Alternance pour la thune

L’alternance est un bon moyen d’apprendre, on rentre dans le monde du tra­vail pen­dant nos études. On gagne de l’argent, on gagne en expé­rience pro­fes­sion­nelle tout en étu­diant pour obte­nir un diplôme d’ingénieur. De plus, très sou­vent un poste est ouvert pour vous à la fin de l’alternance dans l’entreprise qui vous embauche.

En effet, l’entreprise sou­haite un retour sur son inves­tis­se­ment éco­no­mique et social : vous. Par­lons de l’entreprise, de l’apprenti.e (ou plu­tôt futur.e) puis for­mu­lons une conclu­sion. La plu­part des choses for­mu­lées ici pro­viennent d’expériences diverses, dont la mienne, aux­quelles j’ai eu échos.

Pour­quoi les entre­prises font de l’alternance

Com­bien gagne ou perd une entre­prise avec l’embauche d’un.e alternant.e sur trois ans ? L’entreprise a le droit à des aides assez impor­tantes : 8000 euros sont ver­sés men­suel­le­ment à l’entreprise pour un.e alternant.e majeur.e et 5000 pour un.e mineur.e.[1]

L’entreprise a aus­si accès, selon sa taille et ses moyens, à des déduc­tions fis­cales[2]. De plus, elle « béné­fi­cie d’exonérations de coti­sa­tions et de contri­bu­tions sociales patro­nales et sala­riales au titre de ce contrat d’apprentissage. Quelles que soient la taille et l’activité de votre entre­prise : – la rému­né­ra­tion de l’apprenti‑e n’est pas assu­jet­tie à la CSG[3] et à la CRDS[4] ; les coti­sa­tions patro­nales et sala­riales dues au titre des assu­rances sociales (mala­die, mater­ni­té, inva­li­di­té, décès, vieillesse) sont tota­le­ment exo­né­rées ; les coti­sa­tions sala­riales d’assurance chô­mage sont exo­né­rées ; les coti­sa­tions liées aux acci­dents du tra­vail et aux mala­dies pro­fes­sion­nelles res­tent dues. » [5]

En bref, beau­coup de choses per­mettent à l’entreprise d’engager sans trop de pertes un.e alternant.e. Tout cela pour dire que le pro­blème pour une entre­prise réside en grande par­tie dans le choix de l’apprenti.e. Elle doit pou­voir recru­ter lar­ge­ment pour trou­ver le.a meilleur.e per­sonne qui lui per­met­tra de faire le plus de retour sur inves­tis­se­ment sur les trois ans.

Une entre­prise à but lucra­tif[6] cherche avant tout une per­sonne effi­cace et dyna­mique qui sau­ra se confondre avec ses valeurs et son mode de travail.

Les apti­tudes qui font de vous un bon.e alternant.e

Pour l’apprenti.e, le jeu de l’alternance consiste à para­der et à se mettre en valeur pour ces entre­prises. Jusque-là, pas de dif­fé­rence avec le monde pro­fes­sion­nel. On ment, on est élogieux.se envers soi-même et l’entreprise que l’on séduit, on se vante et se rabaisse pour obte­nir un poste qui ne nous plait pas for­cé­ment. En dehors du sché­ma stan­dard, la recherche d’entreprise en alter­nance ajoute quelques petites options sym­pa­thiques. A l’image des concours uni­ver­si­taires, seule­ment quelques places sont ouvertes pour inté­grer l’école d’ingénieur en alter­nance. Une course à l’entreprise est donc menée. Des inéga­li­tés naissent à la porte même de l’école. En réa­li­té, elles ne naissent pas mais s’enveniment.

Cer­taines per­sonnes rece­vront des offres dès leur ins­crip­tion tan­dis que d’autres devront démar­cher des dizaines ou ving­taines d’entreprises pour obte­nir une réponse mail de refus. La « réus­site »[7] de ce concours est condi­tion­né, selon moi voi­ci les filtres d’entrée à l’école d’ingénieur : – le milieu cultu­rel – la nature des expé­riences sociales vécues – son amour propre – son pas­sé scolaire.

Je parle de milieu cultu­rel pour sim­ple­ment dire que tout le monde ne peut pas deve­nir ingé­nieur selon son envi­ron­ne­ment social et cultu­rel. En effet, une per­sonne ayant un accom­pa­gne­ment dans sa démarche de recherche d’entreprise aura plus de faci­li­té à gérer la recherche d’entreprise. Iel aura accès à des cor­rec­tions sur son CV, ses lettres de moti­va­tion, sur sa pres­ta­tion à l’oral ou bien son atti­tude et sa capa­ci­té à répondre à diverses ques­tions. Chez la per­sonne n’ayant pas tout cela, il est dif­fi­cile de pal­lier à ce manque, les cours, les quelques com­men­taires d’ami.es ou des parents ne suf­fisent pas. Cette apti­tude à « savoir les choses avant de les avoir vécus »[8] est l’un des cri­tères de sélection.

De même pour les expé­riences pro­fes­sion­nelles, tout le monde – n’a pas été mis dans le milieu pro­fes­sion­nel dès le col­lège ou le lycée – n’a pas accès à des emplois de proxi­mi­té – n’en a pas eu la néces­si­té. L’assiduité, le sérieux ou le tra­vail d’équipe, néces­saires au deve­nir d’ingénieur.e se déve­loppent dans énor­mé­ment de dis­ci­plines autre que l’expérience pro­fes­sion­nelle ou lucra­tive. Mais les années de déve­lop­pe­ment de soi ne comptent pas vrai­ment, tout le monde se fiche de vos pas­sions bien que vous les ayez déve­lop­pées en équipe ou sur scène.[9] Bien sûr, elles res­tent néces­saires pour mon­trer que vous avez une vie. Mais ce qui fera la dif­fé­rence c’est votre capa­ci­té à pro­duire de la valeur. Si vous avez déjà rap­por­té des sous, autre­ment dit si vous avez déjà pro­duit de la valeur par votre force de tra­vail, alors poten­tiel­le­ment vous pou­vez le refaire. Ce poten­tiel est convoi­té par les entre­prises car après tout, autant prendre de la « main d’œuvre pro­duc­tive »[10].

Le confor­misme

Ensuite, on nous teste sur notre capa­ci­té à par­ler, à s’exprimer, à échan­ger, à savoir tout sur tout et à tout moment, à savoir poser, à sou­rire ou bien à faire pro­fil bas. Toutes ces attentes dépendent des entre­prises. Dif­fi­cile de trou­ver un tra­vail si vous êtes timide ou réser­vé, ou bien au trop éner­gique et impatient.e. Il faut être tout et, en même temps, rien.

Savoir s’adapter au gré des entre­prises et des entre­tiens. Savoir perdre sa per­son­na­li­té et son amour propre pour se faire entendre. Il faut détruire ses propres convic­tions ou sim­ple­ment ne pas en avoir. Il faut obéir aux demandes et avoir un esprit « cor­po­rate »[11]. Faire « comme si » au lieu d’assumer nos dif­fé­rences. Et si vous êtes en défaut, le men­songe est le pre­mier pas de la réus­site. Car savoir men­tir reste un prin­cipe d’entreprise.

Enfin, évi­dem­ment, les bul­le­tins sco­laires per­mettent de clas­ser les apprenti.es. De les mettre dans des cases : Grand.es Admis­sibles | Admis­sible | refusé.e.[12] Ce bul­le­tin de notes peut être pour certain.es un point d’entrée valable. Néan­moins, il est impor­tant de mettre en valeur que les notes rete­nues par l’INSA sont celles : Des mathé­ma­tiques, de la phy­sique, de la LV1 et la LV2 et du fran­çais. Il ne fau­dra alors pas vous éton­ner sur l’état d’esprit des futur.es élèves ingénieur.es : sexistes, racistes, apolitisé.es[13], inconscient.es, imma­tures et j’en passe. L’ouverture d’esprit, l’intérêt pour l’histoire, la phi­lo­so­phie ou l’art, ne sont pas des cri­tères d’entrée.

En conclu­sion, INSA cherche à tout prix à répondre aux attentes des entre­prises[14]. Cette alter­nance est une oppor­tu­ni­té pour les entre­prises. Elle ne laisse pas­ser que les pro­duits « cor­po­rate » ou bien capables de se battre et se men­tir à eux-mêmes pour obte­nir gain de cause. Notre école joue le jeu, elle fait pas­ser des entre­tiens, elle teste les apprenti.es sur les capa­ci­tés deman­dées par les entre­prises. Elle met aus­si en avant les plus « fort.es » et les aide en ouvrant des contacts d’entreprises. Un.e petite par­tie des apprenti.es est taguée en « Grand.e admis­sible » et aura accès à des contacts d’entreprises par­te­naires. L’autre par­tie reste dans l’ombre et obtient l’accès des semaines plus tard.

En fait, cette alter­nance vous per­met de deve­nir une main d’œuvre plus tôt que pré­vu. Vous vous appre­nez pour l’entreprise, vous vous façon­nez pour l’entreprise, vous vous cas­sez la tête à savoir être et faire pour l’entreprise pen­dant trois ans et vous pro­dui­sez pour l’entreprise. Et tout cela à prix qua­si nul pour elle.

Ces études ne mentent pas sur un point : vous gagnez en « auto­no­mie finan­cière »[15]. Elle oublie de pré­ci­ser qu’en échange, vous êtes asservi.es aux attentes de l’entreprise sur le plan sco­laire et pro­fes­sion­nel. Le temps deman­dé à la « réus­site » de ces deux points est consé­quent, ne vous per­met­tant pas de vous consa­crer plei­ne­ment dans vos pro­jets per­son­nels. Si vous êtes absent.e, vous per­dez de l’argent. Si vous n’aimez pas l’entreprise, vous êtes coin­cés dans un dilemme de recherche, de démarches admi­nis­tra­tives etc. sous le joug de la perte totale de votre pre­mière moti­va­tion, deve­nue, avec le temps, une condi­tion à votre sur­vie : l’argent.

Crab.

 

[1]« Aide excep­tion­nelle aux employeurs qui recrutent en appren­tis­sage » – https://travail-emploi.gouv.fr/ – 3 décembre 2021

[2] « Déduc­tions fis­cales de la taxe d’apprentissage » – www.alternance.emploi.gouv.fr/ – Mis à jour le 05/10/2021

[3] « Qu’est-ce que la CSG ? » – www.vie-publique.fr – 19 octobre 2021

[4] « Qu’est-ce que la CRDS ? » – www.vie-publique.fr – 16 avril 2019

[5] « Aides finan­cières à l’apprentissage » – www.agefa.org/

[6] Recher­chant la crois­sance économique.

[7] Aka. deve­nir un.e petit.e ingénieur.e asservi.e au système.

[8] L’apprenti.e a un retour d’expérience sur le milieu de l’entreprise que n’a pas un.e autre apprenti.e grâce au milieu cultu­rel et social qui lui est propre.

[9] Pour le domaine artis­tique par exemple.

[10] Les entre­prises ont peur des « bon.nes à rien », démotivé.es et non-inté­res­sées par le gain et l’argent, moteur des entreprises.

[11] Esprit d’entreprise, mais vu qu’on est ingénieur.e, on fait dans le bilingue.

[12] Nous revien­drons sur ce point plus tard.

[13] Ici le terme est uti­li­sé pour : pas intéressé.e par l’engagement poli­tique de manière générale.

[14] Les thèmes des matières dépendent énor­mé­ment des attentes d’un conseil d’entreprises.

[15] Dans le sens où vous gagnez de l’argent tous les mois vous per­met­tant de vous déta­cher de vos parents.

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