Cette tempête hivernale, d’une rare violence, resterait gravée dans les mémoires. Le vent déchaîné sifflait, soulevant des vagues monstrueuses qui se fracassaient sur les rochers, dans de grandes gerbes d’écume blanche et mousseuse. Au sommet de la falaise, l’herbe rase s’aplatissait sous une pluie torrentielle qui frappait frénétiquement le sol et formait un épais rideau qui empêchait de voir à plus de quelques mètres. L’horizon était obscurci par de lourds nuages noirs, et bien qu’il soit encore relativement tôt, il faisait presque nuit. L’espace de quelques heures, la nature en furie reprenait ses droits sur cette côte désertée.
Seule présence incongrue perturbant ce tableau étrangement apocalyptique, une silhouette fantomatique semblait braver les éléments. L’homme marchait tête baissée sur un chemin boueux qui serpentait à quelques mètres du vide, luttant résolument contre le vent qui arrachait parfois sa capuche, et s’obstinait à vouloir le renverser. Il se dirigeait vers une minuscule maison, triste bicoque perchée sur la falaise dans une tentative risible de dominer l’immense étendue en contrebas. Une bosse mouvante sous son ciré trahissait la présence agitée d’un petit chien trouvé en chemin.
Un peu plus tôt, le ciel s’assombrissant à toute allure, il avait décidé d’écourter sa promenade pour rentrer chez lui avant la tempête quand il avait entendu un couinement plaintif, distinctement audible malgré la pluie qui commençait à tomber. En se dirigeant vers la source du bruit, il avait aperçu une tache claire au milieu des broussailles. C’est alors qu’il avait reconnu l’animal chétif empêtré dans un buisson. Il l’avait libéré non sans mal et avait abrité sous sa veste la petite chose sale et craintive. La tempête s’était levée pendant ce temps.
L’homme était enfin arrivé à la maison, dont l’intérieur spartiate avait de quoi surprendre. Séché et changé, il alluma un feu dans la cheminée, puis nettoya précautionneusement son compagnon d’infortune. Il s’aperçut que sous sa crasse, celui-ci était blanc, avec le bout des oreilles et de la queue d’un noir de jais. Il n’avait plus que la peau sur les os et tremblait de tous ses membres.
“Et bien, comment t’es-tu retrouvé ici, Idéfix ? Interrogea l’homme d’une voix douce en lui caressant la tête.”
Il déposa un bol d’eau près du chien, et lui donna des biscuits qu’il avait trouvés dans un placard presque vide. L’animal rassasié s’endormit rapidement entre les bras de l’homme qui le câlinait en fixant les flammes d’un air pensif, et resta éveillé toute la nuit.
Lorsque l’aube pointa, la tempête s’était calmée. Idéfix suivait son nouveau maître pendant ses préparatifs matinaux sans le lâcher d’une semelle.
“Tu as l’air d’aller mieux ! Bientôt, tu iras gambader sur la falaise et pourchasser les lapins. Je pars aujourd’hui et je ne peux pas te garder, mais je vais te laisser avec une gentille famille qui prendra bien soin de toi, Idéfix. Tu seras heureux avec eux.”
L’homme attrapa son ciré et sortit, Idéfix sur ses talons. Il marcha jusqu’à la camionnette blanche garée à côté de la maison et ouvrit la portière, encourageant le chien à sauter à l’intérieur. Puis il se retourna vers la mer pour un dernier adieu. La mer était grise, comme les nuages qui cachaient le soleil. Dans le ciel, des mouettes volaient en cercle. Finalement, l’homme monta dans la voiture et partit, abandonnant derrière lui la maison vide.
Il s’arrêta dans le premier village qu’il traversa, caressa une dernière fois Idéfix et sans un mot le déposa dans un jardin clôturé. Cette fois, malgré les jappements malheureux qui s’élevaient derrière lui, il partit sans un regard en arrière.
Il était concentré sur la longue route qui l’attendait jusqu’à la capitale, et, pour se donner du courage, il se répétait comme un mantra : “Moi, je suis contre la démocratie !”
À l’arrière de la camionnette, une caisse d’explosifs.
Héloïse Dandin
Très bien écrit, la chute est très bien tournée !