Faut-il faire barrage au FN ?

Si cer­tains sont déjà fixés sur leur vote au second tour, beau­coup hésitent encore. Faut-il faire bar­rage au FN ? Com­ment res­pec­ter sa morale et son éthique tout en expri­mant au mieux ses valeurs per­son­nelles ? Le choix n’est pas aus­si simple que semble le sous-entendre le mora­lisme du front répu­bli­cain, pourquoi ?

Comme en 2002, la droite et la gauche de gou­ver­ne­ment ont appe­lé à faire bar­rage au Front natio­nal. Les pre­miers son­dages donnent déjà Emma­nuel Macron vain­queur à envi­ron 60%. Pour­tant l’issue de l’élection est encore loin d’être déter­mi­née. En effet, la marge d’EM est beau­coup plus faible que celle de Jacques Chi­rac en 2002 qui avait atteint le score final de 82,21 %. Si les esti­ma­tions sur le “sur­saut répu­bli­cain” sont déjà rela­ti­ve­ment faibles, celui-ci pour­rait l’être encore plus en fonc­tion du niveau d’abstention, de votes blancs, nuls ou contes­ta­taires. Les élec­tions amé­ri­caines l’ont démon­tré, ces der­nières variables sont par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles à mesu­rer par un son­dage, et pour­raient créer une sur­prise. Le triom­pha­lisme du camp d’Emmanuel Macron, simi­laire en cer­tains points à celui d’Hillary Clin­ton avant sa défaite, est par consé­quent d’autant plus inapproprié.

La mon­tée du FN doit être obser­vée non pas par rap­port à la sur­ex­po­si­tion média­tique des der­nières années, mais par rap­port à ses scores réels depuis sa créa­tion. Si la mon­tée du FN est bien réelle depuis la crise, elle est bien moindre que celle de son expo­si­tion dans les médias (voir Figure 1). Face à ce constat, quel peut être l’inté­rêt des médias à jouer sur la peur du FN [1] ?

Figure 1 : Score FN entre 1973 et 2015, en haut en rela­tif par rap­port au total de suf­frages expri­més, et au total d’inscrits sur les listes élec­to­rales (la dif­fé­rence entre la courbe rouge et la courbe bleue cor­res­pond à l’abstention), en bas en nombre abso­lu de voix. Le FN com­mence à deve­nir un par­ti d’importance notable à par­tir des euro­péennes de 1984. Ses scores sont qua­si cycliques, plu­tôt éle­vés pen­dant les élec­tions euro­péennes et régio­nales, bat­tant des records pour les pré­si­den­tielles, et res­tant faibles pour les élec­tions locales. Les scores en nombre de voix sont qua­si-constants jusqu’en 2008. A par­tir de cette date, on observe une mon­tée de près de 30% pour les pré­si­den­tielle de 2012, mais sur­tout une explo­sion au niveau des élec­tions locales. Le par­ti s’oriente ain­si vers une stra­té­gie de ter­ri­to­ria­li­sa­tion. La pro­gres­sion est encore plus forte en score rela­tif du fait de l’abstention. Source : Slate [2].

Les élec­teurs d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen, ou les citoyens qui adhèrent aux idées de l’un des deux can­di­dats pour­ront effec­tuer un vote d’adhésion au second tour.  Pour les autres, des conces­sions seront à réa­li­ser quel que soit leur choix final (la suite de l’article ne concer­ne­ra direc­te­ment que ces der­niers). Si les consignes de vote des par­tis de gou­ver­ne­ment sont claires, le choix est loin d’être aus­si évident pour ces élec­teurs au vu des sacri­fices atten­dus dans chaque cas.

Faut-il faire barrage à Marine Le Pen ?

“Je vote­rai Emma­nuel Macron, pas parce que je le sou­tiens, mais parce que je suis contre la haine.”

Il s’agit du vote le plus effi­cace pour ceux qui sou­haitent empê­cher Marine Le Pen d’accéder à la pré­si­dence de la répu­blique en 2017. Cela est d’autant plus vrai, que l’incertitude sur l’issue du second tour n’est pas négli­geable. Pour ceux qui craignent les consé­quences de l’arrivée immé­diate au pou­voir du Front Natio­nal il existe bien un risque moral à ne pas voter EM.

Pourquoi ce n’est pas si simple ?

Tou­te­fois les sou­tiens directs d’Em­ma­nuel Macron et les votes bar­rages ne seront pas dif­fé­ren­ciés dans le sys­tème de suf­frage actuel. Concrè­te­ment, un vote EM contre Marine Le Pen peut donc ren­for­cer la légi­ti­mi­té d’EM, même si l’on n’adhère pas à son programme.

Le vote utile, ou le vote bar­rage, sont des adap­ta­tions de l’électorat aux contraintes du sys­tème de suf­frage actuel­le­ment en vigueur. Cette adap­ta­tion implique de sacri­fier ses valeurs per­son­nelles au nom d’une morale com­mu­né­ment admise : le front répu­bli­cain contre le front natio­nal. Gare à celui qui s’y oppo­se­ra [3], [4], [5].

Les mécanismes derrière le vote barrage

Si l’on observe l’évolution de notre démo­cra­tie sur les 30 der­nières années, le front répu­bli­cain a échoué à endi­guer la hausse du front natio­nal. Dans le même temps, la popu­la­ri­té des par­tis de gou­ver­ne­ment s’est effon­drée (voir Figure 2) sans pour autant que ceux-ci laissent place à des alter­na­tives autres que le FN. Leur rési­lience est d’autant plus remar­quable que ceux-ci res­tent au pou­voir mal­gré l’échec répé­té de leurs poli­tiques. Cette rési­lience est pos­sible grâce au front répu­bli­cain. En effet, ne pou­vant plus suf­fi­sam­ment créer l’adhésion par leurs pro­grammes, les par­tis de gou­ver­ne­ment récu­pèrent désor­mais les voix de l’électorat en jouant sur la peur du FN. Cette stra­té­gie est d’autant plus évi­dente au vu des gra­phiques Figure 1. Le FN réa­li­sait déjà des scores impor­tants sous Fran­çois Mit­ter­rand, mais l’idée de Front Répu­bli­cain est bien plus récente.  Quant au FN lui-même, il pour­rait être le prin­ci­pal gagnant de ce front à longue échéance. Celui-ci se retrouve en effet pré­sen­té à chaque reprise comme l’unique alter­na­tive, le débat sur la nature du chan­ge­ment ain­si éva­cué, l’électeur est alors confron­té à un choix binaire. Doit-il recon­duire ceux qui ont échoué et qui pro­posent pour­tant encore et tou­jours les mêmes poli­tiques ? Ou doit-il prendre le risque du chan­ge­ment incar­né par le Front Natio­nal ? À chaque ité­ra­tion suit une nou­velle dés­illu­sion, l’histoire se répète, le besoin de chan­ge­ment pro­gresse, et avec lui le Front Natio­nal.  Face à la menace, les par­tis de gou­ver­ne­ment s’adaptent en com­mu­ni­quant sur leur volon­té anti-sys­tème, même lorsque ceux-ci repré­sentent le sys­tème. Ils peuvent aus­si s’unir autour d’une idéo­lo­gie cen­triste “ni de droite ni de gauche”. Mais l’écart entre le dis­cours et la réa­li­té est sou­vent trop grand pour res­ter inaper­çu des élec­teurs, encou­ra­geant ici aus­si le vote FN. À terme, ce cercle vicieux ne semble pou­voir être bri­sé que par une réforme réelle des par­tis de gou­ver­ne­ment, par la vic­toire d’un par­ti vrai­ment alter­na­tif, ou par celle du FN [6].

Dans quelle caté­go­rie clas­ser “En Marche!” ? Repré­sente-il le reje­ton des par­tis de gou­ver­ne­ment désor­mais uni­fié, ou est-il ce par­ti alter­na­tif qui bri­se­ra le cercle ? Pour ceux qui pensent qu’EM appar­tient à la pre­mière caté­go­rie [7], un vote bar­rage ne per­met­trait pro­ba­ble­ment pas de bri­ser le cercle.

Figure 2 : Depuis le 2e man­dat de Fran­çois Mit­ter­rand la popu­la­ri­té moyenne sur un man­dat est en chute qua­si­ment constante. L’effondrement est par­ti­cu­liè­re­ment visible sous la pré­si­dence de Fran­çois Hol­lande. Source : Info­gra­phie du Nou­vel Obser­va­teur à par­tir de son­dages TNS Sofres [8].

 

Quelle responsabilité individuelle pour le vote blanc/nul ou l’abstention ?

“Si Marine Le Pen devient pré­si­dente, ce sera aus­si la faute de ceux qui auront déci­dé de s’abs­te­nir ou de voter blanc.

Cet argu­ment sou­vent uti­li­sé par les médias et les grands par­tis a pour objec­tif de faire culpa­bi­li­ser ceux qui ne sou­haitent pas faire bar­rage. Il est éga­le­ment repris par une bonne par­tie de la popu­la­tion qui tente de convaincre les élec­teurs indé­cis. S’ins­cri­vant dans la logique du “Ceux qui ne sont pas avec moi, sont contre moi”, ce mora­lisme éva­cue toute forme de réflexion et de choix alter­na­tif. En effet, si le risque de voir le FN rem­por­ter les élec­tions est bien réel, le degré de res­pon­sa­bi­li­té de ceux qui choi­si­ront de voter blanc ou de s’abs­te­nir reste  à définir.

La ques­tion est simi­laire au débat entre cer­tains des élec­teurs de Jean-Luc Mélen­chon et de Benoît Hamon. Les pre­miers accusent ain­si les seconds de la res­pon­sa­bi­li­té de la défaite de la gauche radi­cale. En effet, en unis­sant les scores de ses dif­fé­rents can­di­dats, celle-ci rem­porte haut la main le pre­mier tour. Connais­sant la défaite annon­cée de leur can­di­dat, pour­quoi les élec­teurs de Hamon n’ont-ils pas déci­dé de faire bar­rage aux can­di­dats du centre et de la droite ? La res­pon­sa­bi­li­té est loin d’être aus­si évi­dente que semble l’affirmer ces élec­teurs de Mélen­chon. Nombre d’é­lec­teurs de Benoît Hamon ont déci­dé de reje­ter le vote stra­té­gique parce qu’ils croyaient fer­me­ment en l’Union Euro­péenne, et qu’ils vou­laient expri­mer leurs convic­tions. Le droit de vote nous accorde un pou­voir, mais celui-ci reste très limi­té. La res­pon­sa­bi­li­té de l’échec de la gauche de la gauche est d’abord à attri­buer aux cadres du PS, des Insou­mis, et d’EELV. Elle dépend aus­si de fac­teurs sur les­quels l’in­di­vi­du n’a pas d’emprise, c’est à dire la force des évè­ne­ments, l’inertie des ins­ti­tu­tions, et le poids des struc­tures.

En cas de vic­toire du FN, ceux qui auront voté blanc ou se seront abs­te­nus auront bien une part de res­pon­sa­bi­li­té. Celle-ci res­te­ra tou­te­fois moins impor­tante que celle des élec­teurs du front natio­nal, et encore bien moindre par rap­port à celle de ceux qui ont favo­ri­sé sa mon­tée. Quelle res­pon­sa­bi­li­té don­ner en effet aux par­tis de gou­ver­ne­ment, et aux médias ? Aujourd’­hui, ceux-ci font uni­que­ment por­ter le poids de la défense de la démo­cra­tie contre le FN sur le vote citoyen. Mal­gré leur échec, les citoyens doivent une nou­velle fois leur sau­ver la mise. En ne pre­nant aucu­ne­ment acte de leurs mul­tiples erreurs, ceux-ci se dédouanent ain­si d’une res­pon­sa­bi­li­té pour­tant réelle. L’é­cran de fumée est déployé, si le FN passe, ce sera uni­que­ment la faute de ces mau­vais citoyens, qui votent blancs, s’abs­tiennent, ou votent Marine Le Pen en déses­poir de cause. En effet, pour­quoi recon­naître ses fautes quand l’on peut si faci­le­ment dési­gner un bouc émissaire ?

Faire barrage ou non, que choisir ?

Contrai­re­ment à ce que sous-entendent les consignes de vote, le choix de faire bar­rage ou non est avant tout un choix d’é­thique per­son­nelle indé­pen­dant d’une hypo­thé­tique morale répu­bli­caine. Il est le fruit d’un équi­libre entre volon­té d’exprimer ses valeurs per­son­nelles, et adap­ta­tion ration­nelle à la réa­li­té. Expri­mer celles-ci n’est pas pour autant pur idéa­lisme, il s’agit en effet aus­si d’une manière construc­tive de contes­ter le sys­tème en place, et d’être acteur du chan­ge­ment à plus long terme. Tou­te­fois, l’imminence de l’élection est plus tan­gible qu’un hypo­thé­tique futur loin­tain. Com­ment être cer­tain que son choix à long-terme aura les consé­quences atten­dues ? Si ce choix implique un sacri­fice poten­tiel à court-terme, en vaut-il réel­le­ment la peine ?

Si ne pas voter EM implique de cou­rir le risque de voir Marine Le Pen accé­der à la pré­si­dence de la répu­blique, faire bar­rage peut impli­quer le risque de ren­for­cer le sta­tu quo à moyen-terme, et par consé­quent le FN à long-terme. Pour ceux qui déci­de­ront de ne pas le faire, ici aus­si les choix res­tants ne sont pas si évidents.

Abstention ou vote blanc ?

“Entre choi­sir entre un mal, et un moindre mal, je pré­fère ne choi­sir aucun des deux.”

Qu’est ce qui est considéré comme vote blanc ?

Seule une enve­loppe vide, ou un bul­le­tin blanc pré­pa­ré par vos soins peut être consi­dé­ré comme un vote blanc. Tou­te­fois en fonc­tion des bureaux, les bul­le­tins blancs peuvent être refu­sés. Si vous sou­hai­tez être cer­tain que votre vote soit comp­té blanc, pré­fé­rez donc l’en­ve­loppe vide.  Tout autre bul­le­tin non offi­ciel, mul­tiple, ou pré­sen­tant une ins­crip­tion manus­crite sera consi­dé­ré comme nul. La ten­ta­tion peut par­fois être grande de faire un acte à por­tée sati­rique, ou de mettre le bul­le­tin de son can­di­dat pré­fé­ré du 1er tour. Le vote de ceux qui feront ce choix sera tou­te­fois comp­ta­bi­li­sé comme une erreur, c’est-à-dire un vote nul. Il ne sera donc pas recon­nu comme un vote contes­ta­taire par le minis­tère de l’intérieur. Si vous sou­hai­tez envoyer un mes­sage, le vote blanc semble donc plus construc­tif que le nul.

L’abstention

Très décriée, l’abstention reste néan­moins une forme d’expression poli­tique au même titre que le vote. Elle peut expri­mer un dés­in­té­res­se­ment vis-à-vis de la poli­tique ins­ti­tu­tion­nelle, mais aus­si une forme de contes­ta­tion vis-à-vis des ins­ti­tu­tions dans leur glo­ba­li­té, du mode de scru­tin, ain­si que des can­di­dats en place. Elle pré­sente l’avantage d’être visible dans les médias. Les chiffres du vote blanc, pour­tant pré­sen­tés par le Minis­tère de l’Intérieur, sont géné­ra­le­ment peu com­mu­ni­qués, là où ceux de l’abstention font la une de la presse. Si s’abstenir per­met d’envoyer un mes­sage, il est tou­te­fois impos­sible de dif­fé­ren­cier l’abstention dû au dés­in­té­res­se­ment, de l’abstention contes­ta­taire. Le mes­sage des contes­ta­taires, bien que visible, perd donc de sa force et se retrouve faci­le­ment atta­quable par les adver­saires de l’abstention.

L’abstention de contes­ta­tion est une adap­ta­tion aux réa­li­tés du sys­tème actuel. Elle est le résul­tat du manque de visi­bi­li­té et de pou­voir juri­dique du vote blanc. Celui-ci devrait pour­tant être l’instrument légi­time de ce type de contestation.

Le vote blanc

Depuis 2014, les votes blancs sont sépa­rés des votes nuls et comp­ta­bi­li­sés à part dans les élec­tions [9]. Tou­te­fois, si le vote blanc est mesu­ré, il ne per­met pas actuel­le­ment d’in­va­li­der une élec­tion. Son unique pou­voir est de dimi­nuer la légi­ti­mi­té des can­di­dats en lice. Pour connaître les chiffres du vote blanc, vous pou­vez consul­ter le site du Minis­tère de l’Intérieur.

Si les votes blancs avaient été consi­dé­rés comme équi­va­lents aux autres suf­frages au moment de l’élection de Fran­çois Hol­lande en 2012, l’élection aurait pu être inva­li­dée. En effet, d’après la consti­tu­tion le pré­sident de la répu­blique doit être élu à la majo­ri­té abso­lue, c’est-à-dire 50 % plus une voix. Ain­si, avec prise en compte de l’ex­pres­sion du vote blanc, celui-ci aurait repré­sen­té 5,8 % des voix, et Fran­çois Hol­lande aurait eu un score 48,6 % [10]. Une telle mesure aurait ten­dance à inva­li­der une grande par­tie des élec­tions. Les défen­seurs du vote blanc pro­posent donc d’in­té­grer l’ex­pres­sion du vote blanc dans la consti­tu­tion de manière moins radi­cale. Une élec­tion pour­rait par exemple se trou­ver inva­li­dée si le vote blanc réa­li­sait plus de 50 % des suf­frages exprimés.

Ce vote reste la manière la plus claire d’exprimer le refus de sou­te­nir les can­di­dats en lice. Il n’est pas pour autant une simple pos­ture d’expression de ses valeurs per­son­nelles. Le vote blanc peut lui aus­si être construc­tif sur le long-terme. En effet, il ren­force la légi­ti­mi­té d’une éven­tuelle réforme amé­lio­rant sa prise en compte, mais aus­si d’une réforme plus glo­bale de nos ins­ti­tu­tions et du mode de scrutin.

Le vote contestataire

“Je ne me sens pas écou­té, je veux envoyer un mes­sage, et voter Marine Le Pen me semble être deve­nu l’unique moyen d’être entendu.”

“De toute façon, si Emma­nuel Macron passe en 2017, Marine Le Pen gagne­ra la pré­si­den­tielle en 2022. Le can­di­dat que je vou­lais voir au second tour n’est pas pas­sé, autant en finir maintenant.”

Encore plus décrié que l’abstention, le vote contes­ta­taire pré­sente lui aus­si une manière de se faire entendre. Il est sou­vent ali­men­té par la volon­té de ren­ver­ser le sta­tu quo : le pro­blème c’est l’immobilisme. Il exprime une cer­taine forme de déses­poir : le sys­tème en place ne per­met­trait pas l’émergence d’une alter­na­tive pro­gres­siste. Il vau­drait mieux un mau­vais chan­ge­ment, que pas de chan­ge­ment du tout. Une fois le sta­tu quo ren­ver­sé, le pro­gres­sisme pour­rait de nou­veau émer­ger des cendres du sys­tème, les incon­nues prin­ci­pales étant la durée de la tran­si­tion, la vio­lence et les dégâts pro­vo­qués par celle-ci.

Une telle ana­lyse repose sur plu­sieurs hypo­thèses contestables :

  • une alter­na­tive pro­gres­siste ne peut pas émer­ger dans le sys­tème actuel ;
  • le coût de la tran­si­tion par le FN est infé­rieur au coût de l’immobilisme.

Les limites du vote stratégique

Si le vote bar­rage repré­sente une stra­té­gie d’endiguement du FN dans l’urgence, le vote contes­ta­taire repré­sente quant à lui la stra­té­gie d’ex­pres­sion des plus déses­pé­rés. Son carac­tère poten­tiel­le­ment des­truc­teur montre d’autant plus les limites de l’utilisation de toute forme de vote stratégique.

Bien sou­vent, plu­tôt que de défendre nos valeurs per­son­nelles, nous nous prê­tons ain­si à une ana­lyse pros­pec­tive de ce que sera la France dans les années à venir. La réflexion de cha­cun abou­tit à dif­fé­rents scé­na­rios poten­tiels en fonc­tion des infor­ma­tions à dis­po­si­tion. Le choix du vote est ensuite déter­mi­né de manière stra­té­gique en fonc­tion des scé­na­rios identifiés.

Le vote stra­té­gique pré­sente néan­moins de nom­breuses failles. Tout d’abord, tout le monde est loin d’être à éga­li­té d’information au moment de son ana­lyse. Les infor­ma­tions elles-mêmes peuvent être mani­pu­lées par les son­dages ou les intox. L’a­na­lyse est ensuite par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile, et peut être faci­le­ment biai­sée. Les meilleurs experts eux-mêmes se trompent. L’avenir est aus­si de plus en plus impré­vi­sible. Les crises actuelles ont fait entrer le monde dans une grande période d’instabilité qui brouille toute forme de pré­vi­sion à moyen-terme. Et quand bien même la pré­vi­sion est juste, encore faut-il que la stra­té­gie adop­tée ait les effets escomptés.

Sur quoi devons-nous alors baser notre vote ? Devons-nous nous effor­cer d’établir une pré­vi­sion afin de réa­li­ser le meilleur choix stra­té­gique ? Au vu de l’incertitude de cette ana­lyse, que vaut cette pré­vi­sion et la stra­té­gie qui en découle ? S’il est impos­sible de pré­voir l’avenir, il est tout à fait pos­sible d’identifier les valeurs que l’on sou­haite défendre. Lorsque l’incertitude se fait plus forte, il n’y a donc rien d’immoral à trou­ver refuge dans la défense de celles-ci. Le rôle du vote n’est-il de trans­mettre la volon­té des citoyens aux ins­ti­tu­tions ? Com­ment nos volon­tés peuvent-elles être trans­mises si nous nous auto­cen­su­rons par choix stratégique ?

Le vote de convic­tion pour­rait donc être plus défen­dable que le vote stra­té­gique. Il per­met en effet d’en­voyer un mes­sage clair dans une réa­li­té com­plexe, où la stra­té­gie n’est pas tou­jours à même de por­ter ses fruits. Il per­met aus­si de conser­ver une cer­taine indé­pen­dance vis-à-vis d’in­fluences exté­rieures telles que les son­dages ou les intox. Il est d’au­tant plus défen­dable dans le cas pré­sent, que la morale répu­bli­caine joue sur nos peurs et nos émo­tions. Ce fai­sant, elle bloque toute réflexion et nous rend par consé­quent plus vul­né­rables aux adver­saires de la démo­cra­tie sous toutes leurs formes. Le front répu­bli­cain n’est pas seule­ment un bar­rage au FN, il est aus­si un bar­rage à toute autre alter­na­tive de vote ou de pen­sée. Com­ment pour­rait-il dès lors repré­sen­ter les valeurs de la Démocratie ?

Le mode de scrutin actuel en cause ?

Les dilemmes pré­sen­tés dans cet article montrent les limites de notre sys­tème de scru­tin actuel. Pour­tant, des solu­tions tech­niques existent déjà, tel que le juge­ment majo­ri­taire. Ces alter­na­tives pro­posent de limi­ter le poids du vote stra­té­gique et d’augmenter celui du vote de convic­tion. Qu’attendons-nous pour les tester ?

Pour plus d’informations sur le sujet :

Une vidéo de Scien­ceE­ton­nante : https://www.youtube.com/watch?v=ZoGH7d51bvc

L’initiative jugementMajoritaire2017 : https://www.jugementmajoritaire2017.com/

Bibliographie

[1]       « (40) Hori­zon — La France a peur: le syn­drome du grand méchant monde — You­Tube ». [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.youtube.com/watch?v=8WiiqssAME4. [Consul­té le: 26-avr-2017]. [2]       « De 1973 à 2015, qua­rante ans d’évolution des scores du FN en un gra­phique », Slate.fr. [En ligne]. Dis­po­nible sur: http://www.slate.fr/story/99391/graphique-evolution-scores-fn. [Consul­té le: 26-avr-2017]. [3]       M. Meteyer, « Le refus de Mélen­chon de sou­te­nir le «front répu­bli­cain» décrié », Le Figa­ro, 24-avr-2017. [4]       « Chro­nique d’un orphéon média­tique », Le Monde diplo­ma­tique, 01-juin-2002. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.monde-diplomatique.fr/2002/06/ROSKIS/8995. [Consul­té le: 24-avr-2017]. [5]       « Mytho­lo­gie du front répu­bli­cain », Le Monde diplo­ma­tique, 01-mars-2015. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.monde-diplomatique.fr/2015/03/GOMBIN/52740. [Consul­té le: 26-avr-2017]. [6]       « Les fenêtres de l’histoire », Le Monde diplo­ma­tique, 19-avr-2017. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://blog.mondediplo.net/2017–04-19-Les-fenetres-de-l-histoire. [Consul­té le: 24-avr-2017]. [7]       « Macron, le spasme du sys­tème », Le Monde diplo­ma­tique, 12-avr-2017. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://blog.mondediplo.net/2017–04-12-Macron-le-spasme-du-systeme. [Consul­té le: 24-avr-2017]. [8]       « INFOGRAPHIE. Le com­pa­ra­teur de popu­la­ri­té des pré­si­dents », L’Obs. [En ligne]. Dis­po­nible sur: http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20140207.OBS5507/infographie-le-comparateur-de-popularite-des-presidents.html. [Consul­té le: 24-avr-2017]. [9]       « Abs­ten­tion, vote blanc et vote nul : quelles dif­fé­rences ? — Le droit de vote, depuis quand et com­ment ? Décou­verte des ins­ti­tu­tions — Repères — vie-publique.fr », 19-sept-2016. [En ligne]. Dis­po­nible sur: http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/participation/voter/droit-vote/abstention-vote-blanc-vote-nul-quelles-differences.html. [Consul­té le: 25-avr-2017]. [10]     « 2 000 000 de Votes Blancs/Nuls ! », Citoyens du Vote Blanc, 07-mai-2012.

Cet article est libre de droit. Vous pou­vez le par­ta­ger et l’u­ti­li­ser comme vous le souhaitez.

6 Comments

  1. Solide, tres solide article. Lachez rien l’In­sa­tiable, vous faites un super boulot.

  2. Mer­ci les insa­tiables, grâce à vous je vais pou­voir répondre à mes potes qui ont essayé de me faire culpa­bi­li­ser parce que je refu­sais de “voter utile”; ils sont allés jus­qu’à me trai­ter d’ ”irres­pon­sable”.
    Comme tou­jours, votre article est divi­ne­ment bien construit et ren­sei­gné, c’est un réel plai­sir de vous lire, et un sou­la­ge­ment de pou­voir mettre des mots sur mes pensées.
    La bise.

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