Ces clichés sur les troubles du comportement alimentaire

Les troubles du com­por­te­ment ali­men­taires — TCA pour les intimes — dési­gnent des psy­cho­pa­tho­lo­gies qui touchent au rap­port que le sujet entre­tient avec l’a­li­men­ta­tion. Les deux plus connus d’entre eux sont l’a­no­rexie et la bou­li­mie, et bien sou­vent, leur évo­ca­tion fait appel à des ima­gi­naires qui ne reflètent qu’une par­tie de la réalité.

Des maux parfois méconnus

Si l’a­no­rexie est de loin le plus média­ti­sé des TCA et que la bou­li­mie est assez connue, d’autres troubles existent éga­le­ment, tels l’hy­per­pha­gie bou­li­mique ou encore l’orthorexie.

L’a­no­rexie consiste en la res­tric­tion ali­men­taire, dans la crainte d’une prise de poids. La bou­li­mie et l’hy­per­pha­gie bou­li­mique se carac­té­risent par des envies fré­né­tiques condui­sant à des inges­tions de grandes quan­ti­tés de nour­ri­ture de manière com­pul­sive, mais la bou­li­mie com­porte éga­le­ment des conduites pur­ga­tives telles que les vomis­se­ments, la prise de laxa­tifs ou une acti­vi­té spor­tive exces­sive, ce qui n’est pas le cas de l’hy­per­pha­gie bou­li­mique. Ces trois-là sont les plus impor­tants. L’or­tho­rexie cor­res­pond elle à la volon­té obses­sion­nelle de n’in­gur­gi­ter que des ali­ments sains. On estime que plus de 10 % des per­sonnes atteintes en meurent, en par­ti­cu­lier dans les cas de bou­li­mie ou d’hy­per­pha­gie bou­li­mique, à cause de pro­blèmes car­diaques ou lorsque la mala­die conduit au sui­cide. Ce ne sont donc pas des troubles à prendre à la légère, encore moins des modes de vie.

Les difficultés du diagnostic, et donc de la compréhension

Que notre état men­tal et notre bien-être glo­bal influencent notre rap­port à la nour­ri­ture n’a rien de patho­lo­gique : vous n’êtes pas bou­li­mique si, pris‑e par le stress, vous vous atta­quez à votre pot de pâte à tar­ti­ner le week-end pré­cé­dant les par­tiels, et vous n’êtes pas ortho­rexique si vous pre­nez la réso­lu­tion de man­ger un peu plus sai­ne­ment. C’est seule­ment lorsque ces com­por­te­ments deviennent obses­sion­nels et/ou habi­tuels qu’il appar­tient de se poser la ques­tion des TCA. Néan­moins, cela montre que savoir si une per­sonne est — ou n’est pas — atteinte d’un trouble du com­por­te­ment ali­men­taire, relève d’une ques­tion de cur­seur : com­ment poser la limite entre un rap­port à la nour­ri­ture qui soit sain et un autre qui est patho­lo­gique ? Dif­fi­cile pour une per­sonne peu infor­mée de faire la dif­fé­rence et donc de repé­rer un TCA chez un proche, mais éga­le­ment de com­prendre le proche vic­time de TCA. Cepen­dant, des tests per­mettent de détec­ter de poten­tiels troubles, tel le ques­tion­naire SCOFF qui peut être employé par les non-pro­fes­sio­nel-le‑s((http://www.tasanteenunclic.org/nutrition/test-scoff/)). Cela peut ain­si amor­cer une éven­tuelle consul­ta­tion, un diag­nos­tic et fina­le­ment une prise en charge médi­cale et psy­cho­lo­gique qui est néces­saire : la famille et les proches, même armés de bonne volon­té, ne peuvent résoudre tous les problèmes.

Une vision parfois erronée du problème

Notre ima­gi­naire lié aux TCA peut nous conduire à uti­li­ser le voca­bu­laire qui y est asso­cié d’une manière non appro­priée. Les consé­quences de nos erreurs invo­lon­taires paraissent minimes, mais ne sont pas ano­dines. Par exemple, le mot « ano­rexique » est par­fois employé à tort ou à rai­son pour dési­gner une jeune fille très mince, et pour beau­coup, une telle per­sonne est plu­tôt une ado­les­cente qui cherche à res­pec­ter les canons de beau­té impo­sés par la société.

Cepen­dant, cette image reste une vision limi­tée des faits : si la pré­va­lence de la mala­die chez les ado­les­centes n’est pas à nier, la repré­sen­ta­tion com­mune rend moins visible le fait que cer­taines des per­sonnes atteintes sont de sexe mas­cu­lin, et que les TCA peuvent se déclen­cher et/ou per­du­rer après l’a­do­les­cence. Quant à la ques­tion de l’ap­pa­rence, s’il est vrai que les pres­sions sociales pous­sant à recher­cher la min­ceur (en par­ti­cu­lier pour les femmes) peuvent jouer un rôle dans l’ap­pa­ri­tion de la mala­die, il est assez réduc­teur de consi­dé­rer les ano­rexiques comme des ado­les­cent-e‑s obnu­bi­lé-e‑s par leur poids (si l’on pousse à l’ex­trême le cli­ché), alors que des causes géné­tiques ou hor­mo­nales de cette mala­die ont été détec­tées, et que la pri­va­tion de nour­ri­ture est sou­vent l’ex­pres­sion d’un mal-être, d’an­xié­té ou d’un sen­ti­ment de perte de contrôle sur sa vie chez le ou la malade. On évoque éga­le­ment assez rare­ment les troubles du com­por­te­ment ali­men­taires tou­chant les spor­tif-ve‑s de haut niveau, alors qu’ils et elles y sont par­ti­cu­liè­re­ment confron­té-e‑s, en par­ti­cu­lier dans les sports à caté­go­rie de poids ou dans les­quels l’ap­pa­rence rentre en compte dans la réus­site (gym­na­tique, danse…)((https://www.irbms.com/troubles-comportement-alimentaire-et-sport)).

Enfin, les trau­ma­tismes, y com­pris anciens, sont aus­si des fac­teurs de risque très impor­tants et fré­quents des TCA, de la même manière qu’ils aug­mentent le risque de conduites addic­tives telles la consom­ma­tion de drogues ou d’al­cool à excès. Par consé­quent, la solu­tion face aux TCA n’est pas d’es­sayer de chan­ger les habi­tudes ali­men­taires du patient — encore moins en usant de pres­sion — mais de s’at­ta­quer à la racine du pro­blème pour ame­ner le ou la patient‑e en per­sonne à les changer.

Pour lutter contre les clichés, respectons le ressenti des premièr-e‑s concerné-e‑s

Cer­tains milieux fémi­nistes uti­lisent le mot-valise mans­plai­ning (man + explai­ning) pour dési­gner la situa­tion où un homme explique à une femme quelque chose qui la concerne direc­te­ment, géné­ra­le­ment de façon pater­na­liste. Dans le cas des TCA, le mot EDsplai­ning, for­mé à par­tir du sigle anglo­phone pour Eating Disor­der, pour­rait être employé, tant de nom­breuses per­sonnes n’ayant qu’une connais­sance limi­tée du sujet se per­mettent de déli­vrer des réflexions assez sim­plistes : « les mannequins/filles minces sont toutes ano­rexiques » (et sa réci­proque, « les ano­rexiques font ça pour être minces/devenir mannequin/se faire remarquer/… »). D’autres remarques typiques peuvent être celles insi­nuant que les malades n’ont qu’à faire preuve d’un peu de volon­té face à la nour­ri­ture pour que tout s’ar­range : il suf­fi­rait ain­si que les ano­rexiques mangent, ou que les bou­li­miques se contrôlent, pour que leurs pro­blèmes disparaissent.

La solu­tion n’est mal­heu­reu­se­ment pas aus­si simple puisque, comme nous l’a­vons vu plus haut, le trouble du com­por­te­ment ali­men­taire n’est pas le pro­blème en lui-même, mais une de ses pos­sibles consé­quences. Ces sté­réo­types empêchent par­fois cer­taines per­sonnes de par­ler de leur trouble, de peur de s’at­ti­rer un scep­ti­cisme inva­li­dant du type « Tu ne peux pas être ano­rexique, tu n’es pas mince ». Or, il est impor­tant de recon­naître que la per­sonne est malade, et entendre le contraire peut lui lais­ser pen­ser qu’ef­fec­ti­ve­ment tout va bien, et que sa conduite ali­men­taire n’est pas à risque, ce qui est bien enten­du faux.

En résu­mé, face à un sujet tel que celui-ci, encore char­gé à l’heure actuelle de nom­breux sté­réo­types, il convient de 1) s’in­for­mer pour élar­gir nos repré­sen­ta­tions men­tales, en par­ti­cu­lier lorsque nous y sommes confron­té-e‑s, et 2) lais­ser la parole aux concer­né-e‑s, qu’ils ou elles soient gué­ri-e‑s ou non, afin de pou­voir entendre leur res­sen­ti et ne pas pré­tendre en savoir plus qu’eux sur ce qu’ils et elles subissent. Cela nous per­met­tra de ces­ser les juge­ments, et de les encou­ra­ger à cher­cher une aide qui ne peut être appor­tée que par les spécialistes.

N.B. Je remer­cie Mme Del­phine Ber­nard, pré­si­dente de l’as­so­cia­tion Le regard du miroir, pour ses relec­tures cri­tiques de cet article et les pré­cieuses infor­ma­tions qu’elle a fournies.

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