Sauver la planète, manger les riches ! 

Rien qu’en sub­sis­tant dans l’existence, les ultra-riches pol­luent énor­mé­ment. Il n’y a qu’à suivre des comptes comme @laviondebarnard (et autres stars du 0,1%) pour se rendre compte de leurs exor­bi­tants tra­jets et com­prendre — avec une pince d’agacement — que ces gens-là peuvent pol­luer votre vie entière en un mois ! Les 1 % les plus riches sont res­pon­sables de 15 % des émis­sions mon­diales, c’est beau­coup non1 ?

Qu’ils soient mil­liar­daires véreux, spor­tifs de haut-niveau, influen­ceurs ou ministres en exer­cice, ils ont en com­mun ce même air hors sol, avec la com­pli­ci­té et l’incapacité à légi­fé­rer d’une classe poli­tique qui assiste à tout ça de manière pas­sive, devise de tran­si­tion cli­ma­tique dans de grands forums pom­peux avec les yachts sta­tion­nés à l’arrière, et trouve quand même le cou­rage d’inviter le reste de la popu­la­tion à faire des efforts en vue de la crise cli­ma­tique ! A la manière d’un Macron qui fait un dis­cours vibrant où il invite le peuple à bais­ser la clim et le chauf­fage et annonce « la fin de l’abondance » tout en refu­sant de tou­cher – contrai­re­ment à des pays voi­sins comme l’Espagne ou le Por­tu­gal – à celle des super­pro­fits pétro­liers et com­pa­gnie. Tout ça finit par res­sem­bler à une blague de mau­vais goût…

L’écologie des petits gestes ne passe plus

Vivant dans un tel cli­mat, on peut com­prendre sans mal que des gens se détournent de l’imaginaire éco­lo­gique tel qu’il leur est pré­sen­té, iro­nisent des­sus, se moquent même, refusent ridi­cu­le­ment de trier leurs déchets ou d’abandonner leur bagnole fétiche. Tant que l’écologie qu’on leur pro­pose est une éco­lo­gie indi­vi­dua­liste des petits gestes qui nie les rap­ports sociaux et le juste par­tage de l’effort, ils ont bien rai­son de pas­ser leur che­min… et tant mieux !

Dire non à l’écologie bour­geoise qui met tout le monde sur le même pied d’égalité, dilue la res­pon­sa­bi­li­té des plus aisés et du sys­tème qu’ils arrosent – le capi­ta­lisme — dans un « nous » abs­trait, une « huma­ni­té » qui se réduit en réa­li­té aux classes supé­rieures des pays riches, c’est com­men­cer à pen­ser une éco­lo­gie offen­sive qui aille au fond du pro­blème, une éco­lo­gie où les gens sont moins occu­pés à réduire ce qu’ils peuvent de leur empreinte car­bone – ce qui ne repré­sen­te­rait de toute façon qu’à peu près le quart de la réduc­tion néces­saire2 — que de se concer­ter sur la façon dont on pour­rait refon­der une socié­té sobre et décrois­sante, son tis­su indus­triel, son mix éner­gé­tique, ses modes d’importation, l’aménagement de ses ter­ri­toires, et puisque c’est le sujet du moment, ce qu’elle per­met et ce qu’elle ne per­met plus !

De ce point de vue, le lour­daud un peu beauf qui aime pas­sion­né­ment les entre­côtes n’est peut-être pas un enne­mi de la cause : dans l’usine où il tra­vaille, il a peut-être des idées sur com­ment on réoriente la pro­duc­tion ; il serait peut-être béné­vole dans la nou­velle grande ferme col­lec­tive du quar­tier ! Ce qui importe par-des­sus tout, c’est l’élan col­lec­tif : l’austérité qu’on décide ensemble sera tou­jours plus accep­table, voire géné­ra­trice d’enthousiasme, que l’écologie qu’on nous assène d’en haut à coup de leçons de morale de la part de ceux qui, rien que par leur appar­te­nance de classe, pol­luent bien plus que nous.

Le rem­part de la bour­geoi­sie

Or c’est là que le bât blesse ! Si un élan col­lec­tif venait à se créer, on a vite une cer­taine idée de qui serait mis au banc des accu­sés : nos riches du départ. Leur mode de vie quoique extra­va­gant n’est que l’arbre qui cache la forêt pour ceux qui pol­luent sur­tout en pos­sé­dant – auquel cas on par­le­ra doré­na­vant de bour­geois — : de par leur patri­moine finan­cier, 63 mil­liar­daires fran­çais pol­luent plus que la moi­tié de la popu­la­tion selon une étude de Green­peace et Oxfam !
Leur por­te­feuille d’ac­tions a une odeur par­ti­cu­liè­re­ment sale puisqu’ils pilotent des entre­prises géné­ra­le­ment cli­ma­ti­cides et des mul­ti­na­tio­nales extrac­ti­vistes en impo­sant des ren­de­ments insou­te­nables, sans par­ler de leur acti­visme poli­tique en tant que puis­sants lob­bys, à l’échelle natio­nale ou trans­na­tio­nale. Pro­prié­tés finan­cières et lucra­tives, pro­prié­tés immo­bi­lières, pro­prié­tés indi­vi­duelles… on touche enfin le fond du pro­blème : l’appropriation col­lec­tive de la pro­blé­ma­tique éco­lo­gique, qui passe par l’appropriation col­lec­tive de sec­teurs de l’économie, de ter­rains, de bâti­ments à réno­ver, d’activités à déman­te­ler… bute sur la pro­prié­té des bour­geois, autant dire leur exis­tence ontologique.

Pour une éco­lo­gie du dépas­se­ment de la pro­prié­té

Ce bous­cu­le­ment des repères de la pro­prié­té, en par­ti­cu­lier lucra­tives, peut s’étaler sur des degrés de radi­ca­li­tés divers. Allant de la modeste taxa­tion pour récu­pé­rer des fonds utiles à la tran­si­tion : une sur­taxe sur les divi­dendes des entre­prises néfastes pour le cli­mat peut rap­por­ter 17 mil­liards de dol­lars et un ISF cli­ma­tique sur les pla­ce­ments finan­ciers 6,8 mil­liards3 ! Jusqu’à la socia­li­sa­tion d’activités éco­no­miques à diri­ger non plus vers le pro­fit mais vers les besoins, des natio­na­li­sa­tions, un droit de pré­emp­tion sur des sec­teurs qu’il s’agirait de contrac­ter, des puni­tions légales, des sabo­tages, des res­tric­tions d’usage, voire des confis­ca­tions : avec cet épi­sode de la guerre en Ukraine, l’UE s’est mon­trée par­ti­cu­liè­re­ment vaillante et capable (sic) quand il s’agit d’annuler argent, avoirs et pro­prié­tés de luxe des oli­garques russes, alors pour­quoi ne pas res­sor­tir les poli­tiques de guerre sur d’autres fronts ?

A la une du numé­ro d’Août-Sep­tembre de Socialter

Aux gens qui répon­dront que c’est extrême, fau­drait-il rap­pe­ler que les cir­cons­tances sont extrêmes aus­si, que pour les couches les plus oppri­mées de la socié­té elles n’ont jamais ces­sé de l’être, les mêmes qui seront en pre­mière ligne dans l’adaptation face au dérè­gle­ment éco­lo­gique. Inci­ta­tions et demandes polies ne peuvent plus suf­fire, car de grandes bifur­ca­tions appellent à des choix gran­dioses : entre autres, désa­cra­li­ser la pro­prié­té pri­vée pour évo­luer vers des régimes de copos­ses­sion du monde et de ses struc­tures pro­duc­tives. La bour­geoi­sie n’a pas de nombre ou d’armée à oppo­ser, elle n’a que ses jeux d’influence, des codes numé­riques sur un compte en banque et le mythe infaillible de son pré­ten­du mérite dis­til­lé dans la socié­té pour tenir les regards éloignés !

Enten­dons-nous bien, les très riches ne sont pas les seuls res­pon­sables et les bous­cu­ler ne chan­ge­ra pas les choses du jour au len­de­main ! Mais cela per­met­tra au moins de redis­tri­buer quelques cartes, de l’argent, des espaces de pou­voir, et sur­tout, redon­ner de la digni­té aux gens avec des sym­boles forts : nous ne sommes pas dans la même galère, vous êtes ridi­cules avec vos jets et vos post ins­ta, vos golfs et vos pis­cines, vous pre­nez trop de place, main­te­nant déga­gez un peu (beau­coup) pour qu’on puisse avan­cer ! Et merci !

Ayman

1. Selon un rap­port com­plet d’Ox­fam sur les inéga­li­tés des émis­sions de CO2 : Research-Report-Carbon-Inequality-Era-Embargoed-21-Sept-2020
2. Si on prend le scé­na­rio des efforts “modé­rés” dans l’é­tude “Faire sa part” de Car­bone 4.
3. Selon une étude de Green­peace résu­mée sur le lien sui­vant : https://www.greenpeace.fr/milliardaires-et-climat-4-chiffres-qui-donnent-le-vertige

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