Une grande guerre se préparait en France. Dans chaque région de valeureuses combattantes s’entraînaient des jours entiers, enchainant des exercices physiques et intellectuels toujours plus difficiles. Toutes rivalisaient de vertus et démontraient une motivation de fer, bien que la peur de la défaite traversât de temps en temps leurs esprits combatifs.
Il n’y aurait qu’un seul vainqueur à l’issue de cette guerre, il fallait que ce soit elles.
Bientôt il faudrait monter au front, et ces petites guerrières frémissaient d’appréhension et d’impatience. La peur de l’échec refaisait surface, puis la pensée de repartir victorieuse, de pouvoir rentrer chez soi en héros les rassurait. Elles s’efforçaient d’y croire. Chacune se racontait les rêves qu’elle pourrait réaliser une fois vainqueur, ou tentait de voir les aspects positifs de cette expérience particulière, quel que soit son dénouement. La tension montait, les uniformes inconfortables les démangeaient, leurs pieds s’engourdissaient d’attendre et on se tenait raide et droite. Ces guerrières d’habitude si disciplinées commencèrent à s’agiter. On se souhaita bonne chance plutôt que bon courage. Après tout, la victoire relevait plus de la chance que du courage face à autant de clones aussi bien armés.
Le nom victorieux retentissait dans leurs oreilles quand on les appela au front. On se sentait déjà couronnée de gloire, s’imaginant acclamée par une foule en admiration, on se sentait importante et on avançait plus que jamais vers son idéal, déterminée à remporter cette bataille. C’était une bataille face au monde, aux pièges imprévus, aux questionnements, mais aussi face à soi-même. Les petites conquérantes voulaient se prouver leur valeur, pour leur ego et leur amour-propre. Fallait-il compter sur un effet de surprise ? La bataille commença, un soleil aveuglant tapant sur la plaine.
Des journalistes courageux vinrent s’informer sur la situation des combattantes pour leurs familles et pour tous les Français qui attendaient les nouvelles devant leur télévision. Alors, pour ne pas faire perdre espoir à ses proches, on fît figure haute et on sourit, certain de gagner. Depuis leurs écrans, les Français étaient suspendus aux paroles des combattantes retransmises par les journalistes, ils étaient impressionnés et fiers.
Les personnes de pouvoir s’assuraient de garder le moral des spectateurs haut et pratiquaient une lobotomie efficace. La télévision leur montrait les moments difficiles, ajoutant un suspens cinématographique pour en faire ressortir la beauté des succès.
Sur le front la bataille fut sans merci. Partout en France tombèrent des malheureuses, dans des pleurs et des râles étouffés. Ce n’était que les premières, et rapidement de nombreuses camarades au visage barbouillé les suivirent dans cette voie tragique. Parce que l’esprit ne l’emporte pas sur les armes, beaucoup de belligérantes avisées, mais moins bien équipées physiquement s’écroulèrent au combat. Pas un moment pour souffler, beaucoup de déceptions, de larmes, mais aussi des fois quelques rires complices dans les tranchées. On jugeait un peu, la belle Alsace, métisse, se démarquait. Dynamique elle gagnait du terrain dans de grandes enjambées.
Finalement, après beaucoup de luttes acharnées et d’attentes, les 30 dernières guerrières se tinrent enfin seules, les pieds meurtris, sur le front tapissé de rouge. Un silence angoissant et une excitation peu dissimulée s’installèrent sur la plaine. Lisa, qui depuis son fauteuil avait suivi de près tous les épisodes de cette grande guerre, fixait la télévision d’un regard fiévreux, les muscles tendus et la mâchoire crispée. Un homme en costume tenant un papier prononça un nom.
Alors, le monarque 2016 se leva à contrecœur et donna sa couronne à la conquérante élue, lui cédant aussi son trône. Tandis que les spectateurs, sur place ou devant leur télévision, applaudissaient leur nouveau souverain, la détrônée pensa en elle-même en descendant les marches, des pensées pas très correctes : “Moi, je suis contre la démocratie”. Parfois, on entendait aussi grommeler parmi les vaincues : “Moi, je suis contre la démocratie”.
D’anciens monarques présents au couronnement jubilaient d’accueillir dans leurs rangs de majestés flétries le monarque 2016 déchu qui avait perdu sa petite importance si importante pour lui. Ils admiraient et jalousaient la belle élue qui bientôt finirait comme eux, et finalement la plaignaient de devoir alors partir elle aussi en quête de réconfort, de cette reconnaissance sociale perdue. Ces pauvres majestés fripées et hypocrites, honteuses des marques du temps sur leur peau, menaient un combat vain face à la vie.
Pendant que ces mauvaises joueuses ruminaient leurs pensées pas très correctes, et que ces spectateurs exultaient de joie devant l’élue qui allait changer le monde, pendant que tous ces nombrils réprimaient et ces moutons extériorisaient leur déferlement intérieur d’émotions, le reste du monde qui n’était rien à leurs yeux, continuait quant à lui une bataille idéologique sans fin. Les Américains pleuraient leurs éléphantesques âneries et les guerres dans le monde n’avaient cessé de faire couler le sang, peut-être quelques secondes de répit quand même pour se moquer des nombrils et des moutons, et le sang coulait, celui de la lutte pour un monde meilleur.
Lisa, joyeuse et résignée dans son fauteuil — au fond elle continuait de croire que ce titre aurait dû être décerné à l’Alsacienne, acclamait le vainqueur en chœur avec la foule de spectateurs : “MISS FRANCE, MISS FRANCE !!”
Sophie Guillaume