Concours de nouvelles 2017 : « 21 »

« 21 », un seul nombre pour résu­mer un anni­ver­saire qui compte par­ti­cu­liè­re­ment dans une vie qui n’en comp­te­ra pro­ba­ble­ment que peu. Voi­là une nou­velle poi­gnante qui a su émou­voir le jury de l’é­di­tion 2017 de notre concours de nouvelles.

Ma col­loc et meilleure amie s’ap­pelle Léa. C’est une des per­sonnes les plus extra­or­di­naires vivant sur cette pla­nète. Aujourd’­hui, c’est son vingt-et-unième anni­ver­saire. Assise sur son lit et per­due dans ses pen­sées, je viens de l’en­tendre mar­mon­ner “Moi, je suis contre la démo­cra­tie…”. Plu­tôt ori­gi­nal pour com­men­cer une jour­née comme celle-ci.

“JOYEUX ANNIVERSAIRE !” lui hur­lais-je, en entrant et sau­tant partout.

Elle me remer­cie vague­ment. C’est donc un mau­vais jour. Un de ceux qui donnent envie de res­ter au chaud sous sa couette, avec des peluches et du cho­co­lat, tout en regar­dant une bonne série. Un de ces jours où même le plus beau des soleils ne pour­rait éclip­ser les nuages de nos cœurs. Léa connaît ça, peut-être plus sou­vent que la moyenne des gens dits “ordi­naires”. Sou­vent, j’y pense.

Fai­sons un petit jeu. Connais­sez-vous la muco­vis­ci­dose ? C’est une mala­die géné­tique rare qui rend le mucus vis­queux, comme son nom l’in­dique. Connais­sez-vous le nombre de per­sonnes atteintes de cette mala­die en France ? 6585 recen­sées en 2015, soit envi­ron 90% des patients. Connais­sez-vous l’âge moyen des per­sonnes atteintes de muco­vis­ci­dose ? Non, fina­le­ment cette ques­tion n’est pas impor­tante. Je doute énor­mé­ment en ce moment, mais il y a une chose dont je suis cer­taine ; la pro­ba­bi­li­té que cette putain de muco­vis­ci­dose tombe sur Léa était faible.

Sur son lit, il y a Cas­ting. C’est le léo­pard en peluche que je lui ai offert la semaine der­nière, en tant que cadeau d’an­ni­ver­saire en avance. Sur un coup de tête, nous sommes allées pas­ser un cas­ting de figu­ra­tion pour le pro­chain film de San­drine Kiber­lain. Cette jour­née pas­sée toutes les deux à idéa­li­ser nos futures car­rières dans le ciné­ma et à faire les maga­sins nous a rem­plies de souvenirs.

Enfin, une car­rière dans le ciné­ma… Com­ment ima­gi­ner un ave­nir, lorsque tu ne sais pas de quoi demain sera fait ? Gré­go­ry Lemar­chal est mort à vingt-trois ans, en 2007, des suites de sa muco­vis­ci­dose. J’é­tais jeune, mais je me rap­pelle avoir pen­sé que ce n’é­tait pas grave, que de toute façon je ne l’ai­mais pas dans la Star Ac’. Outre mon rai­son­ne­ment com­plè­te­ment enfan­tin et pué­ril, impos­sible de pen­ser la même chose aujourd’­hui. Vingt-trois ans, c’est seule­ment trente-six mois de plus que moi. Ce n’est pas la moi­tié de cin­quante ans. Ce. N’est. Pas. Suffisant.

Ce midi, comme chaque jeu­di midi, nous retrou­ve­rons notre groupe d’a­mis au res­tau­rant uni­ver­si­taire. Adrien sera là. Depuis plus d’un an, je n’ar­rive pas à le faire sor­tir de ma tête. Pour­tant, il semble com­plè­te­ment dés­in­té­res­sé de moi… Mais mes pro­blèmes sont futiles. Com­ment puis-je me plaindre de ce que j’ai ? Je suis en bonne san­té, j’ai des amis géniaux et ma famille se prive finan­ciè­re­ment pour que je puisse réus­sir mes études.

Il suf­fit pour­tant d’une goutte d’eau pour que tout déborde en moi. Que ce soit le manque cruel de réponses d’A­drien à mes mes­sages ou un SMS de Léa sor­tant de l’hô­pi­tal qui me dit que son état est pire que ce qu’elle pen­sait. C’é­tait le cas la semaine der­nière. Elle y retourne demain et j’ai un peu peur, comme tou­jours. Je ne peux m’empêcher de pen­ser au pire. Elle me dit de ne pas m’in­quié­ter, que ça va s’ar­ran­ger. J’ai­me­rais la croire, mais il n’existe aucun trai­te­ment défi­ni­tif à sa mala­die. Tu nais avec, tu meurs avec. La vie est par­fois une emmer­deuse. Le pro­blème est que tu dois faire avec. Impos­sible de lui rendre les claques qu’elle te met.

Dans quelques minutes, nous allons retrou­ver nos amis, dans quelques minutes je devrai faire comme si de rien n’é­tait. Nous allons fêter l’an­ni­ver­saire de Léa, Adrien sera pro­ba­ble­ment assis en face de moi. Ne sur­tout pas pen­ser qu’un anni­ver­saire de plus est aus­si une année de plus. Ne sur­tout pas pen­ser qu’une année de plus, c’est beau­coup dans cer­taines vies. Ne sur­tout pas pen­ser que cer­taines vies sont plus courtes que d’autres.

“Allez debout, il est déjà midi et cette jour­née doit être magnifique !”

Hors de ques­tion de pas­ser une jour­née d’an­ni­ver­saire à se morfondre.

Angèle Bro­din

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