Et s’ils avaient eux aussi leur place ?

Suite à l’é­vè­ne­ment du concours Spea­kers orga­ni­sé par TedXIN­SA, vous pou­vez ici retrou­ver la trans­crip­tion du dis­cours de Flo­rian Pel­lier-Mer­min, ayant par­ti­ci­pé à l’é­di­tion de cette année ! 

        C’était il y a presque 12 ans. Une date que je ne risque pas d’oublier, un jour qui a chan­gé ma vie. Ce jour où mes parents m’ont fait mon plus beau cadeau : une sœur. Si ce der­nier mot a pro­ba­ble­ment suf­fi à faire trem­bler tous les grands frères et grandes sœurs qui me lisent, mon expé­rience a pour­tant été toute autre. Dès que je l’ai ren­con­trée j’ai com­pris qu’elle allait prendre beau­coup de place dans mon cœur. Je suis tom­bé sous le charme ! De sa petite truffe rose, de ses moustaches…

Car détrom­pez-vous, un chat, ce n’est pas qu’un simple « ani­mal de com­pa­gnie ». Mis à part quelques-uns qui ne sont visi­ble­ment inté­res­sés que par les boîtes de Felix et la place réser­vée au coin de la che­mi­née, ce sont aus­si des confi­dents, des sou­tiens, et sur­tout, de  fidèles com­pa­gnons de route, qui sau­ront mieux que qui­conque vous témoi­gner leur affec­tion. Sans men­tion­ner le fait qu’ils res­tent d’adorables boules de poils !

Cer­tains leur pré­fèrent le « Meilleur ami de l’Homme », un com­pa­gnon non moins bien­veillant. Un ami qui res­sent vos émo­tions et les par­tage, un ami qui vous reste fidèle pen­dant toute son exis­tence. Qui vous accueille. Qui vous console. Qui vous pleure. Mais un ami que pour­tant plus de 40 000 foyers aban­donnent chaque année en France. Comme on se sépare d’un jouet qui ne nous amuse plus. Lui pour­tant res­te­ra à jamais votre chien ! Sage­ment assis au bord de la route, des heures, des jours s’il le faut, à vous attendre… Et vous n’aurez même pas une pen­sée pour lui ? Drôle de manière de lui retour­ner sa loyauté…

Je pour­rais pas­ser des heures à ten­ter de vous prou­ver l’affection que ces com­pa­gnons du quo­ti­dien vous portent. Mais les mots ne suf­fisent pas si vous ne l’avez jamais expé­ri­men­té. Au XIXème siècle, Lamar­tine affir­mait « On n’a pas deux cœurs, un pour les ani­maux et un pour les humains. On a un cœur ou on n’en a pas ». Adop­ter un chat, un chien, un lapin, une sou­ris, un élé­phant si cela vous chante, ce n’est pas un acte ano­din, ce n’est pas sim­ple­ment s’offrir un com­pa­gnon tem­po­raire pour com­bler un vide. C’est ni plus ni moins une exten­sion de la famille.

Du point de vue évo­lu­tif, nous par­ta­geons beau­coup avec eux. Notre der­nier ancêtre com­mun est peut-être âgé de 8 mil­lions d’années dans le cas du chim­pan­zé, voire jusqu’à plu­sieurs mil­liards pour les orga­nismes les plus éloi­gnés, ils par­tagent tous avec nous une par­tie de leur code géné­tique. Et pour­tant pen­dant long­temps, on les a consi­dé­rés tota­le­ment pri­vés de conscience et d’émotions. Une dif­fé­rence colos­sale avec nous ! Ne serait-ce qu’un ins­tant, je vous pro­pose ici de sor­tir de ces idées pré­con­çues et d’adopter, pour une fois, leur point de vue.

        « Les crus­ta­cés doivent être plon­gés vifs dans l’eau bouillante pour la cuis­son, ils ne res­sentent pas la dou­leur », peut-on encore lire dans cer­tains manuels de cui­sine actuels. Évi­dem­ment, vous pou­vez tou­jours attendre que votre homard hurle de souf­france : il n’a pas de cordes vocales. En revanche il a des nerfs et un cer­veau. Et pen­dant une qua­ran­taine de secondes, ses cen­taines de mil­liers de récep­teurs sen­so­riels vont lui faire vivre un cal­vaire inima­gi­nable. A moins bien sûr que vous n’ayez pour habi­tude de prendre un bain par­ti­cu­liè­re­ment chaud. De même, porcs, mou­tons, chèvres, sont aujourd’hui encore majo­ri­tai­re­ment cas­trés en plein état de conscience. Et eux hurlent. Met­tez-vous à leur place. Suis-je le seul à qui cela pose un pro­blème ? Quand bien même leur sen­si­bi­li­té ne serait pas prou­vée, ne faut-il pas une bonne dose de cruau­té pour infli­ger des sévices pareils à des êtres vivants sans s’en émou­voir ? Pour reprendre une cita­tion de Gand­hi : « Un homme cruel avec les ani­maux ne peut être un homme bon».

Au fil de l’Histoire, nous avons tou­jours atten­du des preuves scien­ti­fiques pour recon­si­dé­rer nos rap­ports au vivant et remettre en ques­tion nos agis­se­ments. Et si pour une fois, nous chan­gions d’approche ? Par­tons du prin­cipe qu’ils ont la même sen­si­bi­li­té que nous ! Qu’ils sont conscients ! Peut-être pas la même forme d’intelligence. Peut-être pas le même corps. Ni
le même mode de vie. Mais les exemples s’accumulent déjà et le mes­sage semble clair : l’Homme a per­du sa supré­ma­tie… Eux aus­si peuvent être rapides, forts, sociaux, solidaires…,
empa­thiques. Que nous le vou­lions ou non, nous leur sommes sem­blables. Sem­blables à ces Rhi­no­pi­thèques de Roxel­lane, qui, pour sur­vivre au froid extrême du mas­sif tibé­tain, se blot­tissent entre eux pour par­ta­ger la cha­leur. Même pour un adulte, l’isolement, c’est la mort assu­rée. Sem­blables à ces mana­kins des forêts tro­pi­cales, qui recrutent des mâles subor­don­nés pour créer une cho­ré­gra­phie, et espé­rer ain­si séduire une femelle. Notre ingé­nio­si­té et notre téna­ci­té, nous la par­ta­geons éga­le­ment avec le pois­son arle­quin, qui brise les coques en les main­te­nant soli­de­ment entre ses dents et en les frap­pant pen­dant par­fois une heure entière contre les coraux. Pour ce qui est du devoir fami­lial, l’albatros à tête grise nous en montre un bel exemple en par­cou­rant par­fois des mil­liers de kilo­mètres pour col­lec­ter de la nour­ri­ture pour son petit. Ce sont tous des pères, des mères, qui luttent pour leur sur­vie, et celle de leurs proches. Qui béné­fi­cient de la sagesse de leurs aînés et les res­pectent. Qui sont soli­daires et col­la­borent par­fois même entre espèces dif­fé­rentes. Qui rient, qui pleurent. Qui jouent ou qui tra­vaillent pour la com­mu­nau­té. Exac­te­ment comme nous.

Au fond, l’Homme lui aus­si est un ani­mal. Un gagnant du loto de l’évolution qui a su tirer son épingle du jeu et user de son intel­li­gence hors norme pour conqué­rir la pla­nète. Mais cette chance que nous avons eue, nous l’avons oubliée. A ses débuts, notre espèce était vul­né­rable, sen­sible aux moindres caprices de la nature. Comme tous les car­ni­vores, elle devait chas­ser pour se nour­rir, bra­ver le froid, se mettre en dan­ger dans de longues et dan­ge­reuses courses pour­suites, … En 2021, à part le Coro­na­vi­rus, vous admet­trez que le dan­ger est tout de même
moindre. Un détour rapide au Car­re­four d’à côté, et vous voi­là de retour en quelques minutes
avec plat préparé !

        Jusque-là, rien de très anor­mal dans notre com­por­te­ment : c’est la dure loi de la nature, que tous les car­ni­vores doivent appli­quer pour leur sur­vie — par­fois en y déployant beau­coup moins d’efforts -, man­ger l’autre pour sur­vivre. Mais tou­jours dans cette logique de pro­tec­tion face aux aléas de notre envi­ron­ne­ment, nous sommes allés plus loin encore. Nous nous sommes enfer­més dans des murs de béton, pour fina­le­ment tota­le­ment rompre le lien avec nos forêts, nos déserts, nos fonds marins, nos mon­tagnes, … Nous ne sommes plus conscients de ce qu’il s’y passe. Rien de très éton­nant alors, que dans notre loi, les ani­maux — dont nous nous excluons — n’ont aucune place. Il y a encore quelques années en France, la faune non humaine était qua­li­fiée juri­di­que­ment de bien meuble. Si vous vous retrou­vez par mal­heur en plein milieu du désert du Kala­ha­ri, je vous garan­tis que les félins qui y vivent seront sen­si­ble­ment moins pas­sifs que votre pla­card. Mais que pour­rions-nous deman­der de plus à une socié­té qui a tou­jours du mal à accep­ter le han­di­cap, se ques­tionne encore sur les droits de la Femme, ou même l’égalité des races ?

Nous avons donc déve­lop­pé nos acti­vi­tés sans se sou­cier de leurs impacts. Mais si nous ris­quons dans un futur proche d’être sévè­re­ment tou­chés, eux le sont déjà. Comme beau­coup d’autres, notre pois­son arle­quin n’a plus de récifs où se réfu­gier des pré­da­teurs. Les quan­ti­tés tou­jours crois­santes de dioxyde de car­bone absor­bées par nos océans pro­voquent son aci­di­fi­ca­tion, et par exten­sion la dis­so­lu­tion des orga­nismes cal­caires, la mort des coraux. Du côté de notre ami alba­tros à tête grise, les nou­velles tem­pêtes et le froid vien­dront à bout des petits. Le lien affec­tif est si fort avec le père, qu’il res­te­ra à ses côtés pen­dant des heures, peut-être des jours, sans accep­ter la mort de son enfant. Et si ce n’est pas le cli­mat, ce sont nos déchets plas­tiques, rame­nés par les adultes comme s’ils s’agissaient de nour­ri­ture, qui étouf­fe­ront le jeune alba­tros. Leur popu­la­tion a par endroit dimi­nué de moi­tié en à peine 15 ans. L’ours polaire, qui ne peut plus comp­ter sur la ban­quise pour chas­ser, a même été obser­vé nageant en pleine mer, et ten­tant déses­pé­ré­ment d’attraper des bélu­gas — vous ren­dez-vous seule­ment compte de la taille de la proie ? – pour nour­rir ses petits.

Eux font par­tie des grands oubliés. Seuls les plus tenaces réus­sissent à se faire aux nou­velles condi­tions de vie que nous leur impo­sons. Les autres dis­pa­raissent, alors que l’Humanité regarde ailleurs. On ne parle pas à ce stade d’extinctions natu­relles comme il y en a eu autre­fois. C’est une extinc­tion de masse qui est en cours. Et pour­tant nous pou­vons agir dès main­te­nant pour eux, nous pou­vons encore limi­ter les dégâts ! Accor­dons-leur sim­ple­ment  un peu d’attention… Un cin­quième des ani­maux d’Europe sont aujourd’hui mena­cés. Il y en a
for­cé­ment que vous pou­vez aider, même à une échelle locale. De près ou de loin, chaque petit geste incons­cient de notre quo­ti­dien a un impact. Pour le lynx ibé­rique, au sud de l’Espagne, dont la popu­la­tion a dimi­nué en 20 ans de 90%, c’est le tra­fic rou­tier, cette por­tion d’autoroute que vous avez sui­vie quelques kilo­mètres. Pour les laman­tins d’Amérique du Nord, qui ne sur­vivent plus à l’hiver, en l’absence de sources chaudes inex­ploi­tées pour leur ser­vir de refuge, c’est le tou­risme de masse, cette croi­sière para­di­siaque que vous vous êtes offerts pour décom­pres­ser. Les forêts, ces gigan­tesques habi­tats que nous détrui­sons, c’est pour votre ali­men­ta­tion et la pro­duc­tion de ces savou­reuses viandes que vous affec­tion­nez tant. Ce bruit, cette lumière, ces odeurs, ces toxines, rien n’est ano­din. Jusqu’où peut-on aller pour son propre bien-être ? Bien enten­du, la ques­tion n’est pas de se lais­ser piquer sans résis­ter par le mous­tique qui vous obsède depuis le début de la nuit, ou plus géné­ra­le­ment de lais­ser faire les espèces nui­sibles : le dan­ger peut jus­ti­fier les moyens. Mais gar­dons tou­jours à l’esprit que « La liber­té des uns s’arrête là où com­mence celle des autres. » Notre pro­blème, c’est véri­ta­ble­ment de ne pas avoir cor­rec­te­ment défi­ni « qui » étaient les autres…

        Depuis quelques années, un constat se fait de plus en plus évident. Au com­men­ce­ment de l’humanité, notre pla­nète était luxu­riante et pleine de vie. Aujourd’hui, elle est peu­plée de 7 mil­liards d’humains, 1,5 mil­liards de bovins, 1 mil­liard d’ovins, 700 mil­lions de porcs, tan­dis que cer­tains grands her­bi­vores ont vu leur popu­la­tion pas­ser sous le cap sym­bo­lique des cent indi­vi­dus. Nous avons mode­lé les popu­la­tions ani­males sui­vant nos besoins. Je ne sais pas  vous, mais je suis pro­fon­dé­ment convain­cu qu’il y a un lien. A quelques excep­tions près, toutes les espèces jouent un rôle dans le main­tien de la bio­di­ver­si­té et la pré­ser­va­tion de nos envi­ron­ne­ments. A l’image de ces méga­her­bi­vores mena­cés qui sti­mulent leurs alen­tours, faune et flore, par leur consom­ma­tion avide de végé­ta­tion, leur pié­ti­ne­ment actif des sols ou encore leur car­casse très riche en nutri­ments. Etran­ge­ment, nous ne sem­blons pas très doués pour ce genre de tâches. Pour­quoi alors ne pas confier cette res­pon­sa­bi­li­té à ceux qui  jusqu’ici s’en sont bien mieux accom­mo­dés que nous ? Si tous les indi­ca­teurs sont au rouge, c’est aus­si parce qu’ils ne sont plus là pour nous aider…

Aus­si éton­nant que cela puisse paraître, cette stra­té­gie est prise de plus en plus au sérieux par
la com­mu­nau­té scien­ti­fique. Des­ti­né à réta­blir les dyna­miques natu­relles telles qu’elles étaient avant notre arri­vée, le « réen­sau­va­ge­ment », comme ils le dési­gnent, néces­si­te­rait un lâcher prise assez inédit dans notre his­toire. Et pour­tant nous l’avons déjà fait. Dans des zones aban­don­nées comme Tcher­no­byl, la dis­pa­ri­tion de l’activité humaine a per­mis d’y recréer des éco­sys­tèmes com­plets où la faune s’épanouit. Les loups y sont à titre d’exemple 7 fois plus nom­breux que dans les autres régions. Un vrai para­dis de ver­dure au milieu des terres. Si l’on ima­gine céder nos espaces aban­don­nés, friches urbaines, zones de conflit, réserves bio­lo­giques inté­grales, et y aban­don­ner toute chasse, toute acti­vi­té humaine, ce sont de nom­breuses espèces qui en béné­fi­cie­raient. A condi­tion bien sûr de conser­ver leurs der­niers refuges exis­tants. L’avantage serait pré­cieux : res­tau­rer, pour nous, les fonc­tions éco­lo­giques si pri­mor­diales de notre environnement.

Mais ce grand chan­ge­ment de com­por­te­ment ne s’opèrera pas sans une prise de conscience mas­sive. Par l’éducation. Par l’information. Ces quelques exemples que j’ai don­nés, ce ne sont pas des cas iso­lés. Si je ne vous ai pas convain­cu, je vous invite à vous aus­si vous docu­men­ter. Pour que nous ces­sions de les voir comme des concur­rents et leur lais­sions enfin la place qu’ils méritent. Eux qui ont tout autant que nous droit à cette planète.

        Je rêve d’un monde, où je me lève­rais chaque matin avec le chant joyeux des oiseaux, le vent qui souffle légè­re­ment dans les arbres, au loin, le doux glou­glou d’un ruis­seau. Un monde où la vie s’épanouirait pai­si­ble­ment, libé­rée de toute pres­sion exté­rieure. Où je ne serais pas réduit à admi­rer les der­niers majes­tueux sur­vi­vants d’une espèce à tra­vers le grillage d’un zoo.

J’ai vite com­pris que ce rêve ne se réa­li­se­rait jamais. Nos aïeux l’ont déjà déci­dé pour nous. Mais pour les géné­ra­tions sui­vantes, l’équilibre peut être réta­bli. Peut-être pas pour nos enfants. Ni même leurs propres enfants. Mais ces futurs pro­prié­taires de notre mai­son s’en sou­vien­dront et nous remer­cie­ront, quand ils pour­ront admi­rer dans la vraie vie des popu­la­tions entières et bien por­tantes de Babars, de Tigrous, de Frank­lins ou de Paddingtons.

Ce che­min, il est plus que temps que nous l’empruntions. Il est presque trop tard. C’est main­te­nant qu’il faut agir. Que vous devez agir.

Flo­rian PELLIER-MERMIN, concours TedX Spea­kers, année 2020–2021.

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