Jean-Michel Blanquer et le dédain des mathématiques 

Depuis main­te­nant 3 ans se trame une expé­rience folle et gran­deur nature dans l’enseignement secon­daire. La réforme du lycée géné­ral implé­men­tée à la ren­trée 2019, a fait des remous, voire même des vagues sur­fables par les meilleurs ath­lètes.  

Pour­tant, celle-ci avait été concoc­tée dans la réforme totale de l’enseignement qui avait été pro­po­sée pour pal­lier la mal­heu­reuse réa­li­té… Et oui, un enfant sur cinq sor­tant du pri­maire ne maî­trise pas les savoirs fon­da­men­taux (édu­ca­tion natio­nale, mai 2022), de ça il faut com­prendre qu’ils ne savent pas lire ou écrire en sor­tant du CM2, ce qui est une nou­velle catas­tro­phique, à la limite de l’indécence pour la sixième puis­sance mon­diale. L’ancien ministre s’était aus­si atta­blé sur la refonte du lycée pro­fes­sion­nel en les trans­for­mant en “Har­vard du pro”. L’idée était “d’a­voir de véri­tables cam­pus pro­fes­sion­nels attrac­tifs, où on a envie d’al­ler (…)  non pas parce qu’on a eu un mau­vais bul­le­tin de notes, mais parce que cela fait envie”. (J.M Blan­quer, Paris, Juin 2019). De bien pro­met­teuses pers­pec­tives donc, mais dans ce tumulte d’idées nova­trices, se ter­rait le mou­ton noir qui allait scel­ler le des­tin de 3 géné­ra­tions de lycéens, la réforme du lycée géné­ral. 

Les spé­cia­li­tés ou le self-ser­vice d’une édu­ca­tion à la dérive. 

Le col­lège, que de bons sou­ve­nirs n’est-ce pas ? Per­met­tez moi d’en dou­ter, la puber­té frappe (et son lot de sur­prises avec), les pre­mières expé­riences humaines sont vécues, et pour une par­tie des élèves les cours ne sont pas une prio­ri­té, c’est une obli­ga­tion à suivre. Ensuite, à l’arrivée en seconde, le niveau de dif­fi­cul­té s’accentue d’autant plus. Quoi de mieux alors que de don­ner le choix de l’a­ve­nir, dès la fin de seconde, à des ado­les­cents de 15 ans ennuyés par les cours ? Quelle pers­pi­ca­ci­té et de connais­sance de la psy­cho­lo­gie humaine par l’ancien pro­fes­seur d’économie Blan­quer ! Pour éclair­cir mon pro­pos, il faut savoir qu’à pré­sent les élèves doivent suivre dès la pre­mière un tronc com­mun for­mé par le fran­çais, la phi­lo­so­phie, l’histoire-géographie, l’enseignement moral et civique, les langues vivantes, le sport et l’enseignement scien­ti­fique. Ne vous détrom­pez pas, “l’enseignement scien­ti­fique” n’est qu’un ersatz de science, car il ne contient ni mathé­ma­tiques ni réelle phy­sique. En revanche, les élèves pour­ront y apprendre le nom des pla­nètes, quelques anec­dotes sur le cli­mat, les éner­gies du futur et une his­toire rapide du vivant. A pré­sent les matières consi­dé­rées comme fon­da­men­tales depuis bien avant la créa­tion de l’école publique par Jules Fer­ry, sont relé­guées au rang de spé­cia­li­tés, comme si l’enseignement de celles-ci pou­vait être option­nel. Je réitère donc ma décla­ra­tion et me mets à la place d’un élève de seconde, dont la vie gra­vite à pré­sent autour de choses, bien loin des matières ensei­gnées au lycée, qui me dépasse compte tenu de mon âge avan­cé : “Pas de maths ?! Génial ! J’achète !”. Et je le com­prends. 

Un pas en avant, 15 pas en arrière. 

La fameuse réforme a enter­ré les sec­tions S, ES et L. Jadis, sur les 86% d’orientation en pre­mière géné­rale, la sec­tion S était la sec­tion la plus recher­chée avec 40% de demandes, sui­vie par la sec­tion ES. Le point com­mun à ces sec­tions, les ensei­gne­ments en mathé­ma­tiques. “A quoi servent les mathé­ma­tiques”, “jamais on uti­li­se­ra ça dans la vie de tous les jours” : Ce type de phrases débi­tées par des élèves désa­bu­sés et un peu per­dus dans des cours par­fois de mau­vaise qua­li­té, sont un des symp­tômes d’un phé­no­mène socié­tal de plus grande ampleur. Fon­da­men­ta­le­ment, les mathé­ma­tiques sont ensei­gnées pour éta­blir et for­ti­fier la pen­sée logique dans le cer­veau des élèves. Au-delà des opé­ra­tions élé­men­taires, le plus gros de ce tra­vail est effec­tué au lycée. La com­pré­hen­sion notam­ment de l’a­na­lyse et de la géo­mé­trie dans l’espace sont les fon­da­tions en béton armé de monu­ments poten­tiels éri­gés dans le supé­rieur. Pour beau­coup à pré­sent, c’est la dés­illu­sion. En effet, l’orientation post-bac est direc­te­ment dépen­dante des spé­cia­li­tés choi­sies dès la fin de seconde. Pour un élève ayant décou­vert le goût du tra­vail en pre­mière et vou­lant se diri­ger vers une pré­pa, c’est en géné­ral une fin de course. Aujourd’hui, les écoles d’ingénieurs et les pré­pas déplorent un niveau de mathé­ma­tiques catas­tro­phique. Cer­taines écoles déclarent même devoir ensei­gner de nou­veau la divi­sion eucli­dienne ou même se retrou­ver devant des étu­diants inca­pables de résoudre une équa­tion de niveau cin­quième (BFMTV, Le Monde, novembre 2022). Grande réus­site de la réforme donc.  

Avant la réforme, qua­si­ment 50% des filles en ter­mi­nale avaient au moins 6h de maths par semaine, après celle-ci, ce chiffre est de seule­ment 25%. En 2018, 83% des filles en pre­mière sui­vaient un ensei­gne­ment de mathé­ma­tiques, en 2021 c’était 55%. Bien évi­dem­ment cela implique de lourdes consé­quences pour la suite dans le supé­rieur, avec notam­ment une pro­por­tion de femmes en école d’ingénieurs bien décrois­sante. Quand J.M Blan­quer déclare à pro­pos des nou­veaux ensei­gne­ments numé­riques  : “Et c’est aus­si un moyen pour nous d’a­voir plus de jeunes filles qui vont aller vers le numé­rique, alors que nous savons qu’il n’y a que 5 % de femmes dans les start-up aujourd’­hui en France”, il fait ici preuve d’une décon­nexion totale de la réa­li­té, et de la plus grande incom­pré­hen­sion des connais­sances requises pour tra­vailler dans le “numé­rique”. Pour un pays fai­sant beau­coup de bruit pour l’égalité des sexes, il ne fait pas grand-chose pour pour­voir les jeunes femmes de réelles com­pé­tences en sciences fon­da­men­tales. Heu­reu­se­ment, les mathé­ma­tiques reviennent dans le tronc com­mun dès la ren­trée 2023, une déci­sion judi­cieuse de la part du nou­veau minis­tère de l’éducation. 

Kevin

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