Concours de nouvelles 2017 : « Nouvelle désillusion »

Éléo­nore n’a­vait jamais eu de chance au cours de son enfance. Tout du moins, c’est ce qu’elle pen­sait. Ses parents avaient pour­tant tout fait pour son bon­heur mais lors­qu’il devait arri­ver quelque chose, c’é­tait inévi­ta­ble­ment pour elle. Être choi­sie en der­nière pour les équipes de foot ? Tom­ber dans une flaque d’eau sur le trot­toir en allant à l’é­cole ? Ne pas réus­sir à dor­mir avant un contrôle d’his­toire-géo très impor­tant ? Il fal­lait que ça tombe sur Éléo­nore. Chaque petit pro­blème de la vie sem­blait s’a­char­ner sur elle.

Elle gran­dit et oublia peu à peu ces années d’é­cole pri­maire et de col­lège. Inté­res­sée par les sciences, elle se diri­gea vers une licence de phy­sique. Cette pre­mière année loin du domi­cile fami­lial fut des plus rudes. La soli­tude lui pesait et, quand elle vit les affiches de cas­ting pour le spec­tacle musi­cal annuel de la fac, elle n’hé­si­ta pas une seconde.

Ce fut là qu’É­léo­nore ren­con­tra Mathieu et Solène. Immé­dia­te­ment, le cou­rant pas­sa entre eux. Solène était une chan­teuse incroyable et avait tout pour réus­sir. Éléo­nore se deman­dait pour­quoi une fille avec tant de talent ne se trou­vait pas en école artis­tique. Elle pou­vait chan­ter, jouer, dan­ser et éclip­sait ses cama­rades à chaque fois qu’elle mon­tait sur scène. En ce qui concer­nait Mathieu, le troi­sième de leur trio, il appa­rut rapi­de­ment qu’il éprou­vait un cer­tain inté­rêt pour Éléo­nore. Celle-ci avait déjà eu un copain au col­lège, mais les gar­çons n’a­vaient jamais été sa prin­ci­pale pré­oc­cu­pa­tion. Au fil des semaines, elle trou­va pour­tant en Mathieu son alter ego mas­cu­lin. Ils aimaient les mêmes films, les mêmes musiques et avaient les mêmes habi­tudes. Chaque minus­cule élé­ment sem­blait être une preuve sup­plé­men­taire : ils étaient faits pour être ensemble. Elle qui avait tou­jours détes­té les cli­chés des films roman­tiques, se trou­vait plon­gée dedans.

Un jeu­di soir de prin­temps, après la répé­ti­tion, ils res­tèrent un peu plus long­temps. Ils par­lèrent de cours, de théâtre, de musique. Ils s’embrassèrent.

Les pre­miers jours, Éléo­nore était sur un petit nuage. Le blues de la famille et de la mai­son s’é­va­nouit peu à peu. Il fit place à la décou­verte d’un nou­veau groupe d’a­mis, à l’ha­bi­tude de la vie étu­diante et, désor­mais, à Mathieu. Pour­tant elle dut vite se rendre à l’é­vi­dence, quelque chose n’al­lait pas.

Il avait tou­jours envie d’être avec elle et de l’embrasser. Mais elle n’ar­ri­vait pas à lui rendre tout ce qu’il lui don­nait. Il était pour­tant par­fait pour elle et elle l’a­do­rait. Cela ne res­sem­blait en rien à ce qu’elle avait pu voir dans Love Actual­ly ou n’im­porte quel Dis­ney. Était-elle insen­sible ? L’a­mour était-il un sen­ti­ment si fade et artificiel ?

Com­men­ça alors une période de doute et de ques­tion­ne­ment. Solène l’é­cou­tait tou­jours avec atten­tion. Ses conseils étaient des plus réflé­chis, elle n’au­rait jamais pu trou­ver quel­qu’un qui la com­pre­nait autant. Elle lui disait de lais­ser pas­ser le temps. Que ce n’é­tait que le début de leur rela­tion, que Mathieu était très amou­reux, qu’elle allait le deve­nir aus­si. Solène ne ces­sait pour­tant de le répé­ter : si la situa­tion lui pesait trop, elle devait en par­ler à son par­te­naire. C’é­tait bien plus facile à conseiller qu’à faire. L’i­dée de bles­ser Mathieu lui était insup­por­table. Plus elle était dis­tante avec lui, plus elle s’en vou­lait. Ce dés­équi­libre dans leur couple fini­rait iné­luc­ta­ble­ment par leur faire du mal à tous les deux.

Le same­di 17 mai à 23h37, un mes­sage de Mathieu retint son attention.

« Tu aurais vrai­ment dû venir ce soir à la soi­rée ! J’é­tais en train de débattre avec Seb, il me dit “Moi, je suis contre la démo­cra­tie !” (il est déjà bien bour­ré) et Solène arrive (elle a pas mal bu aus­si), elle lui répond “Tu es sur­tout contre le fait d’être loin de moi” et ils se sont cho­pés ! Il paraît qu’ils sont ensemble depuis au moins deux semaines, t’imagines !? »

Oui, elle arri­vait très bien à ima­gi­ner. Les che­veux noirs de Solène lui tom­bant légè­re­ment dans les yeux, comme à chaque fois qu’elle buvait un peu. Ses joues rosies. Sa voix arri­vant comme des caresses à ses oreilles. Ses lèvres qui avaient l’air si tendres. Ses yeux d’un mar­ron intense, qui brillaient de mille feux dans la nuit comme en plein jour. Son cœur se ser­ra. Elle ne put réus­sir à rete­nir les larmes qui mon­taient et finirent par inon­der ses joues.

Éléo­nore n’a­vait jamais eu de chance au cours de son enfance. Tout du moins, c’est ce qu’elle pen­sait. Ses parents avaient pour­tant tout fait pour son bon­heur mais lors­qu’il devait arri­ver quelque chose, c’é­tait tou­jours pour elle. Elle se rap­pe­lait par­fai­te­ment du jour où sa maman lui avait dit, dans la salle de bain, qu’il y avait par­fois des filles qui aimaient des filles et des gar­çons qui aimaient des gar­çons. Sa petite voix inté­rieure lui avait alors susur­ré ces mots :

« À tous les coups, ça tom­be­ra sur toi. »

Béré­nice Thomas

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