L’Insatiable a publié dans son numéro d’Automne un article vous présentant le véganisme. Pour aller plus loin, nous vous proposons quelques réponses aux objections régulièrement entendues.
Mais on ne leur fait pas mal aux moutons quand on prend leur laine, c’est naturel !
Pour discuter de cette remarque, je vais prendre l’exemple des moutons mais la réflexion peut être étendue à chaque espèce victime de l’industrie.
Les moutons aujourd’hui utilisés ont subi des sélections et modifications génétiques pour accroître la production de laine si bien qu’ils ne sont désormais plus capables de réguler leur laine tout seuls : ils sont donc condamnés à mourir de chaud et à étouffer sous le poids de leur manteau. Nous nous sommes inscrits dans un pseudo cycle naturel que nous avons créé en les rendant esclaves de notre système.
Pourtant, les moutons sont des êtres sensibles qui ressentent la douleur et ont conscience de la vie et de la mort. De plus, selon une étude de l’Université de Cambridge((Franziska Knolle, Rita P. Goncalves, A. Jennifer Morton, http://rsos.royalsocietypublishing.org/content/4/11/171228, 8 Novembre 2017)), ils ont une mémoire qui les rend capables de se souvenir des visages pendant plus de deux ans. Les moutons distinguent les émotions sur les visages humains et autres animaux (la colère, le stress ou le calme) et les ressentent : ils sont très anxieux loin de leur famille et un deuil peut durer plusieurs années. L’anthropocentrisme dont le raisonnement se teinte est certes condamnable, mais si le doute existe alors pourquoi prendre le risque de faire perdurer une telle souffrance ?
La tonte industrielle est un enfer : castration à vif, section de la queue, enfermement, séparation des familles, mulesing((NDLR : Le mulesing est une technique chirurgicale d’ablation d’une partie de la peau périanale des moutons.)) et mutilations en tout genres. Ce ne sont PAS des mythes, ce quotidien est bien celui de l’industrie de la laine actuelle((Voir L214 https://www.l214.com/enquetes/2015/abattoir-made-in-france/moutons, 14 octobre 2015)).
Le problème ne tient donc pas tant à l’acte de prendre de la laine au mouton, mais à tous les rouages terribles qui s’articulent méticuleusement autour de cet acte pour répondre au diktat du productivisme. La coopération humain/animal est une réflexion qu’il faut engager, mais le chemin est déjà très long pour abolir la domination, et nous n’en sortirons pas en nous cachant derrière un faux argument.
Mais t’imagines toutes les espèces qui vont disparaître? Et tu me parles de destruction de la biodiversité !
En effet, certaines espèces ont été créées par et pour l’humain, et en sont complètement dépendantes. Elles sont devenues des produits de consommation, si bien que les espèces d’élevage représentent une biomasse 25 fois supérieure à celles des animaux sauvages, alors qu’elles représentent moins d’un millième du nombre total. Ainsi, la perte de biodiversité engendrée par les conséquences catastrophiques de l’élevage sur les sols, l’air ou le climat est largement supérieure… À court terme, le but ne serait pas de laisser tous ces animaux mourir, mais d’arrêter de les faire se reproduire de manière forcée et à outrance, et les accompagner dans une fin de vie digne et sans souffrance.
Et les éleveurs, tu y penses ?
L’argument de l’anti-humanisme revient très souvent, alors qu’il n’a aucun rapport avec le sujet. Il est notamment développé par Jean-Pierre Digard, dans l’animalisme est un anti-humanisme, qui avance que « ce qui n’est pas reconnu comme allant dans le sens de l’intérêt prioritaire de l’homme n’a aucune chance d’être retenu et de s’inscrire dans la durée », et que « la problématique du bien-être animal ne traduit rien d’autre qu’une relation de type paternaliste dans un contexte industriel qu’il s’agit simplement de rendre supportable aux animaux ». J’espère ne pas être idéaliste en pensant qu’il a tort. Le système industriel ne doit pas s’imposer comme la seule solution. Utilisons notre intelligence et ne cherchons pas notre propre intérêt, là où les autres espèces nous donnent tant : en 1997, un groupe de scientifiques a calculé que les services fournis par nos écosystèmes, s’ils étaient correctement évalués, vaudraient autour de 33 000 milliards de dollars US par an((Nature, 1997. The Value of the World’s Ecosystem Services and Natural Capital)). De plus, le véganisme ne souhaite pas renverser le rapport en plaçant les autres animaux devant l’humain, et en aucun cas l’abolition de l’exploitation animale ne dessert l’humain. Mais étant à l’origine de ce système, c’est à lui qu’il incombe de le changer. En réalité, les acteurs du changement, ceux sur lesquels il faut faire pression, ceux qui ont la responsabilité de cette barbarie, ce ne sont pas les éleveurs. Il faut sortir de son esprit l’image de l’éleveur heureux dans sa ferme traditionnelle : la plupart sont eux-mêmes exploités, travaillent à la chaîne, soumis à une concurrence cruelle et étranglés par les groupes industriels. Ils sont forcés de privilégier le coût des traitements et donc d’empêcher l’émotionnel de s’immiscer dans leur travail. Il y a quelques semaines, j’écoutais une élève ingénieur agronome raconter son premier contact avec l’éleveur d’une exploitation française dans le cadre d’un stage : « les cris, le sang, la mort, on s’y fait : on n’a pas le choix. ». Ce n’est PAS normal. Et à nouveau, il est important de comprendre que le véganisme ne s’attaque pas à certains individus, mais bien au système, qui les conditionne, et les emprisonne.
Mouais. Enfin si c’est pour manger du soja aux pesticides d’Argentine, autant manger de la viande locale.
Les lobbys ont un pouvoir incroyable sur la conscience collective, et particulièrement quand l’argument légitime l’absence de remise en question.
Déjà, au sujet de l’environnement, l’impact de la production de viande ne réside pas majoritairement dans le transport contrairement aux autres produits : la viande locale, c’est donc beaucoup moins cohérent que pour un autre aliment. Par exemple, l’élevage constitue plus de 50% des émissions de gaz à effet de serre en Nouvelle-Zélande((Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, http://agriculture.gouv.fr/nouvelle-zelande, 12/07/2016)).
D’autre part, il existe des filières de production de soja en France. La raison pour laquelle cette légumineuse subit une production intensive, c’est parce qu’elle constitue une grande partie de la nourriture des animaux d’élevage (85% de la production mondiale((Soyatech, n.d. « Soy facts », http://soyatech.com.))). Si les pays riches et émergents divisaient par deux leur consommation de viande, et que la sécurité alimentaire faisait l’objet d’une réelle préoccupation politique, plus de 2,2 millions d’enfants échapperaient à la malnutrition chronique grâce aux céréales économisées ((Msangi S. and Rosegrant M., 2012. « Feeding the future’s changing diets : implications for agriculture markets, nutrition and policy », in : Shenggen Fan et Rajul Pandya-Lorch, Reshaping agriculture for nutrition and health, Washington : International Food Policy Research Institute.)). Mais plutôt qu’aller dans ce sens, on produit des OGM sous prétexte que produire plus, c’est nourrir plus, alors que cette production est destinée aux animaux d’élevage pour satisfaire la demande des pays riches, tout en continuant d’infliger des souffrances, de détruire la couche d’ozone, et puis les sols en même temps. On a pas besoin que le mur se mette sur notre chemin, on y court volontairement.
Au sujet du soja, vient ensuite le mythe des hormones. Le soja contient en effet des isoflavones, qui sont des phyto-oestrogènes, et non pas des oestrogènes (hormones féminines). En réalité, les phyto-oestrogènes ce sont des polyphénols, pas des hormones : ils ont une structure moléculaire similaire, donc potentiellement le même effet sur le corps humain que les hormones, mais sont 1000 fois moins concentrés. Certaines études traitent même de son aspect protecteur vis à vis du cancer du sein ((D. Ingram, K. Sanders, M. Kolybaba et D. Lopez, « Case-control study of phyto-oestrogens and breast cancer », The Lancet, vol. 350, Les polyphénols sont aussi présents dans les céréales, autres légumineuses, et même dans la viande. Ainsi, non, vous ne mangez pas des hormones en consommant du soja. Par contre, vous consommez des hormones en vous nourrissant de viande gavée aux antibiotiques.
Le végétalisme ? Non mais les carences, le prix, puis j’ai pas envie de manger des graines toute ma vie.
Le végétalisme est un régime alimentaire parmi les autres : son impact sur la santé dépendra de la qualité et de la quantité des aliments. Oui, il est plus pauvre en acides gras saturés, car ceux-ci sont principalement contenus dans la viande. Oui, il est généralement plus pauvre en sucre, car très présent dans les produits industriels — qui sont encore loins d’être vegan pour la plupart — ; mais cela n’en fait pas un régime et cet amalgame a été largement diffusé par les stratégies marketing. La nourriture végétale est très diverse et peu chère, mais nécessite de revoir son éducation alimentaire. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce sujet, mais je reviendrai uniquement sur le sujet de la B12, qui est le seul supplément réellement nécessaire au régime végétalien.
En effet, la B12 est synthétisée par des bactéries, présentes dans les intestins de certains animaux. Pour les autres, ils s’en procurent en mangeant d’autres animaux. Les animaux d’élevage sont quant à eux enrichis en B12 artificielle. Etant capables de produire cette vitamine depuis 1948 via la culture de ces bactéries, nous ne sommes donc plus du tout tributaires de produits animaux pour survivre. Une solution qui éviterait un massacre tout en étant plus respectueuse de l’environnement.
Le véganisme est liberticide : chacun a le droit de manger de la viande.
La question se ramène à la place de l’animal dans notre société : actuellement, l’animal a le statut de « bien meuble » dans le droit français, c’est à dire un bien qui se meut. Et si nous les intégrions dans notre société, comme des êtres conscients ? Si nous avons l’habitude de limiter nos libertés individuelles pour que chaque humain puisse jouir de sa liberté au sein de la société, n’en pourrait-il pas être de même avec les animaux ?
Il ne me paraît pas absurde d’arrêter de se nourrir de chair animale dans la mesure où leur droit de vivre est équivalent au nôtre…Et là, ça grince, ça bloque, ça dérange : pourquoi ?
Parce qu’on remet en cause des bases de sociologie très solides, qu’on dénonce la dictature de l’anthropocentrisme dans nos réflexions.
Nous accordons plus de valeur à une vie humaine qu’à celle des autres animaux : pourquoi ? Oui, nous ne sommes pas pareils. Sur quelle base cela peut-il influencer le droit de vivre ?
Certains citeront l’intelligence supérieure de l’humain, cette intelligence qui ne l’a pas protégé de l’avidité de pouvoir et de domination, qui l’a conduit à créer un système qui le dépasse lui-même. Au contraire, les autres espèces animales, mais aussi végétales, ont développé des comportements bien plus efficaces et en harmonie avec leur milieu. Et demain, face à l’urgence environnementale, à quoi nous serviront nos avions, nos fusées, nos ordinateurs ?
Alors, face au nouveau rapport du GIEC, à l’accumulation de catastrophes naturelles, et aux démonstrations quotidiennes de notre barbarie envers chaque espèce animale — comme l’Aquarius qui patiente au nom du bien-être de notre économie -, acceptons de nous remettre en cause, car de toute évidence nous n’avons plus le choix.
Lou
D’abord merci de partager ce point de vue.
C’est *une* vision du véganisme/végétalisme, pas forcément la plus “solide” face à la contre argumentation — puisque c’est l’objet de cette annexe d’article. C’est pas vraiment celle que je défend personnellement.
Déjà, on passe pas si loin de la mauvaise foi ‑soit dit en passant- quand on compare le soja argentin avec la viande locale… comparons ce qui est comparable ! Pour moi la réponse à la question posée était assez évidente (bien que pédagogique !), par contre pourquoi est-ce que toutes les recettes vegan que je vois passer contiennent de la crème de coco et mille autres ingrédients exotiques ? Il y a là un sujet. Idem pour les substituts de viande végétaux style knacky de tofu et autres qui sont à gerber (et dont le concept même m’échappe), et plus largement sur la bouffe vegan industrielle “de merde” qui ne sauve pas la planète du tout… mais connait une croissance “à deux chiffres” ! Ce que je veux dire, c’est qu’il faut bien avoir en tête sous quelles conditions laisser les bêtes tranquilles peut être écolo au sens large.
Je voudrais aussi juste rebondir sur le dernier passage, qui se fait plus philosophique. Rien de fondamental ne nous sépare de l’animal, oui. Il y a encore un siècle, on apprenait à l’école que l’homme est au sommet du règne animal où Dieu l’a placé. Les choses ont bien changé depuis, et ces certitudes chancèlent. Il reste tout de même un fossé entre i) “utiliser” les animaux au sens large, ii) les faire souffir ou non, et iii) leur reconnaitre légalement un droit à la vie identique à celui d’un humain, comme suggéré ici. Je ne m’étendrai pas mais il y a un paquet de lectures possibles sur le sujet (genre philo, pas sites vegan ou vidéos youtube) pour mieux comprendre où ça peut bloquer… rien qu’au plan “pratique” !
Bon boulot en tout cas, et assez bien sourcé 😉