Gabriel Begazo est en 5GE. Il est franco-péruvien, âgé de 22 ans, et co-fondateur d’une startup qui existe officiellement depuis 7 mois : CEDE Labs. Une start-up pour faciliter la vie aux utilisateurs des écosystèmes crypto, et qui se rêve déjà en futur grand acteur de la finance décentralisée. Il est passé à l’Insatiable pour nous accorder une petite interview !
A partir de quel moment tu as voulu devenir entrepreneur ?
Depuis au moins 5–6 ans… quand j’étais tout petit et qu’on me posait la question habituelle « qu’est-ce que tu veux devenir plus tard ? », je répondais que je voulais devenir PDG sans vraiment savoir pourquoi (rires). Je crois que ce qui m’intéresse là-dedans c’est d’être maître de soi, de ne pas dépendre de quelqu’un, d’être actif et surtout la prise de décisions : prendre des décisions qui vont impacter ta vie, ton entreprise et potentiellement d’autres aussi !
Pourquoi les cryptos ? Pour devenir riche ou pour sauver le monde de la dictature des banques ? Ou quelque part entre les deux ? (rires)
Honnêtement ça se rapproche beaucoup plus du deuxième point. J’ai commencé à m’intérésser au cryptos vers 2016 à travers le bitcoin… ok y avait cette idée de faire un peu d’argent, on va pas se mentir, l’immense majorité des gens rentrent dans l’écosystème comme ça. Mais quand j’ai commencé à faire mes recherches ce qui m’a le plus plu c’est le parfait alliage entre la technique, l’idéologie qu’il y a derrière, et l’économie ! Je m’intéresse beaucoup aux questions liées à la monnaie, qui sont fondamentales même si les gens se les posent peu. Du coup je crois vraiment dans les cryptomonnaies étant très peu satisfait du système monétaire actuel : des monnaies dirigées par des banques centrales qui peuvent imprimer autant de monnaie qu’elles le souhaitent – on le voit avec l’euro en ce moment – Pour moi ça ne fait pas sens ! J’aime beaucoup dans les cryptos l’idéologie de la décentralisation. Les règles sont écrites dans un algorithme et connues par tous, y a vraiment cette idée de transparence qu’on ne retrouve pas dans les monnaies fiduciaires…
Pourquoi t’as entrepris là-dedans ? Comment l’opportunité s’est présentée à toi ?
Moi je ne pensais pas créer une entreprise aussitôt, je pensais plus à finir mes études, être salarié, construire une expérience, voir comment marchent différentes entreprises, et puis ensuite fort de cette expérience créer une entreprise ou plusieurs, mais finalement c’est arrivé plutôt que prévu, via une association que j’ai créée « Kryptosphere ». Rapidement c’est une asso étudiante dans l’écosystème des cryptos et blockchain qui est présente dans plein d’écoles d’ingé, de commerce… Du coup moi je voulais créer une antenne à Lyon. C’était super parce que j’ai rejoint un gros réseau, j’ai rencontré plein de gens d’autres antennes. Puis en août 2021, à l’une des plus grosses conférences sur le Bitcoin en Europe, à Bierritz – j’y suis allé grâce à Kryptosphere en aidant à l’orga – j’ai rencontré un autre gars d’une autre antenne. On échangeait, il m’a dit qu’il avait une idée, qu’il voulait créer une boîte, et comme l’aspect entreprenarial me plaisait beaucoup et que j’aimais son idée, on a gardé contact, on s’est rappelés, le feeling est bien passé et on s’est associés !
Et peux-tu nous décrire le rôle de CEDE Labs ?
Pour t’expliquer qu’est-ce qu’on fait, il faut savoir que dans l’écosystème crypto il y a deux mondes principaux : il y a le monde centralisé de l’écosystème (CeFi), où on va trouver des sortes de banques mais pour les cryptos, des entreprises qui vont gérer tes cryptomonnaies, donc tu passes par un tiers de confiance et là on va trouver des entreprises comme Binance… C’est souvent avec ce monde centralisé que les débutants vont commencer, c’est plus facile, l’user experience est meilleure, plus simple en général, et c’est aussi là où tu peux facilement acheter des cryptomonnaies. Ensuite il y a le monde décentralisé (DeFI) où on va se passer de ce tiers de confiance, entre autres grâce à une technologie des smart contracts, des programmes informatiques qui permettent d’automatiser les choses… C’est vachement intéressant, d’un point de vue idéologique déjà parce que tu es le maître de tes cryptomonnaies, tu es le maître de tes données, et y a personne qui va t’interdire par exemple de transférer tes fonds… d’un point de vue financier aussi on est moins à se répartir les parts du gâteau, donc on va avoir des placements plus intéressants.
Quand on est utilisateur de l’écosystème crypto, on va souvent utiliser ces deux mondes parce que chaque monde a ses avantages et ses inconvénients. Ce qu’on fait avec CEDE Labs, c’est qu’on cherche à agréger toutes ces applications, tous ces services, parce qu’on s’est rendu compte qu’en tant qu’utilisateur on va utiliser plein de services en même temps et tout ça amène à une mauvaise gestion de ton portefeuille, et tu va perdre de temps à gérer tes différents actifs. Donc nous on a deux produits : le premier est une interface – un dashboard – surlequel on va agréger l’ensemble des applications et des services pour que tu puisses manager l’ensemble de ton portfolio crypto, et ça on le fait via notre second produit qui s’appelle CD.store, qui est une extension de navigateur qui va intégrer le monde centralisé de l’écosystème sur notre dashboard. En une phrase ce qu’on fait c’est une plateforme pour faciliter la visualisation et la gestion de ton portfolio crypto !
Cool ! Et quel est ton rôle dans la boîte ?
Alors pour préciser ce que je fais moi, je suis COO donc je m’occupe de toute la partie opérationnelle, c’est-à-dire tout ce qui est légal, les contrats, la partie financière, gérer les payements, les factures… Pas mal de paperasse, ça c’est la partie la moins intéressante du travail (rires), mais après d’autres parties très intéressantes : la levée de fonds, contacter des investisseurs, présenter le projet à de futurs utilisateurs, la partie recrutement, et plus tard pas mal de travail avec les futurs partenaires pour chercher des synergies avec d’autres produits. C’est vrai que c’est assez large, et c’est ce qui est passionant quand on commence une boîte c’est que souvent on n’a pas un rôle bien défini mais on fait plein de choses puisqu’il y a tout à faire et construire !
Ce sont des savoir-faire que tu as acquéri tout seul du coup ?
Effectivement c’est des choses que j’ai pas du tout appris à l’insa (rires), donc effectivement j’ai appris sur le terrain en me formant, en discutant avec des gens beaucoup plus expérimentés que moi, et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre… En général, j’ai appris à une vitesse assez folle pour plusieurs raisons : la passion que j’y mets, et j’ai vraiment l’impression qu’on apprend beaucoup plus vite sur la pratique ! On peut avoir des cours en école de commerce, mais c’est toujours mieux au final d’être dans la pratique, on apprend plus rapidement.
Ca te prend combien de temps à peu près ? Tu arrives à marier ça avec les études ?
Je t’avoue que c’est compliqué, parce que je n’ai jamais fait que ça, j’avais toujours des choses à côté. Quand on a commencé – en août 2021 – je rentrais en septembre en stage à Paris, stage de 4GE. Je faisais à peu près du 9h-18h, alors les midis je travaillais pas mal, même en journée j’avais des appels. Globalement je travaillais beaucoup, les soirs, les week end, et pendant les vacances… Au début on allait quand même pas très vite, on était que deux, donc y avait pas une grosse pression de temps. Par la suite j’ai ramené deux amis à moi qui étaient alternants ; ce qui est important je pense, quand on se lance dans un projet comme ça, entrepreneurial ou pas, c’est qu’on ait des objectifs communs. On avait tous une ambition assez forte, on était pas là pour s’amuser, on voyait à long terme. Après les choses ont commencé à s’accélérer, surtout avec la levée de fonds et les appels avec les investisseurs. On sentait un peu plus le truc sérieux et on se mettait peut-être plus automatiquement la pression.
Le capital venait entièrement des levées de fonds ? Vous avez fait des crédits ?
Au début nous on a mis un peu d’argent pour créer la société. Officiellement elle existe depuis décembre 2021. En tout on a peut-être mis… 1500 euros chacun ? Ca représentait quand même une somme importante pour moi. On a fait notre levée de fonds vers février, mais on n’a commencé à percevoir l’argent de la part d’investisseurs qu’en juin. Jusque là on travaillait bien sûr sans être payés, mais en même temps on avait pas beaucoup de frais, donc l’argent qui a été mis était suffisant, ça nous a permis de payer des frais d’avocats pour créer la boîte, des frais techniques… Puis on a eu de la chance au bout d’un moment on a été contactés par Station F, qui est le plus pros incubateurs de Startup’s en Europe, et qui aident à démarrer sur plusieurs plans. On les a rejoint depuis septembre donc maintenant on a des locaux là-bas. Avant le début de l’INSA j’y allais tout le temps, maintenant avec les cours c’est une situation compliquée. J’ai hâte de finir l’INSA ! Je dirais que l’école m’a appris à apprendre, mais j’ai la sensation que maintenant ça ne me sert plus à grand-chose, d’autant plus que ce que je fais n’a rien à voir avec ma spécialité. Mais je continue quand même, pour avoir un diplôme évidemment qui est une sécurité aussi au cas où la société ne fonctionne pas – ce qui entre nous est très probable -
Quelle incidence ça a eu sur ta personnalité ? Ton rapport aux gens ? Aux temps ?
C’est vrai qu’on perd un peu en spontanéité (rires). Clairement, mon rapport au temps a beaucoup changé. J’ai appris à mieux m’organiser et je suis en constante amélioration, j’essaie d’optimiser mon temps… Cela ne veut pas dire que je suis un robot et que je ne pense qu’à travailler, j’ai besoin de moments pour moi, mes amis et ma famille. Mais c’est vrai que globalement je time beaucoup plus ce que je fais. J’ai perdu la notion du week end aussi… je ne remarque pas de grosse différence avec le reste des jours. Mais je ne le vois pas comme quelque chose de négatif, j’ai l’impression d’être plus efficace dans mon travail.
Une question un peu caricaturale, entreprendre nous force-t-il à devenir de droite ?
Je pense pas… Pour être honnête moi je suis un peu plus de droite de base, je crois beaucoup à la méritocratie. Ce qui a changé c’est que je vois plus concrètement les choses, alors parfois ça me choque, je vois la lenteur de l’administration, les impôts, y a beaucoup de problèmes même si il y a des aides aussi, par exemple un très bon accompagnement de la BPI – la banque publique d’investissement – qui aide beaucoup sur plein d’aspects. Je suis fier du modèle français hein, mais je me considère globablement comme un libéral donc j’aimerai qu’on fasse beaucoup plus pour les entrepreneurs, les gens qui crèent. Si on aide des petites startup, ça bénéficie à toute la société. Je pense que la France devrait avoir un regard beaucoup intelligent, de mettre tout à disposition du développement des startup, moins mettre de bâtons dans les roues, donc ça passe par un allègement à mon avis de la fiscalité, et faire en sorte que quand les boîtes naissent elle restent en France ! Je trouve qu’actuellement on fait pas mal de choses, mais on peut faire mieux.
Pour finir, est-ce que tu conseillerai ça ?
Pour moi la réponse est oui clairement (rires). Je suis extrêmement reconnaissant et très heureux actuellement dans ma vie, même s’il y a des sacrifices à faire… Après ça dépend des caractères, donc je dirais pas forcément à tout le monde de se lancer, mais y a beaucoup de personnes qui devraient s’intéresser à ça parce qu’on apprend énormément. Tu peux rencontrer des gens géniaux. Aussi, ce n’est pas l’objectif principal mais si ta startup marche, ça peut te rapporter beaucoup d’argent et être à l’aise pour la suite afin de pouvoir financer d’autres projets ! Donc si c’était à refaire je le referai forcément !
Un autre avantage à entreprendre aussi jeune, c’est que ton âge joue souvent en ta faveur et pas l’inverse. On peut se dire que les gens te prennent pas au sérieux, mais du moment que t’arrive à montrer ton sérieux ça les impressionne, et les gens te feront confiance parce qu’ils savent que tu peux aller plus loin. Etre jeune c’est le bon moment aussi à mon avis parce que tu as le droit à l’erreur. Si t’as une situation financière stable, le risque c’est de rester dans sa zone de confort – pourquoi je quitterai mon entreprise pour partir de zéro ? – ou si tu as des responsabilités… Là dans notre cas même si ça marche pas c’est pas grave, je peux retrouver un travail, je n’ai rien à perdre. Pour ces raisons je pense que c’est une super période pour se lancer !
Juste pour finir… j’ai une grande conscience des défis de notre société et qui ne sont pas forcément dans l’écosystème crypto ou financier tu vois. J’ai conscience que mon projet entreprenarial actuellement n’est pas – de mon point de vue en tous cas – de ceux qui font le plus de bien à l’humanité. Mais je le fais déjà parce que ça me passionne et que j’en ai eu l’opportunité. Maintenant que j’ai goûté au plaisir d’entreprendre, je crééerai sûrement d’autres boîtes à l’avenir. Les choses ont fait que j’ai commencé par là, mais je ne ferai pas ça toute ma vie je pense !
Ayman