L’ère des technosciences, connaissance, réalité

        Nous vivons aujourd’hui dans des para­digmes mor­ti­fères. Nous pou­vons obser­ver le résul­tat de l’influence de l’esprit de l’ère des tech­nos­ciences par­tout dans notre monde. C’est un désastre humain. 

Il y a bien long­temps que l’esprit des sciences a renon­cé à décrire la réa­li­té, autre­ment la beau­té serait sans doute plus au cœur des ouvrages scien­ti­fiques. En effet, depuis Des­cartes, le mot science ne se rap­porte plus à l’ordre de la réa­li­té mais tout ce qui, au sein de la réa­li­té, repose sur des cer­ti­tudes quan­ti­fiables, mesu­rables, véri­fiables. Cela sup­pose une dicho­to­mie et donc néces­sai­re­ment une défor­ma­tion de la réa­li­té. La connais­sance des sciences modernes, c’est une connais­sance que nous sommes en mesure de domi­ner, c’est une connais­sance inerte sur laquelle nous pou­vons nous repo­ser et nous appuyer pour tech­ni­ci­ser le monde et le décryp­ter par une approche dif­fé­rente. Rien de mau­vais en cela : la tech­nique, la tech­no­lo­gie, la connais­sance au ser­vice de l’humain, c’est quelque chose de for­mi­dable. Tant de pro­grès effec­tués dans ce domaine pour sou­la­ger les souf­frances de l’homme, pour dimi­nuer les contraintes de la vie auquel il est sou­mis. C’est un poten­tiel énorme qui per­met éga­le­ment de rendre plus acces­sible la connaissance.

Nous pou­vons obser­ver le résul­tat de l’influence de l’esprit de l’ère des tech­nos­ciences par­tout dans notre monde. C’est un désastre humain.

        Mais si la tech­nique et la tech­no­lo­gie sont neutres dans leur signi­fi­ca­tion pro­fonde, elles influent sur le monde et l’esprit de l’homme qui les fait naître n’est pas neutre. Ain­si, comme le monde fut à cer­taines époques très influen­cé par cer­tains cou­rants de pen­sée ou par des reli­gions, notre époque consti­tue en quelque sorte l’âge de la reli­gion des sciences par une approche moderne. Son fon­de­ment, c’est que l’on peut connaître en igno­rant la rela­tion de l’objet d’étude et du cos­mos, que l’on peut connaître sans aimer. C’est un esprit qui nie la dimen­sion spi­ri­tuelle de l’homme dans l’approche d’une connais­sance véri­table. La connais­sance sans conscience n’est pour­tant pas une véri­table connais­sance. Notre regard influe sur le résul­tat de l’expérience, n’est-ce pas un apport essen­tiel de la phy­sique quan­tique ? La connais­sance sans rela­tion au monde pous­sée à l’extrême nous conduit à une recherche qui vise la domi­na­tion du monde dans le sens où la nature devient un réser­voir de res­sources pour satis­faire notre orgueil et notre désir froid d’accumulation de savoirs. Il appa­raît que notre rap­port à la connais­sance s’est dou­ce­ment per­ver­ti et l’ère des tech­nos­ciences, qui oriente notre tra­vail en favo­ri­sant la pro­duc­ti­vi­té et la quan­ti­té par­fois au détri­ment de la qua­li­té et du sens, ne nous aide pas à inver­ser la ten­dance. Les influences de la reli­gion de la science par une approche moderne sont bien pré­sentes dans nos esprits : qu’est-ce qu’un arbre ? Qu’est-ce que de l’eau ? Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que l’énergie ? Qu’est-ce que la matière ? Nous sommes peut-être ten­tés de répondre à ces ques­tions par des for­mules phy­si­co-chi­miques mais il faut bien avoir conscience que ces réponses ne sont pas la réa­li­té pro­fonde de ces choses qui demeurent des mys­tères liés entre eux au sein du cos­mos. Mais l’influence de l’esprit domi­nant est telle que peu seront prêts à accep­ter que ces for­mules dans un jar­gon scien­ti­fique ne soient pas la réa­li­té, si bien que, par orgueil, ce savoir occi­den­tal est sou­vent pré­ten­du supé­rieur à celui d’autres cultures. Et ce jusqu’à un point où, dans sa course à la pro­duc­ti­vi­té, ce savoir conduit au géno­cide de cultures où la rela­tion au temps et à la nature est vécue dif­fé­rem­ment. Cela est bien une mani­fes­ta­tion de l’absence de liber­té dans les para­digmes construits par l’esprit de l’ère des tech­nos­ciences. La catas­trophe va plus loin lorsqu’il s’agit de la des­truc­tion totale de la vie sur la Terre.

        Aujourd’hui, dans bien des domaines des sciences, les modèles semblent poser de grands pro­blèmes. Pour ne citer qu’en exemple : “L’univers est en train de dépas­ser toutes nos pré­vi­sions vis-à-vis de son expan­sion, et c’est très trou­blant” déclare Adam Riess, prix Nobel de phy­sique en 2011. Nous sommes arri­vés à un point où les scien­ti­fiques ne peuvent pro­gres­ser dans une des­crip­tion lacu­naire de la réa­li­té. Nous allons devoir repen­ser la phy­sique pour que celle-ci, comme le dit Pierre Teil­hard de Char­din soit “celle qui par­vien­dra, quelque jour, à inté­grer l’homme total dans une repré­sen­ta­tion cohé­rente du Monde”. La science est pro­fon­dé­ment bonne et noble, c’est incon­tes­ta­ble­ment une puis­sance sur laquelle l’homme peut comp­ter pour s’élever. C’est pour­quoi se sont sur ces ter­rains où il nous faut être le plus vigi­lant et por­ter un regard aux dimen­sions de la réalité.

L’univers est en train de dépas­ser toutes nos pré­vi­sions vis-à-vis de son expan­sion, et c’est très troublant.

Fran­çois Vandermersch

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