La réforme du modèle social de l’INSA n’est qu’un prétexte à l’augmentation des frais de scolarité…

Aujourd’hui l’INSA se rend compte, grâce à des enquêtes de l’Institut Gas­ton Ber­ger (IGB), qu’elle n’est plus l’ascenseur social qu’elle pré­tend être. En dix ans, le taux d’étudiants Insa­liens dont aucun des parents n’est de caté­go­rie socio-pro­fes­sion­nelle (PCS) “très favo­ri­sé” est pas­sé de 27.5% à 20%. Forte de ce constat, un vent de réforme se lève. Le modèle social est à rebâ­tir et la direc­tion du groupe INSA s’est empa­rée de ce chan­tier. A grands coups de com­mis­sions, de webi­naires et de pages intra­net, la dis­cus­sion est ouverte : que faire pour rec­ti­fier le tir et répa­rer le modèle social ? Com­ment finan­cer ces dis­po­si­tifs ? Une des réponses appor­tées à cette ques­tion est l’augmentation des droits d’inscription de chaque étu­diant, en les indexant éven­tuel­le­ment sur les reve­nus ou caté­go­ries socio-pro­fes­sion­nelles de ses parents.

En dix ans, le taux d’étudiants Insa­liens dont aucun des parents n’est de caté­go­rie socio-pro­fes­sion­nelle (PCS) “très favo­ri­sé” est pas­sé de 27.5% à 20%.

Mais la réflexion s’est-elle vrai­ment faite dans ce sens-là ?

En se pen­chant sur la ques­tion, on se rend vite compte que le pro­jet d’augmentation des frais de sco­la­ri­té est bien anté­rieur à cette prise de conscience sur la non-mixi­té sociale à l’INSA. Il y a trois ans seule­ment, les frais de sco­la­ri­té des étu­diants étran­gers ont bru­ta­le­ment aug­men­té, certes à l’échelle natio­nale (plan “Bien­ve­nue en France”, pas­sage de 601€ à entre 2770€ et 3770€) ; rétros­pec­ti­ve­ment, cet évé­ne­ment prend des allures de tir d’essai pour une géné­ra­li­sa­tion de la mesure à tous les étu­diants. De plus, la révi­sion des frais de sco­la­ri­té de tous était au pro­gramme de Ber­trand Raquet, pré­sident du groupe INSA, quand il s’est fait élire en 2019 et elle fai­sait déjà par­tie de la rhé­to­rique de son pré­dé­ces­seur, Éric Maurincomme.

Si les valeurs de soli­da­ri­té et d’équité étaient vrai­ment les valeurs prin­ci­pales de la direc­tion, l’augmentation des frais de sco­la­ri­té ne serait pas sa prio­ri­té. Elle ne serait pas dis­cu­tée uni­que­ment dans des com­mis­sions inter-INSA (où la case pré­sence étu­diante est cochée par la par­ti­ci­pa­tion de quelques rares repré­sen­tants). Si ces valeurs huma­nistes étaient au centre de la réno­va­tion du modèle social, l’idée même de faire payer par les étu­diants les dis­po­si­tifs d’aides à l’équité et d’encouragement à la diver­si­té sociale ne lui serait pas venue à l’esprit avant d’avoir raclé les fonds de tiroirs de la Dir­Com, du ser­vice cultu­rel et autres ser­vices. Ces ser­vices sont bien sûr néces­saires et par­tie inté­grante de l’INSA, mais leur pros­pé­ri­té qui jure avec les chiffres catas­tro­phiques de non-mixi­té sociale ne démontre-t-elle pas où résident les prio­ri­tés de la direc­tion de notre belle école, d’excellence ET huma­nisme…

On aura déjà com­pris que la volon­té sociale de la direc­tion est hypo­crite. Mais on pour­rait encore se dire que même si elle n’est pas moti­vée par de bonnes rai­sons, la réforme n’est pas mau­vaise en soi…

Si à l’issue de cette dis­cus­sion sur le modèle social de l’INSA le coût de la vie sur le cam­pus (esti­mé à 600–700€ par mois pour l’INSA Lyon) est remis en ques­tion, si plus d’aides finan­cières et des dis­po­si­tifs d’insertion sociale sont pro­po­sées aux étu­diants qui en ont besoin, si encore la com­mu­ni­ca­tion autour de ces dis­po­si­tifs devient effi­cace, alors la réforme aura été utile ! Dif­fi­cile de réfré­ner nos élans roman­tiques face au nar­ra­tif que nous sert la direc­tion du groupe : celui d’un rééqui­li­brage pro­fond des inéga­li­tés, d’une redis­tri­bu­tion directe du porte-mon­naie des étu­diants les plus riches vers celui des plus pauvres, à la Robin des Bois.  Mais aujourd’hui la seule mesure qua­si cer­taine est l’augmentation des frais de sco­la­ri­té, quels que soient les résul­tats des com­mis­sions intra-INSA cen­sées réflé­chir aux vrais enjeux. On se doit alors de réfré­ner ces élans, on se doit de réflé­chir à deux fois à la situa­tion et de cher­cher à com­prendre ses enjeux.

Au-delà des écueils de cette réforme du modèle social, l’augmentation des frais de sco­la­ri­té est un acte idéo­lo­gique fort. 

On nous pré­sente aujourd’hui cette réforme comme le résul­tat d’un com­pro­mis : l’accessibilité des droits d’inscription à l’école serait sacri­fiée pour (para­doxa­le­ment) per­mettre à des popu­la­tions “moins favo­ri­sées” d’accéder à l’enseignement de l’INSA.

Nous fera-t-on croire que des droits d’inscription éle­vés encou­ra­ge­ront les popu­la­tions les plus pauvres à oser can­di­da­ter ? En effet un des freins à la diver­si­té sociale à l’INSA iden­ti­fié par l’IGB est l’autocensure des élèves issus de milieux moins favo­ri­sés, si on leur annonce que leurs frais d’inscription risquent de s’élever à 2500 €, beau­coup d’entre eux ne se don­ne­ront même pas la peine de candidater.

L’Histoire a démon­tré qu’on ne peut pas faire confiance à ceux qui nous dirigent pour qu’ils s’en tiennent là. Après avoir obte­nu cette pre­mière aug­men­ta­tion des droits d’inscription dans des pro­por­tions qui peuvent encore sem­bler rai­son­nables à cer­tains (une pro­po­si­tion était de les pas­ser de 601 à 2500€), qu’est-ce qui empê­che­ra la direc­tion de les dou­bler ou qua­dru­pler dans quelques années ? C’est ce qu’on a vu se pro­duire en Angle­terre : les frais de sco­la­ri­té dans le supé­rieur sont pas­sés de 0 à 3000£ suite à une série de réformes tra­vaillistes, lorsque la droite a pro­po­sé de les mon­ter à 9000£ quelques années plus tard, plus rien ne pou­vait les arrê­ter ! Qui pour­ra dire que 5000€, 7000€ puis 10 000€ de droits d’inscriptions (il y aura tou­jours quelque chose à faire des mil­lions ain­si déga­gés) sont exces­sifs si 2500€ sont accep­tables ! C’est un pre­mier pas dan­ge­reux, périlleux.

Qui pour­ra dire que 5000€, 7000€ puis 10 000€ de droits d’inscriptions sont exces­sifs si 2500€ sont acceptables !

L’augmentation des droits d’inscription des étu­diants étran­gers était un signe avant-cou­reur de cette nou­velle réforme au sein du groupe INSA. Qu’annonce cette der­nière à l’échelle natio­nale ? L’INSA a été fon­dée dans l’idée de rendre les études d’ingénieur acces­sibles aux enfants d’ouvriers et de paysans.

Devien­dra-t-elle le pré­cé­dent qui décom­plexe­ra les quelques autres écoles d’ingénieurs qui se refusent encore à aug­men­ter leurs frais ? En effet, le groupe INSA forme 10% des ingé­nieurs en France chaque année, ce qui lui confère de fait un rôle d’exemple. Le bas­tion de l’INSA, école d’ingénieurs publique, est sur le point de céder à la ten­ta­tion d’augmenter ses droits d’inscription. Dans quelques années, tout pous­se­ra les quelques autres écoles d’ingés abor­dables, puis pour­quoi pas les facs, à s’aligner elles aus­si sur des tarifs à quelques mil­liers d’euros l’année.

Jose­pha ONNO & Nico­las LENGANEY

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