Il y a plus d’un an, le Conseil d’Administration de l’INSA Lyon s’engageait dans l’IDEX Lyon. Le vote avait été précédé d’un débat intense sur la fusion potentielle de notre école avec l’Université de Lyon. La direction de notre établissement avait alors été critiquée pour le manque de transparence entourant le projet. En effet, à seulement quelques jours du vote, le projet était inconnu d’une majorité d’étudiants, et les élus du CA eux-même ne disposaient pas encore de documents essentiels. Quelles sont aujourd’hui les avancées dans le projet ? Quelle sera la place des étudiants et personnels dans la prise de décision et la structuration de l’IDEX ? La transparence s’est-elle améliorée ?
Article de l’année dernière : https://insatiable.info/2016/12/01/idex
Qu’est ce que l’IDEX Lyon ?
L’IDEX Lyon est un plan d’investissement gouvernemental sous condition de regroupement des établissements bénéficiaires. Les objectifs sont de créer une grande université au rayonnement mondial, et rationaliser les coûts. L’état s’engage ainsi à verser 25 millions d’euros annuel au projet. Si celui-ci est mené à bien, la nouvelle université de Lyon pourrait recevoir jusqu’à 800 millions d’euros. Toutefois, rien ne garantit à ce jour que le projet lyonnais recevra l’intégralité de cette somme. L’état n’étant pas engagé, le versement de ces 800 millions d’euros dépendra fortement de la situation budgétaire du pays au moment de la décision. Pour comparaison, le budget de l’INSA de Lyon serait de 144 millions d’euros toutes dépenses comprises.
Pour plus d’informations sur les dotations IDEX : Site du Ministère
Ou en sommes-nous ?
Les origines
En 2017, une partie des établissements qui constitue l’Université de Lyon dépose leur projet de regroupement afin de bénéficier du label, et des fonds de l’IDEX. L’UdL est labellisée en février 2017. Depuis les différents directeurs des établissements membres de l’initiative travaillent à la constitution d’une feuille de route.
Qu’est-ce que l’Université de Lyon (UdL) ? L’Université de Lyon (UdL) est la Communauté d’Université et Établissements (COMUE). Son rôle est de coordonner les activités des différents établissement lyonnais. Avec l’IDEX, celle-ci pourrait devenir l’organe centralisateur des regroupements d’universités et d’écoles.
Les premières fêlures autour du projet
Début décembre 2017, la présidente de Lyon 2 désavoue la gestion de l’IDEX. Si celle-ci défend le regroupement en lui-même, elle critique la gouvernance actuelle du projet. Lyon 2 aurait en effet été écarté des acteurs moteurs par les directeurs de cinq établissements, dont le notre.
Cinq chef.fes d’établissements (ENS, INSA, Universités de Lyon 1, Lyon 3 et Saint-Etienne) ont en effet pris la décision de construire entre eux/elles une « université cible » dans le cadre de l’Idex et d’en exclure les autres établissements. Présidente de Lyon 2 (Source)
Une première feuille de route
Fin 2017-début 2018, les documents les “Principes incontournables de l’université cible” et “Feuille de route initiale” sont diffusés. Ces documents seraient le résultat du travail des directeurs des établissements membres de l’initiative. Ils présentent une vision de la future Université de Lyon.
L’INSA de Lyon y est présenté comme un membre moteur et serait amené à se regrouper avec Lyon 1, Jean-Monnet, Lyon 3 et l’ENS à horizon 2020. Toutefois, les récentes positions d’E. Maurincomme en Conseil Statutaire laissent penser que celui-ci hésite à s’engager dans ce regroupement.
Une nouvelle série de vote en conseil d’administration
Globalement, les 4 autres membres du 1er cercle poursuivent leur engagement dans le projet, malgré les réticences de certains Conseils.
Les CA et Conseils Académiques de Lyon 1 et Lyon 3 ont ainsi approuvé le document “Feuille de route initiale” et la poursuite des travaux sur l’IDEX. Toutefois, STAPS a rejeté la motion, de même que les Comités Techniques de Lyon 1 et Lyon 3. L’Université de Saint-Etienne a approuvé le projet. Quant à l’ENS, le Comité Technique, et le Comité des études et de la vie étudiante ont rejeté la motion. Cependant, le CA l’a approuvé grâce au soutien des membres extérieurs à l’école (Elus personnels et étudiants : 8 contre, 2 abstentions, 2 pour, Extérieurs : 13 pour).
L’issu de ce dernier vote montre comment un directeur peut utiliser les Extérieurs afin de renforcer ses pouvoirs. En effet, les Extérieurs suivent le plus souvent les motions de la direction, et affaiblissent ainsi le contre-pouvoir des élus du personnel et des étudiants (voir article sur la Réforme des statuts).
A la différence de l’ensemble des autres établissements, aucun vote n’a eu lieu à l’INSA, et aucun vote n’est prévu. Notre directeur aurait-il peur de voir sa motion rejetée ?
Engagement présent et futur
Ce qui a déjà été engagé
Nous avons eu accès à l’Annexe financière de l’IDEX Lyon. Ce document indique les engagements financiers des établissements membres dans le projet. Les moyens consolidés que l’INSA fournirait s’élèveraient à 30 805 654,32 € sur 2 ans (période 2018–2020). Pour comparaison, le budget de notre école s’élevait à 144 M€/an. Un tel engagement représenterait ainsi plus de 10 % de notre budget total. Toutefois, l’essentiel des moyens alloués le seraient sous forme de personnel. Malgré l’importance de la décision, aucun vote en CA n’a eu lieu pour valider cet engagement.
D’après É. Maurincomme, ces chiffres n’existeraient pas, et l’INSA ne donnerait aucun euro à l’IDEX : Pourquoi c’est faux
L’annexe financière que nous avons obtenu est bien un document officiel. Celle-ci a en effet été déposée par l’UdL à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au moment de l’appel à projet d’IDEX (voir site ANR). L’UdL a pu être labellisée IDEX en fonction des documents déposés au moment de l’appel à projet. Il s’agit donc d’un engagement, si l’UdL ne respecte pas le projet déposé, elle pourrait perdre sa labellisation et ses financements. Ainsi, si l’INSA n’a pas encore apporté de ressources dans l’IDEX à ce jour, il le devra s’il reste engagé dans le projet.
3 périmètres d’implication futurs
Pour les établissements concernés par l’IDEX, trois cercles d’implication seraient identifiés. Dans le 1er cercle, appelé “Périmètre de l’université cible”, les établissements se regrouperaient sous la bannière de l’UdL. Le second cercle contiendrait les établissements membres du consortium IDEX ne participant à la 1ère phase de regroupement. Ceux-ci pourraient toutefois continuer à percevoir les financements de l’IDEX (sous condition d’accord de l’Etat). Enfin, le 3e cercle correspond à tous les autres établissements souhaitant coordonner leurs actions sans participer au projet d’IDEX ou de regroupement.
D’après la “Feuille de route initiale concernant l’Université Cible”, les membres amenés à se regrouper sous la bannière de l’UdL seraient :
- Lyon 1
- Jean-Monnet Saint-Etienne
- Lyon 3
- ENS
- INSA de Lyon
Les membres du consortium IDEX ne participant pas à la 1ère phase de regroupement seraient :
- Université Lumière Lyon 2
- École centrale Lyon
- Sciences Po Lyon
- École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE)
- École nationale d’ingénieurs de Saint-Étienne (ENISE)
- Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
- Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Comment l’INSA de Lyon se positionne ?
Notre établissement a pendant longtemps était l’un des moteurs du projet. C’est ainsi que dans les documents les “Principes incontournables de l’université cible” et “Feuille de route initiale” l’INSA se retrouve au sein du 1er cercle d’implication.
Toutefois, en ce début d’année, notre directeur a pris ses distances du 1er cercle. Il a ainsi exprimé des réticences dans dans la presse, mais également en CA à l’INSA de Lyon, ainsi qu’en CA à l’UdL.
Si ce revirement peut-être sincère, il peut être également être un moyen pour le directeur de gagner du temps pendant sa réforme des Statuts. A ce jour, aucun vote n’est prévu en CA pour officialiser ou rejeter l’appartenance au 1er cercle. Toutes les cartes sont donc encore sur la table.
Pour en savoir plus : “A quel jeu le directeur de l’INSA joue-t-il [collectif étudiant IDEXIT]
Quelle autonomie si l’INSA de Lyon fusionne avec l’UdL (1er cercle) ?
D’après les documents les “Principes incontournables de l’université cible” et “Feuille de route initiale”, l’INSA de Lyon pourrait perdre à terme sa personnalité morale. Or la personnalité morale donne une autonomie juridique à notre école. Celle-ci lui permet par exemple d’obtenir des financements, ou de mener une action en justice indépendamment de l’UdL.
É. Maurincomme a participé à l’écriture des documents les “Principes incontournables de l’université cible” et “Feuille de route initiale”. A contrario de ces documents, celui-ci soutient que la conservation de la personnalité morale serait une condition sine qua none pour notre entrée dans l’université cible.
Quoi qu’il en soit, l’entrée dans l’université cible serait suivie d’une perte d’autonomie. D’après les “Principes incontournables de l’université cible”, le Président de l’UdL pourrait nommer ⅓ de notre Conseil d’Administration tout en approuvant ou non le choix de notre directeur. Certaines décisions stratégiques seraient prises au sein du conseil d’administration de l’UdL et non plus au CA de notre école. De même, une partie de la politique de formation serait définie au sein du Sénat Académique et non plus au Conseil des Études. L’UdL pourrait enfin assigner des objectifs à l’INSA de Lyon. Notre école conserverait toutefois son autonomie dans le choix des étudiants, dans le recrutement et la gestion de carrière.
Quelle impact sur les personnels si l’INSA de Lyon fusionne avec l’UdL (1er cercle) ?
Les faits : D’après les “Principes incontournables de l’université cible”, la carrière de l’ensemble des personnels serait gérée par l’UdL. Par ailleurs, ceux-ci devraient tous produire un rapport d’activité annuel. Cette mesure est une remise en question du statut des enseignants-chercheurs. En effet, ce statut leur garantit une certaine indépendance vis-à-vis de l’administration. Leur carrière est ainsi gérée par le Conseil National des Université (CNU), organisme indépendant de l’INSA de Lyon.
Notre analyse : Selon certains scientifiques, la CNU connaît de nombreux dysfonctionnements. Une réforme de la gestion de leurs carrières pourrait donc être dans leur intérêt. Toutefois, cette mesure de l’IDEX augmenterait considérablement le contrôle de l’Université de Lyon sur les enseignants-chercheurs. En effet, toute critique de la direction, ou prise de position politique pourrait avoir un impact négatif sur leur carrière. Les enseignants-chercheurs seraient alors astreint à un devoir de réserve de fait, ce qui n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, les administratifs pourraient plus facilement orienter les travaux des scientifiques en fonction de la stratégie de l’Université ou de L’État. Il s’agit ici d’une profonde remise en question du rôle de la recherche et du scientifique. La Science doit-elle être indépendante, ou être orientée en fonction des besoins à plus ou moins court terme d’une Université ?
Des rémunérations exorbitantes
Cinq consultants ont reçus 20 000 euros d’indemnité pour un total de 52 h de travail sur l’IDEX Lyon. Leur indemnité correspond à plus de 30 fois le SMIC horaire net. Ces consultants sont membres du Scientific Advisory Board (SAB), chargé de conseiller les membres de l’IDEX dans la future stratégie académique à adopter. Leur travail n’est actuellement accessible que des seuls directeurs des établissements membres. Les élus du personnel et des étudiants n’y ont donc pas accès.
D’après É. Maurincomme ces rémunérations sont normales au vu des compétences des personnalités impliquées. Il s’agirait en effet des prix du marché.
Si ces rémunérations sont normales, sont-elles pour autant justes ? Sont-elles également justifiées dans un contexte de restriction budgétaire ?
Transparence
La transparence autour du projet avait été placée au cœur de l’action de l’Insatiable l’an dernier. Force de constater que cette question n’est toujours pas réglée à ce jour. Ainsi, le 21 décembre 2017, les élus du personnel votaient la mention suivante :
Nous, élus des personnels au CA de l’INSA de Lyon, demandons expressément que la trajectoire de l’INSA dans le paysage de la COMUE et de l’IDEX soit le résultat d’une concertation des personnels et des étudiants, d’un débat avec leurs représentants dans les instances et non le seul fait de son directeur.
Par ailleurs, les discours dissonants, voire contradictoires, au niveau des établissements impliqués dans l’IDEX perturbent fortement la compréhension du projet.
Il est donc absolument indispensable que l’Université de Lyon, porteuse du projet IDEX, organise des AG simultanément auprès des étudiants et des personnels de tous les établissements, en présence des directeurs et présidents d’université.
Quelle que soit l’issue de ces échanges, ce projet doit être, d’abord et avant tout, un projet voulu et réellement partagé par les personnels et les étudiants, dans le respect de la démocratie universitaire.
Nos élus n’ont ainsi pas été impliqués dans la rédaction des documents “Principes incontournables de l’université cible” et “Feuille de route initiale”. Par ailleurs, à la différence de tous les autres établissements, aucun vote n’a eu lieu, et aucun vote n’est prévu, pour approuver ou rejeter lesdits documents. Depuis le début notre directeur agit seul, filtre les informations et engage notre établissement sans passer par le CA. La Réforme des Statuts portée par la direction est peut-être ainsi un moyen d’officialiser un mode d’action déjà en place depuis plusieurs années.
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Excellent résumé, qui éclaire bien la situation actuelle. Reste à voir comment nos présidents et directeurs vont sortir du flou qu’ils contribuent à entretenir… Sans doute « par le haut », quand le gouvernement prendra les fameuses ordonnances sur les regroupements universitaires, qu’on attend avec appréhension.
Article très intéressant et visiblement bien documenté. Il est étonnant que l’IDEX ne fasse pas appel à son propre personnel pour les conseiller (gratuitement) sur la stratégie à adopter. Le personnel de l’IDEX serait-il moins qualifié que ceux du SAB? C’est un assez mauvais départ pour une université de référence internationale..
Bravo pour cet excellent et très clair article.
Si je peux ajouter un minuscule caillou au gros tas sur la transparence, une anecdote : au CA de février dernier à l’ENS, où la “feuille de route” a été votée grâce au soutien de membres extérieurs, le service Sécurité-Incendie de l’ENS a été employé pour filtrer les entrées, et garantir la tranquillité des personnalités extérieures qui y entraient.
Les féroces opposants, qui se comptaient parait-il sur les doigts d’une main, mais qui avaient sans doute le couteau entre les dents, n’auraient même pas pu jeter un coup d’oeil dans la salle.
Bel exemple de démocratie et de dialogue en tout cas.