La candidature de l’Insa Lyon à IDEX Lyon : décryptage

L’Insa de Lyon envi­sage de fusion­ner avec les uni­ver­si­tés et grandes écoles de Lyon et Saint-Étienne. Meilleure com­pé­ti­ti­vi­té à l’international, fonds sup­plé­men­taires pour la grande Uni­ver­si­té nou­vel­le­ment créée, nou­veaux modes de gou­ver­nance, perte d’autonomie déci­sion­nelle et finan­cière pour l’Insa de Lyon, menaces sur le diplôme et le groupe Insa… Les enjeux poten­tiels d’une telle fusion sont consi­dé­rables. Pour­tant le public insa­lien est peu infor­mé de la situa­tion. Les élus eux-même n’ont pas accès au dossier((Les élus ont seule­ment accès à des syn­thèses de 16 pages élu­dant des points sen­sibles du pro­jet : des infor­ma­tions capi­tales sur le finan­ce­ment et la gou­ver­nance en sont par exemple absente (source : des élus du CA). Les argu­ments don­nés par la direc­tion sont la concur­rence et la pré­sence d’informations sur les sommes d’argent enga­gées par les entre­prises.)) et ne peuvent donc esti­mer clai­re­ment les enjeux inhé­rents au pro­jet. Pour­tant, ceux-ci seront ame­nés à voter au Conseil d’Administration (CA) du jeu­di 8 décembre afin de don­ner le pou­voir à Eric Mau­rin­comme, direc­teur de l’INSA de Lyon, de mener à bien l’exécution du pro­jet. Afin de démê­ler le vrai du faux, les fausses pro­messes, les non-dits et sur­tout les incon­nues, la rédac­tion s’est pen­chée sur ce sujet aux enjeux complexes.

Retrou­vez la pré­sen­ta­tion du pro­jet IDEX dans notre article dédié.

Le cas de Lyon : un cruel manque de transparence

VRAI

L’Insa de Lyon, Cen­trale Lyon, Lyon 1, Lyon 2, Lyon 3, l’IEP Lyon et l’ENS Lyon ain­si que d’autres écoles et uni­ver­si­tés se sont por­tés can­di­dats. Une struc­ture de 130 000 étu­diants pour­rait ain­si voir le jour. Chaque éta­blis­se­ment doit tou­te­fois déci­der indi­vi­duel­le­ment d’ici fin 2016 de par­ti­ci­per ou non au programme.

Le 24/11/2016, le Conseil des Études (CE) de l’Insa a voté contre l’IdEx à  13 voix contre 11 pour 1 abs­ten­tion (25 votants au total). A l’heure où nous écri­vons ces lignes, les élus étu­diants n’ont eu accès à aucun des docu­ments clés : ni le pro­jet amen­dé, le docu­ment Del­ta (décri­vant pré­ci­sé­ment les moda­li­tés de la fusion) ou la lettre de posi­tion­ne­ment stra­té­gique et d’engagement. Ceux-ci furent pour­tant récla­més à plu­sieurs reprises notam­ment par le syn­di­cat Sne­sup. Eric Mau­rin­comme a deman­dé expli­ci­te­ment aux membres du CA de réa­li­ser un “vote de confiance” le 8 décembre. Ceux-ci devront voter pour un pro­jet dont ils ne connaissent pas les moda­li­tés exactes. La vali­di­té des argu­ments qui leurs ont été don­nées ne dépendent que de la parole de la Direction.

Le vote du CA du 8 décembre n’engage à rien

C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Le vote du pro­jet n’en­ga­ge­ra en rien l’école, il serait en effet pos­sible de se désen­ga­ger sous deux ans des sta­tuts qui ne nous convien­draient pas. Dans les faits l’adhésion à l’IdEx vient avec des enga­ge­ments, enga­ge­ments dont nous n’avons pas connaissance.

Fran­çoise Mou­lin Civil, rec­trice à l’Académie de Lyon et Chan­ce­lière des Uni­ver­si­tés a d’ailleurs décla­ré dans un article du Pro­grès que “Le jury ne se conten­te­ra pas de promesses”((Le Pro­grès, “Il y aura un seul éta­blis­se­ment”, visi­té le 1/12/2016 [en ligne] : http://www.leprogres.fr/education/2016/10/25/il-y-aura-un-seul-etablissement)). Dif­fi­cile alors de s’imaginer se lan­cer vers l’inconnu ; l’éventuelle porte de sor­tie ne pour­rait être qu’une chi­mère. Ne vau­drait-il pas mieux prendre la déci­sion en amont, tous ensembles ?

Vers une augmentation des frais de scolarité ?

C’EST POSSIBLE

Actuel­le­ment, l’Insa dépend du Minis­tère de l’Enseignement Supé­rieur et de la Recherche, qui fixe les frais de sco­la­ri­té, par an, à 615 euros. Ce n’est pas le cas de Cen­trale Supé­lec par exemple qui, depuis la récente fusion des deux écoles, demande des frais d’ins­crip­tion de 2570 euros, par an, à ses élèves. Une nette aug­men­ta­tion qui n’est pas iso­lée, et devient presque une ten­dance dans les Grandes Écoles d’ingénieurs fran­çaises. Chan­ger de sta­tut serait peut-être l’occasion pour en pro­fi­ter, et pas­ser outre les 615 euros deman­dés aujourd’hui. Com­ment conci­lier les dif­fé­rentes écoles et uni­ver­si­tés com­prises dans l’IdEx, pour cer­taines pri­vées, et pour beau­coup d’autres publiques ? CPE, par exemple, impose des frais de sco­la­ri­té à hau­teur de 6500 euros par an((CPE, Les frais d’é­tude CPE Lyon, http://www.cpe.fr/-Les-frais-d-etudes,38-.html)). Vont-ils faire par­ti de l’IdEx ? La ques­tion se pose à ceux qui déci­de­ront de l’avenir des étu­diants de l’agglomération de Lyon.

La fusion engendre une plus grande compétitivité à l’international

PLUTOT VRAI

Le pro­jet IdEx est cen­sé amé­lio­rer la com­pé­ti­ti­vi­té inter­na­tio­nale des uni­ver­si­tés fran­çaises, qu’en est-il réel­le­ment ? 4 des 5 cri­tères uti­li­sés par le clas­se­ment de Shan­ghai dépendent du nombre d’étudiants au sein de la struc­ture (Nombre de prix Nobel, articles publiés dans Nature et Science…). Une fusion pour­rait donc faire méca­ni­que­ment mon­ter la future Uni­ver­si­té de Lyon dans le clas­se­ment. Dans les faits, les uni­ver­si­tés au som­met du clas­se­ment accueillent entre 10 000 et 40 000 étu­diants et se démarquent par des bud­gets de plu­sieurs mil­liards à plu­sieurs dizaines de mil­liards de dol­lars (comme en témoigne le tableau ci-des­sous). Avec un bud­get infé­rieur à 1 mil­liard de dol­lar, la plus grande uni­ver­si­té fran­çaise, l’université d’Aix-Marseille issue de la pre­mière vague d’IdEx a certes gagné des places dans le clas­se­ment, mais peine encore à concur­ren­cer les uni­ver­si­tés bri­tan­niques et amé­ri­caines, de taille pour­tant plus modestes.

Pour autant, l’en­semble de ces obser­va­tions se basent sur la clas­se­ment de Shan­ghai, qui ne demeure qu’un clas­se­ment par­mi tant d’autres, usant de ses propres cri­tères spé­ci­fiques d’é­va­lua­tion des éta­blis­se­ments. Il est donc impor­tant de rela­ti­vi­ser l’im­por­tance d’un tel clas­se­ment, qui est adap­té à des éta­blis­se­ments au fonc­tion­ne­ment dif­fé­rent, se basant sur le sys­tème anglo-saxon. Afin de don­ner un contre-exemple, on peut citer le clas­se­ment QS, éva­luant “l’employabilité” des étu­diants diplô­més des dif­fé­rentes écoles du monde. Or, celui-ci place pour l’an­née 2016 l’In­sa Lyon à la 101è place du clas­se­ment inter­na­tio­nal((Top Uni­ver­si­ties, Gra­duate Employa­bi­li­ty Ran­kings 2016, visi­té le 2/12/2016 [en ligne] : http://www.topuniversities.com/universities/institut-national-des-sciences-appliqu%C3%A9es-de-lyon-insa)), soit une meilleure place que dans le clas­se­ment de Shan­ghai, dans lequel l’In­sa Lyon se trouve au rang 151–200 dans la seule caté­go­rie de l’ingénierie((Shanghai Ran­king, Clas­se­ment aca­dé­mique des uni­ver­si­tés mon­diales en ingé­nie­rie, tech­no­lo­gie et infor­ma­tique — Ins­ti­tut Natio­nal des Sciences Appli­quées de Lyon (Insa de Lyon), [en ligne] : http://www.shanghairanking.com/fr/World-University-Rankings/INSA-Lyon.html)).

Universités françaises dans le classement de Shanghai 2016
Uni­ver­si­tés fran­çaises dans le clas­se­ment de Shan­ghai 2016

 

Les fusions apportent des économies

FAUX

La fusion des uni­ver­si­tés pour­rait ame­ner à une dimi­nu­tion des coûts par la ratio­na­li­sa­tion des struc­tures. Cette vision est tou­te­fois contes­tée par le Pré­sident de l’Université d’Aix-Marseille, M. Yvon Ber­land : “[…] quand on croit qu’avec des fusions on fait des éco­no­mies, alors on se trompe […] la fusion des 3 uni­ver­si­tés coûte 10 M€”((CSIESR, Ouver­ture des Assises 2014, 04-juill-2014. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.youtube.com/watch?v=poLa7J75tmw. [Consul­té le: 27-nov-2016].)). De même, ces fusions peuvent pré­sen­ter un sur­coût en terme de res­sources humaines. Ain­si sur les mille postes créés en 2015 par le Gou­ver­ne­ment pour l’Enseignement Supé­rieur, 348 ont été dévo­lus au fonc­tion­ne­ment de nou­velles struc­tures créées par la pre­mière vague d’IdEx, indique le rap­port réa­li­sé au nom de la Com­mis­sion de la culture, de l’éducation et de la com­mu­ni­ca­tion((Avis pré­sen­té par M. Jacques Gros­per­rin et Mme Domi­nique Gil­lot au nom de la com­mis­sion de la culture, de l’éducation et de la com­mu­ni­ca­tion sur le pro­jet de loi de finances pour 2016, Sénat, Paris, 19 novembre 2015.))((Le Monde diplo­ma­tique, Aix-Mar­seille, labo­ra­toire de la fusion des uni­ver­si­tés, 01-sept-2016. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.monde-diplomatique.fr/2016/09/GERAND/56207. [Consul­té le: 26-nov-2016].)). Ces sur­coûts sont-ils le résul­tat de la désor­ga­ni­sa­tion tem­po­raire engen­drée par la fusion, ou sont-ils plus sys­té­miques ? Une seule chose est sûre, la fusion coû­te­ra à court terme, et on ne peut qu’espérer que ce coût dimi­nue avec les années. Notons cepen­dant qu’une fois le pro­gramme lan­cé, toute marche arrière aura un coût finan­cier lourd, que notre école aurait du mal à supporter.

Le projet IdEx apportera de nouveaux financements

VRAI

Dans le cas de l’Université de Lyon (UdL), près de 800 mil­lions d’euros vont être blo­qués dans le cadre de la deuxième vague des Pro­jets d’Investissement d’Avenir. La future uni­ver­si­té per­ce­vra les inté­rêts de ces 800 mil­lions, soit 30 mil­lions d’euros annuels. Le bud­get actuel des uni­ver­si­tés et grandes écoles regrou­pées dans la future UdL est proche du mil­liard d’euros. Les apports de l’IdEx repré­sen­te­rait donc une aug­men­ta­tion des dota­tions d’environ 3%, aux­quels il fau­drait sous­traire les sur­coûts éven­tuels de la fusion.

D’ici la fin de la fusion en 2026, les 800 mil­lions d’euros pour­raient être déblo­qués et inves­tis direc­te­ment dans l’UdL. Tou­te­fois, les uni­ver­si­tés de la pre­mière vague d’IdEx n’ont jamais obte­nu les sommes blo­quées pour elles. De sur­croît, la cour des comptes n’encourage pas l’État à déblo­quer les finan­ce­ments, afin de ne pas aggra­ver sa situa­tion éco­no­mique((Cour des comptes, Lan­ce­ment du pro­gramme des inves­tis­se­ments d’avenir rele­vant de la mis­sion recherche et ensei­gne­ment supé­rieur, mai 2013, 189 p. (lire en ligne))). Une situa­tion en sus­pens, qu’il faut conti­nuer à suivre.

Le personnel est peu touché par ces transformations

FAUX

La fusion ne touche pas seule­ment à des ques­tions de finances et de clas­se­ment, mais aus­si aux aspects sociaux et humains. À Aix-Mar­seille elle s’est accom­pa­gnée d’une dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail et de retards de salaire pour les vacataires((Le Monde diplo­ma­tique, Aix-Mar­seille, labo­ra­toire de la fusion des uni­ver­si­tés, 01-sept-2016. [En ligne]. Dis­po­nible sur: https://www.monde-diplomatique.fr/2016/09/GERAND/56207. [Consul­té le: 26-nov-2016].)). À Bor­deaux, elle semble avoir conduit à une pré­ca­ri­sa­tion du per­son­nel pro­vo­quant grèves, burn-out, et non confor­mi­té à la réglementation((Rue89 Bor­deaux, Uni­ver­si­té de Bor­deaux : le burn-out après la fusion ?, 02-avr-2014. [En ligne]. Dis­po­nible sur: http://rue89bordeaux.com/2014/04/universite-bordeaux-apres-fusion-burn-out/. [Consul­té le: 26-nov-2016].)).
La ques­tion de la tran­si­tion se pose réel­le­ment si l’on aborde la ques­tion du point de vue des per­son­nels, comme de celui des étudiants.

L’État nous obligera à fusionner

PROBABLE

Le pro­gramme d’IDEX est por­té par l’État. D’après le rap­port Mays­tadt((http://www.strategie.gouv.fr/publications/programme-dinvestissements-davenir-rapport-comite-dexamen-mi-parcours, p 60–62)) “avec le temps, le sys­tème fran­çais a de plus en plus diver­gé par rap­port aux stan­dards inter­na­tio­naux”, le but de l’IDEX est de le moder­ni­ser afin de cor­res­pondre à ces stan­dards. L’État sou­haite en outre “évi­ter les batailles légis­la­tives, les mobi­li­sa­tions dans les rues et les pos­tures des uns et des autres” et pro­pose “plu­sieurs choix struc­tu­rants ont été faits” qui consti­tuent le fon­de­ment du pro­gramme. Si l’IDEX échoue, il semble donc pos­sible que l’État inter­vienne de manière plus auto­ri­taire pour obte­nir la réforme qu’il désire.

Quelles sont les inconnues ?

  • Si l’Insa de Lyon s’engage, un bud­get et des res­sources humaines seront alloués au pro­jet d’IDEX dès 2017. À ce jour le mon­tant de ces res­sources est incon­nu de la rédac­tion et des élus du CA.
  • Les consé­quences sur le groupe Insa. La fon­da­tion Insa et l’AIDIL a com­mu­ni­qué son inquié­tude au sujet du pro­jet d’IDEX à la direction.
  • Les futurs dota­tions de l’Université de Lyon à l’Insa. Même si le bud­get de l’UdL aug­mente, il est pos­sible que l’Insa ou cer­tains dépar­te­ments reçoivent moins de finan­ce­ments. Ces infor­ma­tions sont encore inconnues.
  • La part des entre­prises dans le futur CA de l’Université. Quelles seraient le pou­voir et les prio­ri­tés des indus­triels au sein d’une struc­ture d’enseignement, et com­ment gére­raient-ils les sub­ven­tions (par exemple, les filières artis­tiques et cultu­relles de l’université pour­raient-elles conti­nuer à exis­ter sur le long terme ?).
  • Les asso­cia­tions de l’Insa. Exis­te­raient-elles en l’état ? Une refonte totale du sys­tème (pour le meilleur, ou pour le pire) n’est pas à exclure.
  • Les tra­vaux de réno­va­tions et de remise aux normes du cam­pus. Où irait l’argent alloué au cam­pus, et com­ment satis­faire les besoins de plus de 5 cam­pus dis­per­sés par­tout dans l’agglomération lyonnaise ?

L’avenir de l’Insa est entre nos mains

Une bataille silen­cieuse se mène dans les cou­lisses des uni­ver­si­tés et écoles de Lyon. Pour notre école, les rap­ports de forces semblent indi­quer que l’issue sera pro­ba­ble­ment déci­dée par le vote de nos élus étu­diants. Le poids de la déci­sion est énorme, et ne peut repo­ser sur leurs seules épaules. C’est donc bien à nous, étu­diants de tout bord, d’orienter leurs votes. Pour ce faire, nous devons nous infor­mer, réflé­chir, afin de choi­sir l’avenir que nous sou­hai­tons pour l’Insa.

Nous, Rédac­tion de L’Insatiable, étu­diants de l’Insa de Lyon, deman­dons plus de trans­pa­rence vis-à-vis de ce pro­jet qui nous touche tous et qui reste, pour le moment, trop obs­cur. Res­tons infor­més, et agis­sons en consé­quence, que ce soit pour ou contre l’IdEx. Sans trans­pa­rence, ce pro­jet n’a pas de légitimité.

7 Comments

  1. Très bon article, j’ap­prouve à 100% sur le fait que la direc­tion de l’IN­SA Lyon soit trans­pa­rente vis à vis de ces élèves, comme ça a tou­jours été le cas (à ma connaissance).

  2. Très bon article, bien écrit et qui cla­ri­fie bien les choses ! Com­ment quelque chose d’aus­si gros peut arri­ver jus­qu’aux oreilles des étu­diants aus­si tard ?! Mer­ci d’a­voir dif­fu­sé cette information.

  3. Bon­jour,

    Etu­diant à l’E­cole Supé­rieure de Jour­na­lisme de Lille, j’en­quête de manière indé­pen­dante sur les can­di­da­tures lyon­naises et lil­loises au pro­jet IDEX.
    Comme vous, mon école est aus­si concernée.

    J’ai des infor­ma­tions et beau­coup de questions.

    Quand pour­rait-on s’appeler ?

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