Concours de nouvelles 2017 : « Deux petits tours et puis s’en revient »

C’est le début de l’été, mais sur la peu sym­pa­thique et très sep­ten­trio­nale île de Sval­bard, je peux vous assu­rer que les ours polaires n’ont jamais enten­du par­ler de tem­pé­ra­tures posi­tives. Je me gèle les gre­lots, même avec le chauf­fage à fond. À pré­sent, je suis défi­ni­ti­ve­ment convain­cue que le chan­ge­ment cli­ma­tique est un canu­lar. Map­py m’indique que je suis arri­vée à des­ti­na­tion, je gare donc mon héli­co­ptère, enfile mes pelures, et ras­semble mon cou­rage. Ce n’est pas parce qu’on est blonde aux yeux clairs qu’on est néces­sai­re­ment résis­tante au froid.

Effec­ti­ve­ment, se dresse devant moi un impo­sant van­tail d’acier, nan­ti d’un inter­phone. Il n’y a que deux bou­tons. Le pre­mier indique “Père Noël”. Encore un sym­bole du patriar­cat, de l’exploitation des tra­vailleurs et de l’assistanat. Le rouge Coca-Cola de l’étiquette me file de l’urticaire. Le second, “S & V : le pou­voir sans trop se fou­ler”, est autre­ment plus pro­met­teur. Je le presse donc avec conviction.

“C’est pour quoi ?” arti­cule une voix caver­neuse. La per­sonne qui en est à l’origine est affli­gée de graves pro­blèmes res­pi­ra­toires. Sans doute le cli­mat ? Une petite cure ther­male lui ferait le plus grand bien.

“J’ai ren­dez-vous à 13h avec mon­sieur Sédi­tieux,” m’empressé-je de répondre. J’espère que ce sous-fifre ne va pas me faire attendre. Mon inquié­tude est infon­dée, il fait bien son bou­lot et la porte cou­lisse, me livrant le pas­sage. Le gars de l’interphone m’attend, plan­té au milieu d’un grand hall. Il est tout noir, tout en noir en tout cas. Encore un bou­lot peu qua­li­fié qui ne va pas à un local, de quoi me héris­ser les poils. Et puis les ser­vi­teurs exo­tiques, c’est un peu pas­sé de mode.

“Mon­sieur vous attend,” m’indique-t-il en dési­gnant une nou­velle porte sta­tuaire. Une chose est sûre, mon hôte a un cer­tain goût pour le monu­men­tal. Ça me plaît bien. Je l’ouvre donc et pénètre dans un vaste bureau.

“Ah, Marine ! Je vous atten­dais avec impa­tience. Pre­nez place, je vous en prie.”

“Mon­sieur Sédi­tieux, c’est un hon­neur.” Réponds-je en lui ser­rant la main. Heu­reu­se­ment que je ne viens pas cher­cher des conseils en der­ma­to­lo­gie, ses rides sont assez immondes. Son cos­tard noir fait res­sor­tir le teint pâle de son visage, au-des­sus duquel quelques che­veux épars se battent en duel. Ses len­tilles rouges sont du plus bel effet.

“Pas de ça entre nous, vous pou­vez m’appeler Dark. J’ai lu votre dos­sier avec atten­tion, et votre pro­blème est effec­ti­ve­ment com­plexe. Mais j’ai de l’expérience en la matière. Prendre le pou­voir dans une démo­cra­tie, ça me connaît. À vrai dire, moi, je suis contre la démo­cra­tie. Quelle idée de confier le choix de la direc­tion d’un pays à une majo­ri­té d’imbéciles décul­tu­rés votant pour une mino­ri­té de connards cor­rom­pus ! Sans vou­loir vous offen­ser, bien sûr. Avec un bon empire, on n’a pas ce genre de pro­blèmes, votre ancêtre à bicorne et moi-même ne pré­ten­dons pas le contraire. Et j’ai cru com­prendre que le che­min des urnes vous a encore failli…”

Il sait appuyer là où ça fait mal, avec son petit ton condes­cen­dant. Salo­pe­rie de second tour.

“Oui, c’est le pro­blème avec le peuple” répli­qué-je, “Il par­vient le plus sou­vent, même si c’est au der­nier moment, à retrou­ver un peu de bon­té et de bon sens au plus pro­fond de lui-même.”

“La part de lumière, c’est tou­jours une dif­fi­cul­té majeure. Mais pas insur­mon­table, regar­dez votre col­lègue à l’occiput oran­gé. Grâce un sys­tème pour­ri, un cli­mat social dégueu­lasse, une popu­la­tion abru­tie et mes bons conseils, il est par­ve­nu à ses fins. Vous avez déjà consta­té qu’il est bien plus aisé de rem­por­ter la vic­toire en se basant sur la déma­go­gie, en exci­tant les craintes, en esqui­vant la réa­li­té des faits et en for­mu­lant des pro­messes vides. Il a pous­sé la logique encore plus loin en pre­nant le sys­tème à revers, en men­tant impu­né­ment et en s’arrangeant sim­ple­ment pour que les cas­se­roles de ses adver­saires fassent beau­coup plus de bruit que les siennes.”

Ce cher Donald. Sa fan­tasque che­ve­lure, son regard torve, son dis­cours si plai­sant à mes oreilles. Son si reten­tis­sant suc­cès. S’il me lais­sait juste ma chance, les choses que je lui ferais… Mes fré­mis­se­ments ne sont plus dus au froid. Je dois paraître un peu per­due dans mes pen­sées, puisque Dark reprend :

“Mais pas­sons. Nous n’avons ni l’un ni l’autre envie d’attendre cinq ans avant de ten­ter à nou­veau notre chance. Alors, voi­là ce que nous allons faire…”

Deux heures plus tard, alors que je sors de la pièce, je me sens revi­go­rée, prête à repar­tir au com­bat. Cette nou­velle stra­té­gie, ce nou­vel angle d’attaque va enfin me per­mettre d’atteindre le som­met qui me revient de droit. Quelle bonne idée j’ai eu de faire confiance à cet ano­din tract trou­vé un beau matin dans ma boîte aux lettres ! Après avoir pris quelques ren­dez-vous d’avance et salué cha­leu­reu­se­ment mon nou­veau men­tor, je monte dans mon Écu­reuil, dont les pales m’arrachent du sol gelé. Fran­çais, fran­çaises, ser­rez les fesses, Marine est loin d’en avoir fini avec vous.

Maxence d’Hauthuille

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