Concours de nouvelles 2021 : « Un cappuccino »

C’était un vil­lage qui avait tout d’une petite ville tran­quille, quand on n’y regar­dait pas de plus près. Pour­tant, il y a quelques années, un ter­rible drame s’y était dérou­lé. Le seul incri­mi­né, un jeune ado­les­cent à l’époque, n’avait ces­sé de cla­mer son inno­cence, et faute de preuves, on avait fini par le lais­ser aller. Par­tout, dans les dos­siers et les fichiers, cette  his­toire ne fut consi­gnée offi­ciel­le­ment qu’en tant qu’«accident». Mais offi­cieu­se­ment, dans toutes les mémoires, le jeune homme res­tait l’unique cou­pable. Par­tout où il allait, on le regar­dait à la déro­bée, et des mur­mures fleu­ris­saient sur son pas­sage. Étant déjà d’une nature anxieuse, Natt, car c’est ain­si qu’il se nom­mait, ne sup­por­ta pas long­temps cette situa­tion, et com­men­ça à sor­tir de moins en moins sou­vent. Ce fut les doutes de ses propres parents qui le pous­sèrent à bout, et il finit par ne plus quit­ter sa chambre, si ce n’est pour de petits repas fru­gales qu’il pre­nait seul avant de remon­ter tout aus­si vite dans son refuge.

Plu­sieurs années pas­sèrent ain­si, l‘adolescent étant deve­nu un jeune homme qui crai­gnait tou­jours autant le monde exté­rieur. A dire vrai, il ne savait pas réel­le­ment si ce qu’il s’était pro­duit était encore dans les mémoires, mais il n’osait pas aller vérifier.

Puis un jour en par­ti­cu­lier arri­va. Le jour de ses vingt ans. N’ayant pas amé­lio­ré ses rela­tions avec ses parents depuis, il n’attendait rien de leur part, mais une idée se mit rapi­de­ment à lui trot­ter en tête.

Et si il sortait ?

Cela fai­sait si long­temps main­te­nant. Peut-être, pou­vait-il espé­rer que les  choses se soient améliorées ?

Il n’était sûr de rien, mais réus­sit à trou­ver le cou­rage de se pré­pa­rer, et fina­le­ment fran­chit le seuil de chez lui pour la pre­mière fois depuis bien long­temps. Presque éton­né de revoir la rue, il se mit à mar­cher dou­ce­ment, ne sachant pas véri­ta­ble­ment où il vou­lait aller.

Cepen­dant, arri­va bien vite l’instant où il aper­çut une autre per­sonne, sur le trot­toir en face. Sen­tant toute son angoisse reve­nir au galop, Natt bais­sa la tête, pres­sant le pas sans s’en aper­ce­voir. Inti­mi­dé, il tra­ver­sa ain­si plu­sieurs rues, avant d’enfin oser rele­ver la tête. Il eut alors la sur­prise de voir qu’il se trou­vait devant la vitrine d’un café, qui n’existait pas aupa­ra­vant. Intri­gué et dési­reux de se sen­tir un peu plus à l’abri, il pous­sa donc la porte.

Le jeune homme retint un petit coui­ne­ment en réa­li­sant qu’il y avait éga­le­ment d’autres per­sonnes pré­sentes à l’intérieur du café, et ses yeux se bais­sèrent à nou­veau. D’un pas rapide pour ne pas leur lais­ser le temps de le recon­naître, il fila au fond de la salle, allant s’installer dans un petit coin à l’abri des regards.

Mal­gré cela, son cœur ne vou­lait pas ralen­tir, et il déglu­tis­sait dif­fi­ci­le­ment. Fina­le­ment, cette idée était stu­pide. Jamais il n’aurait dû res­sor­tir. Natt sai­sit alors la carte posée sur sa table, et ten­ta de la lire, mais ses yeux glis­saient sur les phrases sans en sai­sir le moindre mot tant il était pré­oc­cu­pé. Quelqu’un allait for­cé­ment le recon­naître, les mur­mures  repren­draient, non, il aurait dû res­ter dans sa chambre, ne pas ressortir.

Il ne remar­quait même pas que ses mains trem­blaient, les doigts ser­rés sur la carte presque au point de la déchi­rer, jusqu’à ce qu’une voix ne par­vienne à ses oreilles.

- Bon­jour ? Vous allez bien ?

Sur­pris, il rele­va alors les yeux, et vit un jeune ser­veur qui l’observait, l’air un peu inquiet. N’ayant pas l’habitude d’un regard si peu hos­tile, Natt rou­git légè­re­ment. Il se racla ensuite la gorge et repo­sa la carte à plat pour essayer de reprendre contenance.

- Oui oui, tout va bien.

Le ser­veur lui adres­sa alors un sou­rire encou­ra­geant, avant de se redres­ser. Il devait être arri­vé il n’y a pas si long­temps, car le plus petit était cer­tain de ne jamais l’avoir vu  auparavant.

- Tant mieux dans ce cas. Est-ce que vous vou­lez com­man­der quelque chose ?

Le jeune homme eut un ins­tant de flot­te­ment avant de se sou­ve­nir qu’il se trou­vait dans un café, se sen­tant immé­dia­te­ment stu­pide d’avoir oublié un détail d’une telle impor­tance. Il par­cou­rut alors rapi­de­ment la carte du regard, choi­sis­sant la pre­mière chose dont il par­vint à déchif­frer le nom.

- Un cap­puc­ci­no, s’il vous plait, bre­douilla-t-il, embar­ras­sé encore davan­tage par le
trem­ble­ment de sa voix.

Le ser­veur ne fit pour­tant pas de com­men­taire, hochant sim­ple­ment la tête.

- Et avec ça, ce sera tout?

Natt acquies­ça, et il repar­tit pré­pa­rer sa com­mande. Le jeune homme ne réus­sit pour­tant pas à le quit­ter du regard, ses yeux oubliant de se bais­ser, et si son cœur bat­tait tou­jours rapi­de­ment, l’anxiété n’en était plus la cause.

Il res­ta assis dans son coin, repre­nant quelques com­mandes, et ce jusqu’à la fer­me­ture de la bou­tique. L’ayant bien remar­qué, le ser­veur lui pro­po­sa alors de dis­cu­ter un peu. Tou­ché par l’attention, Natt accepta.

La conver­sa­tion se pas­sa bien mieux qu’il ne l’avait espé­ré, si bien même que l’autre lui pro­po­sa de repas­ser, même après son ser­vice s’il vou­lait pas­ser un peu de temps ensemble.

Quand il ren­tra fina­le­ment chez lui, Natt n’était plus inquiet. En fait, il se sen­tait même bien. C’était un très bon anni­ver­saire, peut-être même obtien­drait-il un ami, voir plus…

Inès BERTHIAUD

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