Depuis une trentaine d’années les consommations d’électricité, de pétrole, de papier et plus généralement de matières premières n’ont cessé d’augmenter tandis que les rejets de gaz à effet de serre et de polluants n’ont pas diminué. Les innovations technologiques pensées pour réduire l’impact des activités humaines n’ont pourtant pas manqué : énergies renouvelables, ordinateurs, voitures plus économes et électriques, recyclage, agriculture responsable, etc. Ces innovations n’ont pas coïncidé avec des réductions des rejets de polluants ni d’extraction des matières première : jamais autant de papier n’a été utilisé, les émissions de CO2 repartent à la hausse, la bio-diversité s’effondre, les sols cultivables se dégradent. Les gains en efficacité rendus possibles par les nouvelles technologies se retrouvent contrebalancés par une augmentation de la consommation : c’est l’effet rebond.
Nous ne consommons pas seulement de plus en plus vite les ressources de notre environnement, nous les consommons surtout plus que la vitesse à laquelle elles se régénèrent. Cela finit indéniablement par poser des problèmes si on considère la durabilité de notre société sur le long terme, car dans ce scénario les stocks finissent par s’épuiser. Cet épuisement est à mettre en parallèle avec notre dépendance à ces matériaux car notre vie quotidienne et le fonctionnement de notre société en dépendent fortement : ordinateurs, téléphones, électroménager, réseaux de transports et bâtiments sont composés de métaux, terres rares et autres matériaux disponibles en quantités limitées.
Certains de ces matériaux arrivent déjà à épuisement, tandis que les pics d’extraction de nombreux autres sont prévus dans les décennies à venir. Les avancées scientifiques permettent d’obtenir un sursis et de réduire l’utilisation des stocks en développant des substituts ainsi que les méthodes de recyclage. Si ces deux stratégies permettent de réduire notre dépendance à la finitude des stocks cela cela ne fait que reporter le problème à plus tard puisque le nombre des substituts est fini et que le recyclage complet d’un produit est thermodynamiquement impossible. Dans le cadre d’une consommation croissante ces stratégies seules ne permettent pas de répondre à la question de la gestion durable des stocks.
L’utilisation croissante des matières premières et l’exploitation de notre environnement ne posent pas seulement des problèmes d’approvisionnement, les conséquences sont aussi environnementales et sociales : les activités minières s’accompagnent de fortes dégradations des sols via les rejets polluants et les monopoles miniers pratiquent l’évasion fiscale ainsi que l’exploitation des travailleurs. La focalisation sur les rendements et la mécanisation mènent à des conséquences désastreuses dans le domaine de l’agriculture : l’utilisation de pesticides et l’élevage intensif participent à la dégradation des terres arables et à la pollution des éco-systèmes.
Plusieurs événements alarmants ont marqué ce début d’année : les populations d’amphibiens, d’oiseaux et d’insectes ont connu des diminutions sans précédent lors des 30 dernières années. Derrière ces événements à‑priori inoffensifs pour l’humanité se cachent pourtant des conséquences indirectes regrettables : du point de vue du fonctionnement des éco-systèmes la présence de ces espèces n’est pas seulement esthétique, celles-ci nous rendent des services gratuits et indispensables comme la purification de l’eau et de l’air, la dégradation des déchets, la pollinisation, la régulation climatique, etc. La dégradation des ces services représente des pertes économiques évaluées à plusieurs milliards de dollars pour notre économie car nous devons remplacer ces services, faire face à la diminution des rendements agricoles et traiter les pathologies liées à la pollution.
Notre époque est donc marquée par différents phénomènes s’influençant mutuellement : diminution de la disponibilité des ressources, transformation des éco-systèmes et croissance démographique. La révolution industrielle nous a déconnecté des cycles bio-géo-chimiques en nous permettant d’exploiter les ressources énergétiques à‑priori sans limites. Pourtant ces limites apparaissent aujourd’hui sous le coup de la croissance exponentielle qui s’en est suivie et un problème nouveau auquel n’étaient pas confrontées les civilisations précédentes apparaît : le changement climatique. Celui-ci est doublement redoutable : d’une part il est irréversible en considérant l’échelle de temps humaine, d’autre part parce que nous n’y avons jamais été confronté précédemment.
Plusieurs rapports et études pointent les dangers de continuer business as usual sur notre modèle de croissance infinie. La NASA par exemple a financé une étude en 2014 montrant le lien entre l’exploitation excessive des ressources et le creusement des inégalités avec l’effondrement des sociétés, c’est à dire le changement brutal du mode d’organisation de celle-ci avec les dégâts humains que cela entraîne. Un tel scénario avait déjà été décrit en 1972 dans le rapport Limits to Growth du Club de Rome, où la modélisation de la dynamique des systèmes montre que les seuls scénarios où on s’en sort sont ceux où on abandonne le modèle productiviste de croissance infinie.
De son côté le GIEC alerte sur le rythme alarmant pris par le réchauffement du climat. Malgré « l’Appel des 15.000 scientifiques » l’année dernière soulignant nos échecs à réduire nos problèmes, les réponses politiques sont restées faibles. Le faisceau d’indice convergeant vers un changement brutal de la société telle que nous la connaissons s’épaissit sans recevoir d’écho ni de réponses convaincantes. Serions-nous paralysés par l’ampleur des événements à venir ? Ou simplement convaincus que la science nous sauvera ? Les risques que nous prenons en continuant sur notre lancée consumériste sont devenus trop grands pour que nous n’envisagions pas rapidement des changements radicaux dans l’organisation de notre société.
Sources
Dépendance, criticalité et consommation des ressources
A. Chapman, J. Arendorf, T. Castella, P. Thompson, P. Willis, L. Espinoza, S. Klug, and E. Wichmann. Study on Critical Raw Materials at EU level Final Report. (December) :148 151, 2014.
R. Chitkara and W. Ballhaus. The Internet of Things : The Next Growth Engine. PwC, pages 136, 2015.
J. G. Koomey, H. Scott Matthews, and E. Williams. Smart Everything : Will Intelligent Systems Reduce Resource Use ? Annual Review of Environment and Resources , 38(1) :311 343, 2013.
A. Valero and A. Valero. Physical geonomics : Combining the exergy and Hubbert peak analysis for predicting mineral resources depletion. Resources, Conservation and Recycling, 54(12) :10741083, 2010.
W. Steen, W. Broadgate, L. Deutsch, O. Ganey, and C. Ludwig. The trajectory of the anthropocene : The great acceleration. Anthropocene Review , 2(1) :8198, 2015
The Chemical Elements of a Smartphone, http://www.compoundchem.com/2014/02/19/the-chemical-elements-of-a-smartphone/
La Terre croule sous une montagne de déchets électroniques, l’ONU s’en inquiète, http://www.rfi.fr/zoom/20131215-terre-croule-dechets-electroniques-onu-environnement-pollution-etats-unis-union-europeenne/
Ces “graphiques manquants” pourraient changer votre manière de voir notre addiction aux combustibles fossiles, http://adrastia.org/graphiques-manquants-fossiles/
Raréfaction des métaux : demain, le « peak all », https://auxinfosdunain.blogspot.fr/2012/05/rarefaction-des-metaux-demain-le-peak.html
La consommation de matières augmente vertigineusement, https://reporterre.net/La-consommation-de-matieres-augmente-vertigineusement
Le recyclage : limites et critiques
P. H. Brunner. In Search of the Final Sink. 6(1) :86899, 1999.
F. Grosse. Is recycling part of the solution ? The role of recycling in an expanding society and a world of nite resources. Surveys and Perspectives Integrating Environment and Society , 3(1) :130, 2010.
B. K. Reck and T. E. Graedel. Challenges in metal recycling. Science , 337(6095) :690695, 2012.
Déchets: la Chine ferme sa poubelle, panique dans les pays riches, http://www.francesoir.fr/actualites-monde/dechets-la-chine-ferme-sa-poubelle-panique-dans-les-pays-riches
Biodiversité, extinctions et services éco-systémiques
Rapport Planète Vivante 2016, https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante-2016#ipv
Déclin des populations d’amphibiens, https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9clin_des_populations_d%27amphibiens
60 % des sols sont fortement dégradés et mettent en péril la biodiversité de la planète, http://www.novethic.fr/actualite/environnement/biodiversite/isr-rse/60-des-sols-sont-fortement-degrades-et-mettent-en-peril-la-biodiversite-de-la-planete-145586.html
Alerte de 15 000 scientifiques : leurs 9 indicateurs de dégradation de la planète analysés, https://www.franceculture.fr/environnement/alerte-de-15000-scientifiques-leurs-9-indicateurs-de-degradation-de-la-planete-analyses
Has Earth’s sixth mass extinction already arrived?, https://www.sciencedaily.com/releases/2011/03/110302131844.htm
C. A. Hallmann, M. Sorg, E. Jongejans, H. Siepel, N. Hoand, H. Schwan, W. Stenmans, A. Müller, H. Sumser, T. Hörren, D. Goulson, and H. De Kroon. More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE , 12(10), 2017.
J. E. Losey and M. Vaughan. The Economic Value of Ecological Services Provided by Insects. 56(4) :311323, 2012.
R. Costanza, R. Arge, R. D. Groot, S. Farberk, M. Grasso, B. Hannon, K. Limburg, S. Naeem, R. V. O’Neill, J. Paruelo, R. G. Raskin, P. Suttonkk, and M. van den Belt. The value of the world’s ecosystem services and natural capital. Nature , 387(May): 253260, 1997.
Scénarios d’effondrements
S. Motesharrei, J. Rivas, and E. Kalnay. Human and nature dynamics (HANDY) : Modeling inequality and use of resources in the collapse or sustainability of societies. Ecological Economics , 101 :90102, 2014.
D. Meadows, D. Meadows, J. Randers, and W. Behrens. The limits to growth. New-York , (0), 1972.
Limits to Growth was right. New research shows we’re nearing collapse, https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/sep/02/limits-to-growth-was-right-new-research-shows-were-nearing-collapse
Pourquoi la Nasa prévoit la disparition de notre civilisation, https://www.nouvelobs.com/sciences/20140319.OBS0385/pourquoi-la-nasa-prevoit-la-disparition-de-notre-civilisation.html
Autres sources
A quel niveau faut-il stabiliser le CO2 dans l’atmosphère ? https://jancovici.com/changement-climatique/agir-collectivement/quels-sont-les-niveaux-de-reduction-souhaitables/
Les émissions de CO2 repartent à la hausse, selon une étude, https://www.francetvinfo.fr/politique/conference-environnementale/les-emissions-de-co2-repartent-a-la-hausse-selon-une-etude_2465818.html
En Afrique du Sud, vent de panique au Cap menacé d’être privé d’eau, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/01/24/en-afrique-du-sud-vent-de-panique-au-cap-menace-d-etre-prive-d-eau_5246519_3212.html
Les ressources convoitées de la Corée du Nord, https://mrmondialisation.org/la-coree-du-nord-assise-sur-une-mine-dor/
Aux sources du scandale UraMin, https://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/BRANCO/56798
Glencore : comment une multinationale pille l’Afrique avec la complicité de l’Europe, https://www.bastamag.net/Glencore-comment-une
Autour de l’effondrement (psychologie du déni), https://www.institutmomentum.org/autour-leffondrement/
Le mythe de la technologie salvatrice, https://esprit.presse.fr/article/bihouix-philippe/le-mythe-de-la-technologie-salvatrice-39262