[Lettre ouverte] INSA : Principes fondateurs

À toutes celles et tous ceux qui pensent à 2022 et le pre­mier d’entre eux, Monsieur
Emma­nuel MACRON, Pré­sident de la Répu­blique Française,
À toutes celles et tous ceux qui cherchent des ambi­tions pour notre pays,
À toutes celles et tous ceux qui devront affron­ter le futur et les bou­le­ver­se­ments à venir,
À toutes celles et tous ceux qui misent sur l’intelligence collective,
À toutes celles et tous ceux qui ont tout à gagner de l’ascenseur social,
À toutes celles et tous ceux qui essayent de trans­mettre l’amour de la connaissance,
À toutes celles et tous ceux qui aiment la tech­nique et veulent « … le bien géné­ral de
tous les hommes… »
À toutes celles et tous ceux qui espèrent un monde meilleur grâce aux « ingé­nieux ingénieurs »*
À toutes celles et tous ceux qui rejettent « … cette phi­lo­so­phie spé­cu­la­tive qu’on enseigne dans les écoles… », et cherchent si « … on en peut trou­ver une pra­tique, par laquelle, connais­sant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous envi­ronnent, aus­si dis­tinc­te­ment que nous connais­sons les divers métiers de nos arti­sans, nous les pour­rions employer en même façon à tous les usages aux­quels ils sont propres… », car cette école est « à dési­rer pour l’invention d’une infi­ni­té d’artifices, qui feraient qu’on joui­rait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les com­mo­di­tés qui s’y trouvent… ».**

* Boris Vian
**Cita­tions du Dis­cours de la méthode, Des­cartes, 1637

 

INSA : Prin­cipes fondateurs

L’augmentation très impor­tante de frais d’inscription est sur la table depuis plu­sieurs mois, semant le trouble chez tous ceux qui res­tent atta­chés à un modèle social où l’on essaie de réduire les obs­tacles éco­no­miques ou finan­ciers à l’attractivité de l’INSA, des INSA devrait-on dire, car leur modèle est fon­dé sur la même philosophie.

En effet, les dépenses aug­mentent, les bud­gets sont contraints, les recettes sont limi­tées, tout cela est vrai, mais il est de noto­rié­té publique que la masse sala­riale est enca­drée par l’État, les sta­tuts des per­son­nels ensei­gnants ou admi­nis­tra­tifs ne per­mettent pas d’outrepasser les limites bud­gé­taires. Pour « prou­ver » la néces­si­té de cette hausse des frais d’inscription l’argumentation repo­sant sur l’idée d’une explo­sion des coûts de fonc­tion­ne­ment des INSA depuis des années, est biai­sée : ce sont des coûts rela­tifs à des acti­vi­tés autres que d’enseignement, engen­drés par diverses « mis­sions » dont la jus­ti­fi­ca­tion est sus­cep­tible de cri­tique, voire de contestation.

La remise en cause du modèle démo­cra­tique des INSA, voire sa tra­hi­son, ne risque pas de faire chu­ter le nombre des can­di­dats à l’entrée du cur­sus (moins de 8% d’admis en pre­mière année), mais accen­tue­ra une tendance :
— Il y a un tiers des étu­diants qui béné­fi­cient d’une bourse ;
— 20% maxi­mum de bour­siers dans les écoles d’ingénieur ;
— 12% de bour­siers dans les écoles de commerce.
Les écoles de com­merce sont des orga­nismes pri­vés qui ne cachent pas leur modèle éco­no­mique, c’est l’argent qui prime, et la sélec­tion s’opère sur des cri­tères uni­ver­si­taires, mais aus­si par les ori­gines sociales et la bonne for­tune des candidats.

Les écoles d’ingénieur sont publiques et pri­vées, l’INSA se dis­tingue par son ori­gi­na­li­té : ins­ti­tu­tion publique, elle recrute dès le pre­mier cycle uni­ver­si­taire, afin d’attirer les voca­tions que le modèle des pré­pas-concours rebute. La sélec­tion sociale joue très for­te­ment dans ces filières (X, ENS, …), et pour en atté­nuer les effets, les étu­diants y sont indem­ni­sés durant leur scolarité.

Les talents et les voca­tions que l’INSA doit recher­cher lui imposent de main­te­nir cette exi­gence de recru­te­ment large, et il est néces­saire de ne pas faire jouer la repro­duc­tion sociale, et d’en atté­nuer les consé­quences néfastes par le rôle que doivent jouer les bourses et les frais de sco­la­ri­té modérés.

Ce posi­tion­ne­ment stra­té­gique de l’INSA est conforme à ses sta­tuts, aux valeurs qui ont assu­ré son rayon­ne­ment depuis 1957, en confor­mi­té avec les textes de la Constitution.

En effet, les INSA sont des écoles d’ingénieurs publiques basées sur le modèle
déve­lop­pé par le phi­lo­sophe Gas­ton Ber­ger et le rec­teur Jean Capelle lors
de la créa­tion de l’INSA de Lyon dans les années 50 ; l’objectif étant d’accompagner
le déve­lop­pe­ment de l’enseignement supé­rieur et la démo­cra­ti­sa­tion des études. Le besoin en ingé­nieurs et scien­ti­fiques de haut niveau était très fort, il n’a jamais fai­bli ; bien plus, c’est leurs apti­tudes à mai­tri­ser les muta­tions tech­niques et sociales qui se sont avé­rées per­ti­nentes. Les Ins­ti­tuts ont été fon­dés sur des prin­cipes et des exi­gences sociales impré­gnant encore aujourd’hui for­te­ment leur gou­ver­nance : l’application aux sciences et tech­niques des prin­cipes répu­bli­cains éman­ci­pa­teurs de la France, illus­trant liber­té, éga­li­té, fra­ter­ni­té.

La voca­tion des INSA est de per­mettre aux élèves des classes moyennes ou popu­laires d’accéder à un ensei­gne­ment de grande qua­li­té et de haut niveau scien­ti­fique et tech­nique ; une source d’ascension sociale sans rup­ture avec les milieux d’origine, et la for­ma­tion huma­niste devait don­ner un sens au pro­grès social, l’autre facette du pro­grès tech­nique. La tech­nique n’est pas une fin en soi, et l’intérêt géné­ral est une réa­li­té tangible.

Ce recru­te­ment a don­né à la socié­té dans son ensemble des ingé­nieurs entrés par les filières d’enseignement tech­nique ou d’enseignement géné­ral, des hommes et des femmes qui ont eu par la suite à cœur de faire rayon­ner par l’exemplarité de leur par­cours pro­fes­sion­nel les connais­sances, les savoirs acquis durant leur sco­la­ri­té, solide socle leur faci­li­tant un per­fec­tion­ne­ment ou une adap­ta­tion au long cours.

Si l’ex­cel­lence était le mot d’ordre, la com­pé­ti­tion ne jouait pas un rôle de sélec­tion ou créa­tion d’une hié­rar­chie, d’une rivalité.

La mul­ti­pli­ci­té des dépar­te­ments et des spé­cia­li­sa­tions avait, dans l’esprit de ses fon­da­teurs, pour contre­par­tie le tronc com­mun, la colonne ver­té­brale de l’INSA : le dépar­te­ment des Huma­ni­tés, per­met­tant à tous de décou­vrir de nou­veaux hori­zons du savoir, ou de com­bler des attentes insa­tis­faites pour toutes les rai­sons pos­sibles, par­ti­cu­liè­re­ment les étu­diants étran­gers, ou les lycéens issus des filières non clas­siques. Son ani­ma­teur prin­ci­pal, Jean-Marie AUZIAS, disait que le bary­centre de l’IN­SA devait être la Rotonde, le lieu emblé­ma­tique du dépar­te­ment des Huma­ni­tés. Avant tout il faut voir cette idée des Huma­ni­tés de l’INSA comme un ensemble diver­si­fié puisque point de conver­gence et de ren­contre, ce dépar­te­ment ne se limi­tait pas à la concep­tion de la for­ma­tion huma­niste clas­sique à la fran­çaise. Le sport, la musique, les arts en géné­ral, les richesses appor­tées par les étu­diants de tous pays en fai­saient par­tie. Si l’excellence était le mot d’ordre, la com­pé­ti­tion ne jouait pas un rôle de sélec­tion ou de créa­tion d’une hié­rar­chie, d’une riva­li­té. L’esprit d’équipe comme ver­tu a de fait géné­ré un état d’esprit qui a pu être jugé comme une marque de fabrique de l’INSA.

Cette hausse des frais d’inscription devant pas­ser de quelques cen­taines d’euros à quelques mil­liers d’euros appa­rait comme un pis-aller, un expé­dient don­nant l’illusion que cela n’altèrera pas la voca­tion de l’INSA. Appuyer dans les mois à venir cette demande auprès du minis­tère de l’Education Natio­nale par la volon­té et la néces­si­té de ren­for­cer le modèle social des INSA est un mar­ché de dupe et une honte à la mémoire de ses deux fon­da­teurs. Même si les inéga­li­tés sociales et édu­ca­tives à tra­vers les dif­fé­rents ter­ri­toires de la Répu­blique sont crois­santes, cher­cher à les com­battre peut se faire sim­ple­ment et sans frais sup­plé­men­taires en modi­fiant les cri­tères de sélec­tion des can­di­da­tures post-bac : le Groupe INSA ne devra pas s’attacher en prio­ri­té aux résul­tats du bac qui favo­risent les élèves des lycées les plus renom­més des « beaux quar­tiers » au sein des grandes métro­poles. Mais, voi­là, l’esprit ini­tia­tique et huma­niste des fon­da­teurs de l’INSA-Lyon n’est plus aujourd’hui.

Les orien­ta­tions pro­po­sées actuel­le­ment, si elles sont main­te­nues, signe­ront sur­tout et avant tout la fin de la seule école d’ingénieurs publique, laïque et répu­bli­caine, conforme aux ver­tus et aux enga­ge­ments huma­nistes de la socié­té française.

A bons enten­deurs, Salut !

Jacques VERDIER, Ensei­gnant-Cher­cheur à l’INSA-LYON
Richard GARCIA, Ingé­nieur INSA-LYON, Retraité

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3 Comments

  1. Prin­cipes fon­da­teurs de l’Insa

    C’est très juste, ils ont mis le doigt sur un énorme enjeu pour les jeunes et le futur. 

    Avec Des­cartes, un appel à l’union des savants et des artisans. 

    Conti­nuez la lutte

  2. Du bel esprit fran­çais par de pro­fondes racines encore bien vivaces, voi­là ce qui nous animent et pour quelques temps encore si nous demeu­rons sou­cieux de notre deve­nir col­lec­tif. Me concer­nant, tech­ni­cien élec­tro­ni­cien frai­che­ment retrai­té, je sous­cris plei­ne­ment à cette “mis­sive” car jus­qu’au corps BIATSS, cette spé­ci­fi­ci­té INSA nous la res­sen­tons pleinement.
    Phi­lippe Girard

  3. Beau­coup de choses à dire en réac­tion à cette lettre qui ne tien­dront mal­heu­reu­se­ment pas en un commentaire.
    S’il est dif­fi­cile de ne pas être d’ac­cord sur ce que l’IN­SA ne doit pas deve­nir, j’ai du mal à me recon­naitre dans le por­trait qui est dressé.

    En effet, il est dit par exemple que la rotonde est le lieu emblé­ma­tique du dépar­te­ment des Humanités.
    C’est faux. Et cela illustre à mon sens le point majeur qui est omis dans ce por­trait de l’é­cole : les étu­diants et leurs associations.
    Non, la Rotonde n’est pas gérée par les humas mais par la CGR, par des étu­diants dévoués et béné­voles. C’est une dif­fé­rence importante.
    Car cette tri­bune attri­bue, à mon sens, au dépar­te­ment des humas un rôle qu’il n’a pas. Les assos étu­diantes sont bien plus des lieux de “conver­gence et de ren­contre” que le dépar­te­ment des huma­ni­tés. Dans leur diver­si­té et dans la force de l’en­ga­ge­ment (tou­jours mal recon­nu) de leurs membres actifs, elles sont à l’o­ri­gine de la vie de cam­pus, d’i­ni­tia­tives cultu­relles et huma­ni­taires voire même d’in­no­va­tions tech­niques. Elles sont, fina­le­ment, le cœur même de notre for­ma­tion de citoyens actifs. (Et j’in­siste sur ce der­nier mot.)

    Ces 130 assos n’au­raient elles pas méri­té ne serait-ce qu’un paragraphe ?

    Pour­quoi je “chi­pote” sur la dis­tinc­tion assos/humas ?

    Parce qu’elle est fon­da­men­tale. Parce que nous, insa­liens, ne sommes pas consom­ma­teurs mais acteurs de notre for­ma­tions et de par les assos, archi­tectes d’une par­tie sa forme et de son conte­nu. Parce que s’il n’é­tait repré­sen­té que par ses cours, l’IN­SA ne serait pas la moi­tié de ce qu’il est aujourd’hui.

    Et c’est ce qui m’at­triste dans cette tri­bune. Elle ne donne pas aux étu­diants leur juste place dans l’é­cole. Elle parle de notre recru­te­ment, de ce que l’on nous enseigne, de la phi­lo­so­phie des fon­da­teurs. Mais jamais de ce que nous appor­tons, à l’ins­tar de nos ainés, à cette der­nière. Elle me donne l’im­pres­sion d’être per­çu comme un “consom­ma­teur” de ma for­ma­tion. Et je ne peux m’y résoudre.

    D’ailleurs, puis­qu’elle dénonce “des coûts rela­tifs à des acti­vi­tés autres que d’enseignement, engen­drés par diverses « mis­sions » dont la jus­ti­fi­ca­tion est sus­cep­tible de cri­tique, voire de contes­ta­tion.” et qu’elle ne fait nul­le­ment men­tion des acti­vi­tés asso­cia­tives. Je me demande même si les auteurs n’in­cluent pas les acti­vi­tés asso­cia­tives dans ces “acti­vi­tés autres qu’enseignements.”
    Ce qui, le cas échéant, sera una­ni­me­ment contes­té par la com­mu­nau­té étudiante.

    Enfin, der­nière ques­tion, pour­quoi avoir conju­gué la phrase sui­vante au passé ?

    ” Si l’excellence était le mot d’ordre, la com­pé­ti­tion ne jouait pas un rôle de sélec­tion ou de créa­tion d’une hié­rar­chie, d’une riva­li­té. L’esprit d’équipe comme ver­tu a de fait géné­ré un état d’esprit qui a pu être jugé comme une marque de fabrique de l’INSA.”

    En 5 ans d’IN­SA je n’ai connu nulle com­pé­ti­tion (mal­gré le sys­tème de ven­ti­la­tion en dépar­te­ment ridi­cu­le­ment péna­li­sant pour les der­niers de pro­mo­tion mis en place.) Nulle hié­rar­chie tant sociale que sco­laire entre les élèves et un esprit d’en­traide hyper pré­sent. Une vie sociale riche qui veille à ne lais­ser per­sonne der­rière. Fai­sant des iden­ti­tés de cha­cun une richesse. Sou­vent même, disons le, résis­tant à cer­tains excès de zèle. Cet esprit d’é­quipe est tou­jours pré­sent. Il est por­té et incar­né par les étu­diants et, plus géné­ra­le­ment, par l’en­semble de la com­mu­nau­té INSA. Etait-ce vrai­ment “mieux avant” ?

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