile, Natt rougit légèrement. Il se racla ensuite la gorge et reposa la carte à plat pour essayer de reprendre contenance.
- Oui oui, tout va bien.
Le serveur lui adressa alors un sourire encourageant, avant de se redresser. Il devait être arrivé il n’y a pas si longtemps, car le plus petit était certain de ne jamais l’avoir vu auparavant.
- Tant mieux dans ce cas. Est-ce que vous voulez commander quelque chose ?
Le jeune homme eut un instant de flottement avant de se souvenir qu’il se trouvait dans un café, se sentant immédiatement stupide d’avoir oublié un détail d’une telle importance. Il parcourut alors rapidement la carte du regard, choisissant la première chose dont il parvint à déchiffrer le nom.
- Un cappuccino, s’il vous plait, bredouilla-t-il, embarrassé encore davantage par le
tremblement de sa voix.
Le serveur ne fit pourtant pas de commentaire, hochant simplement la tête.
- Et avec ça, ce sera tout?
Natt acquiesça, et il repartit préparer sa commande. Le jeune homme ne réussit pourtant pas à le quitter du regard, ses yeux oubliant de se baisser, et si son cœur battait toujours rapidement, l’anxiété n’en était plus la cause.
Il resta assis dans son coin, reprenant quelques commandes, et ce jusqu’à la fermeture de la boutique. L’ayant bien remarqué, le serveur lui proposa alors de discuter un peu. Touché par l’attention, Natt accepta.
La conversation se passa bien mieux qu’il ne l’avait espéré, si bien même que l’autre lui proposa de repasser, même après son service s’il voulait passer un peu de temps ensemble.
Quand il rentra finalement chez lui, Natt n’était plus inquiet. En fait, il se sentait même bien. C’était un très bon anniversaire, peut-être même obtiendrait-il un ami, voir plus…
Inès BERTHIAUD