Concours de nouvelles 2017 : « Nouvelles planètes »

Alors que Relief s’installait près du hublot, il réflé­chis­sait à un moyen de rat­tra­per cette situa­tion. Voi­là deux jours qu’ils dis­cu­taient, lui et les repré­sen­tants des dif­fé­rentes pla­nètes, prin­ci­pa­le­ment de celles proches de Juh­li, évi­dem­ment concer­née par cette affaire. Le roi Juh­lien était éga­le­ment de la par­tie lui, puisque c’était lui que l’on essayait de convaincre. Jamais Relief n’avait ren­con­tré un homme aus­si bête et dan­ge­reux à la fois. Il avait une confiance aveugle en ses capa­ci­tés, bien que celles-ci soient limi­tées, une envie irré­sis­tible de conquête et sur­tout, et c’était bien là le nœud du pro­blème, la 4e puis­sance mili­taire de la galaxie à sa disposition.

Les der­nières heures avaient été inutiles. On était pas­sé de “Je veux qu’on me res­pecte” à “Je veux qu’on me res­pecte plus”. Remar­quez, Relief avait déjà réus­si à incul­quer dans son crâne de moi­neau que les gens autour de la table le res­pec­taient. On dit qu’il faut prendre le temps d’apprécier les petites vic­toires, c’est pour­quoi il avait deman­dé au conseil une courte pause afin de se reposer.

Il n’avait pas l’habitude d’avoir du mal à expo­ser ses idées. D’habitude, en tant que repré­sen­tant de Felienne, l’une des pre­mières puis­sances éco­no­miques de la région, on écou­tait ce qu’il avait à dire, et on s’accordait sur sa posi­tion. Tout le monde savait ce qu’il en coû­tait de s’opposer à eux. C’était le blo­cus éco­no­mique immé­diat, si ce n’est l’assassinat du lea­der récal­ci­trant. Mais cette fois-ci, il y avait du métal en jeu. Beau­coup de métal. Et du métal très impor­tant pour la construc­tion des vais­seaux. L’assassinat poli­tique n’était donc pas une option, et la guerre éco­no­mique les aurait affai­blis au moins autant que Juhli.

La situa­tion était donc au point mort et son gou­ver­ne­ment l’avait char­gé, lui, de trou­ver une solution.

Il enten­dit frap­per à sa porte. Regar­dant l’heure au pla­fond, il com­prit qu’il s’était assou­pi quelques minutes de trop.

— Qu’est ce que c’est ?

— Mon­sieur, la séance va reprendre.

— J’arrive tout de suite.

Quelques minutes plus tard, il était dehors en com­pa­gnie du jeune homme qui l’avait réveillé.

— Rap­pe­lez-moi votre nom vou­lez-vous ? Je sais que vous êtes le nou­vel ambas­sa­deur de Savo, mais je ne crois pas que nous ayons été pré­sen­tés officiellement.

— Non Mon­sieur, effec­ti­ve­ment, je m’appelle Clis. Un hon­neur de vous rencontrer.

— Un hon­neur par­ta­gé, vous vous en dou­tez. Et dites-moi, que pen­sez-vous de cette affaire ?

— Je pense que le roi est un enfant pour­ri gâté, qui n’a aucune conscience des rouages de la géo­po­li­tique. Et je pense que des pla­nètes telles que la vôtre ne le lais­se­ront pas s’en tirer comme cela. Il joue à un jeu dan­ge­reux, mais il n’en a même pas conscience.

— Une ana­lyse qui me parait pertinente.

Tout en disant cela, les deux ambas­sa­deurs s’étaient mis à mar­cher tran­quille­ment dans les cou­loirs de la sta­tion, se diri­geant d’un pas non­cha­lant vers la salle de réunion où avait lieu l’action. Mis en confiance par la bien­veillance de son inter­lo­cu­teur, Clis se hasar­da à pous­ser plus loin sa réflexion

— Je pense qu’on peut même dire que c’est là le gros pro­blème de la monar­chie en fait, on pousse au pou­voir des gens sans savoir à l’avance s’ils seront com­pé­tents pour le poste. Et les risques sont pro­por­tion­nels à la taille de la planète.

— Voi­là une curieuse réflexion. Vous pen­sez que la monar­chie ne pose pas de pro­blème si la pla­nète est petite ?

— Ce n’est pas exac­te­ment ce que j’ai dit, mais vous admet­trez que nous ne serions pas là si Juh­li n’était qu’une petite pla­nète de la périphérie.

— C’est juste. Admit Relief. Mais quelle solu­tion est la meilleure d’après vous ?

— Je ne vais sans doute pas vous éton­ner, la démo­cra­tie. Comme sur nos pla­nètes respectives.

Relief mar­qua une brève pause, que le jeune ambas­sa­deur remarqua.

— N’êtes-vous pas d’accord ?

— Vous êtes encore jeune et je ne sais même pas exac­te­ment pour­quoi je vous dis cela, mais non. Moi, je suis contre la démocratie.

C’était au tour de Clis de mar­quer une pause. Il fixait son confrère en essayant de déce­ler l’ombre d’un sou­rire qui aurait pu annon­cer une blague. Il ne vit rien de tout cela. Relief était très sérieux.

— Mais enfin com­ment pou­vez-vous dire ça ? Com­ment pou­vez-vous être contre la liber­té ? La liber­té dont vous-même jouissez ?

— Ma liber­té ? Je n’ai aucune liber­té. Je tra­vaille pour le gou­ver­ne­ment. Le jour où je décide de “reprendre ma liber­té”, vous note­rez le mot reprendre d’ailleurs, je ne suis plus rien chez moi. Je ne serai qu’un homme ayant lais­sé tom­ber son pays. Un paria. Un traître. Je ne fais pas par­tie de la classe diri­geante. Je n’aurai jamais le pou­voir ni même un sem­blant d’autorité. Bien sûr, ici, par­mi vous, je rayonne, mais ce n’est pas moi qui rayonne, c’est mon gou­ver­ne­ment. On me dit quoi faire. Je le fais. Point à la ligne. Le pro­blème, c’est que la démo­cra­tie, la vraie démo­cra­tie, n’existe pas mon cher. Non seule­ment elle n’existe pas, mais elle est tout sim­ple­ment impos­sible à grande échelle. La démo­cra­tie implique qu’une majo­ri­té approuve l’action du gou­ver­ne­ment. Mais si on veut chan­ger des choses, les gens ne sont pas d’accord. Si on veut ne rien chan­ger, les gens ne sont pas d’accord. Même si on veut chan­ger un petit peu, les gens ne sont pas d’accord. Alors les poli­ti­ciens font des pro­messes. Ils pro­mettent des tas de choses, en sachant per­ti­nem­ment qu’ils ne pour­ront pas hono­rer ces pro­messes. Par­fois même, il suf­fit de pro­po­ser le moins pos­sible pour gagner. En effet : si on ne pro­pose rien, com­ment le peuple pour­rait-il ne pas être d’accord ? Et comme les votes sont faits pour qu’on ait au final une majo­ri­té, l’élu est légi­time. Et il le crie­ra sur tous les toits. Mais en réa­li­té, c’est bien sou­vent moins de 20% de la popu­la­tion qui est d’accord avec leur politique.

— Les pro­blèmes que vous sou­le­vez sont des ques­tions légi­times, mais com­ment chan­ger cela ? Vous admet­trez tout de même qu’il parait idéal de deman­der son avis au peuple. Même si au final, il n’est pas entiè­re­ment d’accord.

— L’idéal ? Ne pas deman­der l’avis du peuple. Un régime auto­ri­taire, voi­là l’idéal. Pas besoin de faire sem­blant. Le diri­geant est en géné­ral très com­pé­tent, il ne reste de toute façon pas bien long­temps au pou­voir s’il ne l’est pas. Il fait ce qui est le mieux pour le pays, puisque sinon il est rem­pla­cé. Si ce qui est mieux est contre l’avis du peuple, si cela bafoue quelques liber­tés, peut importe.

— Mais vous avez per­du la tête ?! Com­ment une dic­ta­ture peut…

Il fut cou­pé dans son élan par l’arrivée inopi­née d’un des repré­sen­tants de Juhli.

— La séance va reprendre mes­sieurs, veuillez vous hâter.

Ils n’échangèrent plus un mot. Mais une fois arri­vé dans la salle, l’ambassadeur de Felienne se tour­na vers Clis et ouvrit les bras, comme pour lui dire d’observer par lui-même.

Par­mi les 12 pla­nètes les plus influentes, celles qui menaient vrai­ment le débat, 10 étaient menées par des dic­ta­teurs notoires.

Thi­baut Choquet

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