L’inventaire des métiers disparus

Ah je vous atten­dais … Venez jeter un œil à mon vieil alma­nach. J’ai écrit l’Inventaire des métiers per­dus en 2040 pour gar­der une trace des métiers de ma jeu­nesse ah ah ah ! C’est fou comme le temps file…

Sacré Je ! Les métiers sont une vraie dia­ble­rie ! Tout évo­lue, tout le temps, à grand bruit ou sans remous, vio­lem­ment ou bien pia­nis­si­mo. Hmmm … Aujourd’hui en 2065, on ne peut pas exer­cer le même métier toute sa vie, il aura dis­pa­ru bien avant. C’est pour faire face à cette héca­tombe qu’existe l’Inventaire des métiers, pour consi­gner le pas­sé sur du papier et gar­der la pos­si­bi­li­té de tirer une leçon de l’Histoire.

Le vieil homme sai­sit un gigan­tesque codex sur son éta­gère et l’abat avec fra­cas sur son bureau. La pous­sière recou­vrant la cou­ver­ture est balayée par son souffle éton­nam­ment vigou­reux. Le voi­là qui l’ouvre au hasard.

Regar­dez par exemple, la tech­no­lo­gie est la véri­table fau­cheuse des métiers, quoi qu’elle soit aus­si for­te­ment créa­trice ah ah ah ! Mais regar­dez c’est incroyable non ? Secré­taires, comp­tables, admi­nis­tra­tifs, res­sources humaines … Tous ont été ava­lés par nos ordi­na­teurs intel­li­gents, une véri­table révolution !

Il feuillette avi­de­ment son ency­clo­pé­die, s’arrêtant sur les anec­dotes les plus croustillantes :

Hou ! Voyez ici les ingé­nieurs et desi­gners qui ont per­du le goût et l’utilité de leur tra­vail à force de créer chaque semestre une nou­velle gamme d’ordinateurs, de télé­phones, de voi­tures, de vête­ments ou de meubles en bois. Comme si la socié­té n’était jamais satis­faite d’un pro­duit, il lui fal­lait en per­ma­nence de nou­velles idées, de nou­veaux essais, de nou­velles cou­leurs, de nou­velles formes ? Éton­nant tout de même !

Ah ceux-là sont mes pré­fé­rés ! Cer­tains métiers ont dis­pa­ru ou plu­tôt ont été inter­dits ! Pour­quoi vous dîtes ? Je crois bien qu’ils ont été jugés tel­le­ment absurdes ou inéga­li­taires que la légis­la­tion a chan­gé pour les inter­dire. Pre­nez le publi­ci­taire dont le métier consis­tait à mani­pu­ler consciem­ment ses contem­po­rains pour leur faire ache­ter des pro­duits dont ils n’avaient par­fois même pas besoin. Ou bien les métiers de la… de la sfé­vu­la­tion ? Qui est le cochon qui a écrit ce livre ? Je sais bien que c’est moi mais tout de même, un peu d’effort ! Ah mais ça me revient, ces métiers dont l’essence même consis­tait à parier sur le futur de biens réels et même fic­tifs. Ils s’enrichissaient for­te­ment, par­fois sur le mal­heur des autres mais le plus incroyable dans tout cela, c’est qu’ils ne pro­dui­saient rien de réel ! Rien que d’y pense, j’ai envie de m’esclaffer ! Ima­gi­nez un peu … Vous gagnez de l’argent, un tas d’argent, en étu­diant et pré­di­sant l’évolution des valeurs et des prix des matières pre­mières, des biens immo­bi­liers, des parts d’industries, des dettes des pays et même

Leurs salaires étaient deve­nus tels qu’ils ont été vio­lem­ment inter­dits en 2041 après la révé­la­tion par le jour­nal Richer and mea­ner de plu­sieurs scan­dales. C’était une sacrée BOMBE vous pou­vez me croire !


Ah et les pro­blèmes éthiques aus­si ! Les chi­mistes, les com­mer­ciaux, les ingé­nieurs qui tra­vaillaient pour l’industrie cos­mé­tique ou agroa­li­men­taire et qui ven­daient par­fois à l’époque des pro­duits dés­équi­li­brés ou conte­nant des sub­stances toxiques.

Je me sou­viens aus­si que, lorsque j’avais 25 ans, peu importe l’endroit où vous tra­vailliez, vous aviez au-des­sus de votre épaule, une armée de supé­rieurs hié­rar­chiques épiant vos faits et gestes, rédi­geant des rap­ports sur la pro­duc­ti­vi­té, orga­ni­sant des réunions en per­ma­nence, vous deman­dant de rendre des comptes à la hié­rar­chie … Cela pou­vait même aller jusqu’aux conseils sur com­ment faire cor­rec­te­ment notre propre tra­vail … ça attei­gnait des som­mets ! Tout cela pour col­ler à une défi­ni­tion idéo­lo­gique de l’organisation au tra­vail. Quelle absur­di­té quand j’y repense ! Je vous assure que cela me plon­geait dans des colères noires à l’époque ! Après nombre de pots cas­sés, de ser­vices entiers empoi­son­nés et de tra­vailleurs dépi­tés par ce mode de fonc­tion­ne­ment, les cadres se sont éven­tuel­le­ment ren­du compte de l’inefficacité de ces méthodes. Les entre­prises, les ins­ti­tu­tions et leurs diri­geants ont arrê­té d’eux-mêmes de recru­ter et de créer ce genre de postes. L’échelle hié­rar­chique s’est faite rac­cour­cir de nom­breux bar­reaux super­flus. Quelle vic­toire c’était pour moi qui m’étais acti­ve­ment éle­vé contre ces méthodes ! C’est gran­diose d’avoir pu obser­ver cela de mon vivant.

A ces mots, le vieil homme entre dans une pro­fonde réflexion, ces yeux se per­dant dans le vague, le décor s’effaçant tout autour de lui. Après plu­sieurs minutes, il émerge soudainement.

À chaque fois que je me replonge dans cet alma­nach, je ne peux empê­cher les sou­ve­nirs et la nos­tal­gie de m’assaillir … Vous êtes tou­jours là ? Il n’y a pas de minute à perdre ! Pro­fi­tez du tra­vail tant qu’il est encore temps ! Bien­tôt votre métier n’existera plus.

Simon

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