Concours de nouvelles 2017 : « Double je »

Moi, je suis contre la démo­cra­tie. Mon cœur vou­drait faire un coup d’é­tat pour prendre le pou­voir. C’est vrai, pour­quoi tout le monde devrait avoir le droit de s’ex­pri­mer ? Même les para­sites, les virus ? Ceux-là nous pour­rissent la vie et s’en donnent à cœur joie ! Je suis sûre qu’ils ont lu le livre « 150 idées pour emmer­der le monde ».

Ma colo­ca­taire, Laure, me tire de ma rêve­rie défai­tiste et me hurle :

— JOYEUX ANNIVERSAIRE !

— Mer­ci, dis-je en souriant.

— Allez debout, il est déjà midi et cette jour­née doit être magnifique !

Quelques minutes plus tard, nous rejoi­gnons nos amis au res­tau­rant uni­ver­si­taire. Atta­blés autour d’un plat de pâtes banal, nous rions aux blagues des uns et com­men­tons les his­toires des autres. Nous par­lons de fri­vo­li­tés et de par­tis poli­tiques. Arts et démo­cra­tie. Mon coup de mou du matin me revient en pleine figure pen­dant que mes amis dis­cutent. Qui, autour de cette table, a remar­qué ma fatigue ? Qui a vu que mon sou­rire n’é­tait qu’une façade ? Qui m’en­ver­ra un mes­sage de sou­tien demain ?

Je décide d’ar­rê­ter de me mor­fondre et de pro­fi­ter de l’ins­tant. J’ob­serve alors les per­sonnes qui m’en­tourent avec leurs défauts et leurs qua­li­tés. Ele­na et Lilian, le couple par­fait ; Laure et Adrien qui se cherchent depuis long­temps sans réus­sir à se trou­ver ; Annie, éner­gique et exu­bé­rante ; Mathieu, le geek du groupe ; et Tim dont les acti­vi­tés obs­cures res­tent tou­jours un mys­tère pour nous. Que cachent-il au plus pro­fond d’eux ? À quoi res­semblent-ils dans les moments dou­lou­reux ? Oui, je sais, j’ai des réflexions beau­coup trop phi­lo­so­phiques le jour de mon anni­ver­saire. En par­lant d’an­ni­ver­saire, à la fin du repas, nous déci­dons de nous retrou­ver en début de soi­rée afin de fêter l’é­vé­ne­ment un peu plus dignement.

Le soir, réunis dans une petite chambre d’é­tu­diant, nous chan­tons des tas de vieux tubes, des musiques de des­sins ani­més et d’é­mis­sions de télé. Nous man­geons, buvons et racon­tons des tas d’a­nec­dotes sur nos ren­contres et les moments pas­sés ensemble. Mais qui s’est déjà deman­dé pour­quoi je ne buvais jamais d’al­cool ? Qui a déjà essayé de comprendre ?

Le len­de­main matin, mon père vient me cher­cher et nous par­tons ensemble. Le contraste avec la jour­née de la veille est sai­sis­sant. Aujourd’­hui, pas de rires, pas de sou­rires ni de chan­sons. J’ob­serve alors les per­sonnes qui m’en­tourent. Le couple en face de moi, uni dans les épreuves ; un homme et une femme, comme gênés d’être là mais ensemble mal­gré tout ; une jeune fille dans un fau­teuil rou­lant, qui dit des blagues à une infir­mière ; un homme, allon­gé dans un lit avec un ordi­na­teur ; et un autre, per­du dans ses pen­sées. Pour­quoi sont-ils ici ? A quoi res­semblent-ils dans les moments de joie ?

Et moi ? J’ai­me­rais beau­coup savoir ce qu’ils pensent de moi. Une jeune femme déses­pé­rée qui s’ac­croche à son papa comme à une bouée de sau­ve­tage, comme si c’é­tait la der­nière fois qu’elle voyait la lumière du jour peut-être.

J’ai une sou­daine prise de conscience.

C’est ridi­cule.

Certes, ma vie n’est pas rose tous les jours. Certes, je suis à l’hô­pi­tal. Certes, je suis malade. Oui, dans mon corps, c’est une lutte entre les microbes et mes défenses. Pour l’ins­tant, les bac­té­ries sont plus nom­breuses, elles gagnent. Mais il suf­fit d’un trai­te­ment pour inver­ser la ten­dance et repar­tir sur le bon che­min. Ne don­nons pas l’im­pres­sion à la concur­rence que j’a­ban­donne la par­tie. J’ai envie que les gens reprennent espoir en me voyant. Mais je veux aus­si voir les aspects posi­tifs qui m’en­tourent : mes amis, ma famille…

Moi, je suis contre la démo­cra­tie. C’est pour ça qu’à par­tir de main­te­nant, je décide de reprendre le contrôle de ma vie.

Lexy Pon­son­net

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