C’est le début de l’été, mais sur la peu sympathique et très septentrionale île de Svalbard, je peux vous assurer que les ours polaires n’ont jamais entendu parler de températures positives. Je me gèle les grelots, même avec le chauffage à fond. À présent, je suis définitivement convaincue que le changement climatique est un canular. Mappy m’indique que je suis arrivée à destination, je gare donc mon hélicoptère, enfile mes pelures, et rassemble mon courage. Ce n’est pas parce qu’on est blonde aux yeux clairs qu’on est nécessairement résistante au froid.
Effectivement, se dresse devant moi un imposant vantail d’acier, nanti d’un interphone. Il n’y a que deux boutons. Le premier indique “Père Noël”. Encore un symbole du patriarcat, de l’exploitation des travailleurs et de l’assistanat. Le rouge Coca-Cola de l’étiquette me file de l’urticaire. Le second, “S & V : le pouvoir sans trop se fouler”, est autrement plus prometteur. Je le presse donc avec conviction.
“C’est pour quoi ?” articule une voix caverneuse. La personne qui en est à l’origine est affligée de graves problèmes respiratoires. Sans doute le climat ? Une petite cure thermale lui ferait le plus grand bien.
“J’ai rendez-vous à 13h avec monsieur Séditieux,” m’empressé-je de répondre. J’espère que ce sous-fifre ne va pas me faire attendre. Mon inquiétude est infondée, il fait bien son boulot et la porte coulisse, me livrant le passage. Le gars de l’interphone m’attend, planté au milieu d’un grand hall. Il est tout noir, tout en noir en tout cas. Encore un boulot peu qualifié qui ne va pas à un local, de quoi me hérisser les poils. Et puis les serviteurs exotiques, c’est un peu passé de mode.
“Monsieur vous attend,” m’indique-t-il en désignant une nouvelle porte statuaire. Une chose est sûre, mon hôte a un certain goût pour le monumental. Ça me plaît bien. Je l’ouvre donc et pénètre dans un vaste bureau.
“Ah, Marine ! Je vous attendais avec impatience. Prenez place, je vous en prie.”
“Monsieur Séditieux, c’est un honneur.” Réponds-je en lui serrant la main. Heureusement que je ne viens pas chercher des conseils en dermatologie, ses rides sont assez immondes. Son costard noir fait ressortir le teint pâle de son visage, au-dessus duquel quelques cheveux épars se battent en duel. Ses lentilles rouges sont du plus bel effet.
“Pas de ça entre nous, vous pouvez m’appeler Dark. J’ai lu votre dossier avec attention, et votre problème est effectivement complexe. Mais j’ai de l’expérience en la matière. Prendre le pouvoir dans une démocratie, ça me connaît. À vrai dire, moi, je suis contre la démocratie. Quelle idée de confier le choix de la direction d’un pays à une majorité d’imbéciles déculturés votant pour une minorité de connards corrompus ! Sans vouloir vous offenser, bien sûr. Avec un bon empire, on n’a pas ce genre de problèmes, votre ancêtre à bicorne et moi-même ne prétendons pas le contraire. Et j’ai cru comprendre que le chemin des urnes vous a encore failli…”
Il sait appuyer là où ça fait mal, avec son petit ton condescendant. Saloperie de second tour.
“Oui, c’est le problème avec le peuple” répliqué-je, “Il parvient le plus souvent, même si c’est au dernier moment, à retrouver un peu de bonté et de bon sens au plus profond de lui-même.”
“La part de lumière, c’est toujours une difficulté majeure. Mais pas insurmontable, regardez votre collègue à l’occiput orangé. Grâce un système pourri, un climat social dégueulasse, une population abrutie et mes bons conseils, il est parvenu à ses fins. Vous avez déjà constaté qu’il est bien plus aisé de remporter la victoire en se basant sur la démagogie, en excitant les craintes, en esquivant la réalité des faits et en formulant des promesses vides. Il a poussé la logique encore plus loin en prenant le système à revers, en mentant impunément et en s’arrangeant simplement pour que les casseroles de ses adversaires fassent beaucoup plus de bruit que les siennes.”
Ce cher Donald. Sa fantasque chevelure, son regard torve, son discours si plaisant à mes oreilles. Son si retentissant succès. S’il me laissait juste ma chance, les choses que je lui ferais… Mes frémissements ne sont plus dus au froid. Je dois paraître un peu perdue dans mes pensées, puisque Dark reprend :
“Mais passons. Nous n’avons ni l’un ni l’autre envie d’attendre cinq ans avant de tenter à nouveau notre chance. Alors, voilà ce que nous allons faire…”
Deux heures plus tard, alors que je sors de la pièce, je me sens revigorée, prête à repartir au combat. Cette nouvelle stratégie, ce nouvel angle d’attaque va enfin me permettre d’atteindre le sommet qui me revient de droit. Quelle bonne idée j’ai eu de faire confiance à cet anodin tract trouvé un beau matin dans ma boîte aux lettres ! Après avoir pris quelques rendez-vous d’avance et salué chaleureusement mon nouveau mentor, je monte dans mon Écureuil, dont les pales m’arrachent du sol gelé. Français, françaises, serrez les fesses, Marine est loin d’en avoir fini avec vous.
Maxence d’Hauthuille